Citations sur La Somnolence (21)
Dinah ? Rien. Elle ne veut rien dire. J’ai peut-être frappé un peu fort. Elle ne remue plus. Ces nouvelles générations sont bien peu résistantes. Au moindre coup dur, hop, plus personne.
Mourir est interdit. On vous répète sans arrêt : « Il faut vivre, il faut vivre… » Certains affirment que la vie est bonne et douce, qu’il faut tout réapprendre. Il faut regarder les feuilles pousser sur les arbres, il faut regarder les chevelures, les enfants, les animaux. Je ne sais pas. Pour moi la vie n’est plus qu’une rumeur, au loin, une vision aussi imprécise qu’un songe.
Les mots restent des mots. Ils n’ouvrent pas des portes fabuleuses.
Rien ne vous intéresse, ni l’amour, ni les livres, ni la nature, absolument rien. Vous ne vous détestez même pas assez pour vous tuer. Vous passez vos journées à traîner dans la ville, sans jamais adresser la parole à personne, et à boire de la bière tiède.
Que ta chaire est douce, petite fille...Aussi douce que les jeunes laitues du jardin de mon père, aussi tendre...Le rasoir y pénètre avec un plaisir de plus en plus grand. Tiens, reçois ce coup sur ta petite joue fraîche, et celui-là sur tes jolies lèvres, qui ne seront jamais souillées par aucun homme. Vide, le paradis ? Un désert ? Dieu, une langouste ? En tout cas, toi, ma chérie, tu vas te rendre compte qu'il y a du monde en Enfer. C'est surpeuplé, tu vas voir.
Un matin, tard vers midi, midi trente, nous prenions le café, ma sœur et moi, après une nuit passée à écouter « La Flûte Enchantée » et nous regardions tristement le printemps envahir le jardin et lui imposer sa coloration obscène. Ma sœur me dit : « Je vais me recoucher. La vue de ces arbres qui fleurissent me donne la nausée. D’ailleurs, je crois que je suis enceinte, et cela me dégoute encore plus que le printemps ».
J'aimais bien le cinéma, autrefois ; avec mon père, nous avions meme vu dix fois "Autant en emporte le vent". Je me souviens toujours avec émotion des amours de Red Badler, ou Buller, je ne sais plus, et de Scarlett O'Marsa, des magnolias du Sud et des robes à crinoline. C'est une histoire d'amour comme ca que j'aurais voulu vivre, pleine de passion, d'orages, de séparations et de retrouvailles. Au lieu de cela, un couple difforme auquel la vie commune n'a appris qu'à se mépriser. Mon Red Badler, un castrat rouquin, et alcoolique, presque toujours affalé sur un matelas. Mes magnolias, ces sordides marronniers que je voyais de mon appartement, ma guerre de Sécession cette lutte dérisoire contre des ennemis invisibles, et le vent du Sud cette horreur moite qui soulève la poussière et amène des relents d'urine.
Saviez-vous que l’on peut marcher vers la porte d’un appartement que l’on habite pourtant depuis des années comme on naviguerait vers une île mystérieuse ?
Nous nous sommes aimés, nous avons dormi pendant des années ensemble, dans les mêmes draps, sous les mêmes couvertures, engourdis l'hiver, apathiques l'été, le plus souvent ivres morts, dans la même chaleur malsaine, mêlant nos deux odeurs nauséabondes en une seule odeur pestilentielle, regardant les mêmes maronniers désespérants, noirs l'hiver, vert sale l'été, jaune pourrissant l'automne, guettant les mêmes oiseaux morts, les mêmes printemps crasseux, les mêmes fantômes sournois.
Si je tenais cette maudite planète entre mes mains, je la ferais éclater comme un fruit pourri pour que des gens comme vous soient à jamais mis hors d’état de nuire.