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Critique de colimasson


Dernière page du livre, un avertissement de l'éditeur tamponné à l'encre rouge :


« Service de presse.
Ne peut-être [sic] vendu que par un bon gros connard de soi-disant journaliste pourri bon pour la poubelle. »


D'accord. Je referme ma gamelle, un coup de flotte pour la rincer et éviter que des morceaux de gésier ne chutent une fois de plus au fond de mon sac à dos. Je sors du bungalow-réfectoire et j'entre dans le bungalow-chiottes pour me chercher une bouteille de flotte. En chemin, réfléchissant à cette énigmatique mention de l'éditeur, je me demande : Est-ce que revendre ce livre ferait de moi une journaliste ? La poubelle remplacerait-elle donc l'Enfer pour le moderne ? Je n'apprécie certes pas tous les charmes de la modernité mais si l'Enfer nous est perdu pour être remplacé par une benne à ordures, j'accepterais de reconnaître certaines vertus à cette époque.


Voilà qui est étrange : je n'avais pas encore pensé à revendre ce livre que l'éditeur me le suggère immédiatement. Suis-je en détention d'un livre dont n'importe quel lecteur aimerait aussitôt se débarrasser ? Il fait chaud dans le bungalow-chiottes. Au moins vingt-cinq degrés. L'eau croupit dans les bouteilles en plastique. Les règles dites de sobriété énergétique ne sont pas encore venues jusqu'au site industriel portuaire de Ternay. Je ne traîne cependant pas, car la lumière de ces toilettes me met mal à l'aise. Dehors, l'air est vif. [note écrite voici trois semaines] Ces écarts de température favorisent l'eczéma.


Evidemment, la maison d'édition L'Atteinte se fait défenseuse rétrospective de la mauvaise réception de son oeuvre que subit en son temps Jean-Pierre Martinet. En 1987, nous dit la postface, Martinet a été occulté par les romans La fée carabine de Daniel Pennac, le Filles de Geneviève Brisac et La nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun. Quel niveau, me direz-vous. Aussi demandé-je : Martinet espérait-il vraiment plaire au tout-venant ? lui qui fait dire à l'un de ses personnages :


« Elle accéléra le pas. Elle fonçait, tête baissée. Les autres n'avaient qu'à s'écarter. Elle n'avait plus la moindre envie de sourire ni de s'excuser. D'ailleurs, ils n'avaient rien d'urgent à faire, eux. Manger, famille, travail, vacances, se reproduire en mammifères disciplinés, se distraire, jouir, les sales petites besognes, tout ce qu'elle avait toujours détesté. Elle n'avait même pas envie de leur jeter le moindre regard. de toute manière, elle ne s'était jamais senti un seul point commun avec eux. »


Je suis très contente que ce livre de Martinet soit réédité, mais est-il besoin de faire tout un tintamarre sur la supposée « littérature dangereuse » ? Je reprends le livre par le début et, cette fois, sur les premières pages, je trouve cette inscription :


« L'éditeur dédie ce livre à celles et ceux qui acceptent le danger, dans la littérature comme ailleurs. »


Le vrai danger serait plutôt de connaître habilement les règles de grammaire afin de s'éviter la redondante et démagogique formule « celles et ceux ». Quelle fatigue. Me voici renvoyée à mon adolescence. le danger, ce fameux danger qui n'amène jamais rien que les ennuis habituels, mais dans des proportions toujours extravagantes. le désagrément quotidien haussé à la criaillerie tragique du téléfilm.


Je me souviens à présent de ce formidable roman de Martinet que j'avais tantôt lu : Jérôme. Jérôme, qui m'avait marquée notamment par sa scène de masturbation dans un pot de yaourt, ensuite habilement repercolé pour être dégusté après le repas par un tiers. Il y aurait une psychanalyse à faire des scènes les plus marquantes que nous retenons de nos lectures, des années après les avoir achevées.


Je trouve dans l'ouvrage un petit mot adressé de Camille :


« Chère Alexandra,
Puisse cet ouvrage vous émouvoir autant qu'il l'a fait pour nous,
Au plaisir. »


Mon coeur frémit en même temps que mon regard balaie distraitement les caméras de sécurité, celles-ci m'assurant qu'aucune âme ne rode ici-bas. Je le reconnais : autour des ratés peut se débusquer la plus grande tendresse, le plus grand anéantissement, ainsi que le prouve ce petit message. En valait-ce pour autant le coup, de faire partie du sérail ? Je me dis bien que oui, mais l'avenir nous le dira. Aussi bien pouvez-vous lire ce livre si vous vous sentez également l'élan des ratés, et revendez-le ensuite si vous pensez pouvoir vous élever jusqu'à l'art du management.
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