Quelques mots sur le destin d'une rock star du classique.
Le style de
Frédéric Martinez, dans cet ouvrage issu de la collection « Folio Biographies », se veut accessible, humoristique et soigné mais avant tout captivant, et n'a d'autre but que de tenir le lecteur en haleine. Cette collection permet une entrée assez dense dans la biographie du personnage, avec des extraits de correspondances ou de journal, et sans tomber dans le mémoire de thèse de 1 300 pages, un bon compromis !
Franz est la première rock star de la musique, il fit des tournées à groupies qui contrastent avec les concerts monacaux de la maison de la radio. le parallèle avec Mozart est saisissant, une trentaine d'années à peine séparent les deux très jeunes prodiges du piano et la presse de l'époque ne lésine pas sur la comparaison.
La conscience politique de Liszt le classe, comme
George Sand, avec ce qu'on appela les « humanitaires », sorte de conscience de gauche avant l'heure. Franz le mystique se rapproche de Lamennais et des saints simoniens, ces catholiques sociaux qui prônent la fin de l'exploitation bourgeoise de l'homme par l'homme, contraire à la Bible, et un retour à la nature.
Puis, sa partition politique glissant insensiblement de la gauche à la droite, il est décoré à la fin de sa vie par
Napoléon III.
C'est un personnage qui, malgré son austérité et sa personnalité torturée et pieuse, archétype du romantisme, est plein d'étonnements. Ce virtuose, grand admirateur de Beethoven, donnera longtemps le « la » de la musique de chambre, dirigera de très longues années un Opéra où il mettra un point d'orgue (plutôt de piano…) à faire connaître beaucoup d'autres oeuvres que la sienne, et sera un professeur particulier aux méthodes peu orthodoxes et finira même par entrer dans les ordres !
Le biographe apporte un éclairage sur certains des morceaux du compositeur. Son Liebestraum avec l'écrivain
Marie d'Agoult pendant près de quinze ans est à jamais cristallisé dans « Les années de Pèlerinage », ce qui prouve au passage qu'on peut créer une oeuvre artistique alors même que l'on est heureux. Les deux amants peuvent vivre sur le même crédo au bord du « Lac de Wallenschadt » avec leurs amis Chopin et
George Sand. C'est cette partie-là du livre qui a ma préférence par sa liberté, son audace et son souffle bohème. Après, la vie sentimentale du compositeur hongrois ira decrescendo.
C'est également l'histoire d'une amitié orageuse avec un autre titan de la musique, Wagner. le mauvais génie du classique aura toujours le soutien de Liszt en dépit de toutes les ingratitudes et de toutes les fausses notes dont il se montrera capable dans leur relation et finira par lier son destin au sien en épousant Cosima, la propre fille du compositeur.
Lorsque Liszt s'éteint, en 1886,
Marie d'Agoult est morte depuis longtemps, de même que Wagner et deux de ses trois enfants, mais il donne l'impression d'être insubmersible, peut-être parce que ce chantre de la « musique de l'avenir » n'a jamais regardé en arrière, tant et si bien que lorsqu'on lui demanda pourquoi il n'écrivait pas l'histoire de sa propre vie, le virtuose magyar répondit « c'est bien assez de la vivre. »
Voilà mon avis, c'est peut-être un détail pour vous, mais pour Franz ça veut dire beaucoup...