Acquis en mars 2018, à la Librairie Caractères [ Issy-Les- Moulineaux ] - Lu 25 avril 2020
Cyrille Martinez , bibliothécaire et écrivain, nous livre un ouvrage tout à fait désopilant… en s'inspirant de son expérience personnelle pour décrire avec ironie et virulence le destin de la Grande Bibliothèque, habitée par des lecteurs les plus éclectiques et aux opposés, un directeur obsédé par le tout-numérique et un "jeune livre en colère" .Ce dernier procédé est original, insolite… mais m'a médiocrement persuadée. Il reste que cette lecture est des plus plaisantes et instructives… abordant de nombreuses questions concernant les Bibliothèques, la Lecture publique, le numérique, les changements de comportements des lecteurs, les peurs suscitées par les évolutions technologiques, trop brutales, le consumérisme à tout crin…une culture qui se doit d'être rentable….
Une lecture jubilatoire, pleine de malice et d'ironie sur la Bibliothèque François Mitterrand mais aussi par extension, les digressions et observations peuvent concerner le monde des bibliothèques, dans leur ensemble… ainsi que le métier de Bibliothécaire, pas toujours connu, dans ses réelles fonctions (compétences) …ayant évolué à pas de géant ces trois dernières décennies !
Une lecture qui ne manque pas de sel…, faite pour tous les passionnés de littérature, et concernés par les différents canaux de la diffusion de la culture sans omettre toutes les problématiques touchant la Lecture publique…ceci sur un ton polémique et facétieux !!! Il y a aussi des rappels très bienvenus sur l'Historique de la Lecture publique...ainsi qu'une évocation précieuse des changements des usages...
J'ai choisi , pour achever ce billet, un extrait assez long, très significatif:
" Je cligne des yeux. Une porte de verre s'ouvre et se ferme automatiquement derrière moi : me voici dans la salle de lecture.
Silence.
Comme celui des lieux de culte, ce silence fait peur, intimide, il respire la crainte. A quel châtiment s'exposerait celui qui oserait le rompre ? Je préfère ne pas y penser.
Même si la salle de lecture est placée dans un bâtiment dont la forme rappelle celle d'un cloître, nous ne sommes pas dans une église, nous sommes dans une salle consacrée à la lecture publique. Le silence qui règne ici est conçu spécialement pour la lecture.
Il fut un temps où la salle était bruyante, la Bibliothèque sonore. On pratiquait la lecture à voix haute, on déclamait. Les textes étaient lus, joués, performés.
Les lecteurs-performeurs rivalisaient d'ingéniosité pour s'attacher un auditoire. On fréquentait la bibliothèque à la fois pour lire et pour écouter lire, afin que le texte nous soit révélé lors d'une lecture à voix haute.
Mais tout aussi bien y venait-on pour passer le temps. On savait qu'ici on retrouverait des amis, on ferait des rencontres. C'était un lieu de vie, il était agréable d'y sociabiliser. Pendant que les lecteurs travaillaient, les non-lecteurs bavardaient, s'apostrophaient, s'invectivaient. S'il fallait en venir aux mains, ils en venaient aux mains. Le moine en charge de la surveillance de la Salle laissait faire. Faute de règlement intérieur sur lequel s'appuyer, il ne se sentait pas habilité à intervenir; il s'instruisait dans son coin.
A cette époque, les lecteurs et les livres s’accommodaient de l'agitation et du bruit. Quand, un beau jour, une grosse voix a tonné.
SILENCE ! "
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Ce livre qui nous donne l'illusion d'être un roman fantastique est en fait un essai sur la Bibliothèque nationale et de la lecture publique. A travers l'histoire d'un lecteur, d'un livre puis d'une bibliothécaire, on découvre l'histoire d'un lieu, d'un métier et de leur évolution. de la bibliothèque privée (librairie) réservée aux riches instruits, à la bibliothèque informatisée, le lecteur nous raconte la grande et la petite histoire de la Grande Bibliothèque de Paris, de sa création au 16e siècle à nos jours, égratignant au passage un Président et des manières de faire despotiques sous couvert de culture.
Le livre nous conte l'histoire de l'intérieur : la rivalité supposée entre classiques et jeunes livres qui finiront probablement dans les oubliettes des réserves, les livres nobles et les autres. Il nous confie aussi son agacement des écrans qui éloignent des livres et des pseudos lecteurs qui viennent travailler sur leur portable dans la salle de lecture sans jamais ouvrir un ouvrage.
La bibliothécaire donne enfin sa version des faits en professionnelle. Et ses collègues goûteront probablement mieux son intervention que le lecteur lambda même s'il en comprendra tout l'enjeu. Bibliothécaire et écrivain, Cyrille Martinez s'inspire visiblement de son expérience.
J'ai bien aimé ce livre précisément documenté, au ton ironique et mordant qui se lit comme un roman. Il nous parle de livres (quel bonheur) et de lecture : son importance, ses richesses, ses enjeux, les dangers qui la guettent… comme celui de consommer les livres comme n'importe quel autre produit. Que reste-il de nos lectures quand le livre est fermé et oublié sur une étagère ? Qu'en avons-nous retiré ?
Un ouvrage déroutant mais agréable à lire et qui fait l'éloge de la lecture.
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Ce livre, je ne connaissais pas son titre, je ne savais pas de quoi il parlait, je ne savais à quoi il pouvait ressembler. Tout ce que pouvais en dire, c'est que je ne l'avais jamais lu. Lui, en revanche, avait une idée de qui j'étais. Il avait pris connaissance de mon profil de lecteur. Mes goûts et mes attentes ne lui étaient pas étrangers.
Un livre m'attendait à la Grande Bibliothèque et j'avais la faiblesse de croire qu'il avait été écrit spécialement pour moi. (p. 9)
La lecture silencieuse a été adoptée, le calme et le silence sont devenus des biens communs, ils se sont imposés auprès des lecteurs de toutes les bibliothèques. Comme éléments du patrimoine, il convient de les préserver, dans l'intérêt de chacun. C'est pourquoi, en déménageant, la Bibliothèque n'a pas seulement transféré ses collections physiques, elle a également emporté son silence.
Comme on a installé les livres dans les nouveaux magasins, on a placé ce silence très ancien, et de très grande qualité, dans les nouveaux locaux. de sorte que la nouvelle Salle de lecture a bénéficié dès son ouverture d'un silence fabuleux. La deuxième partie du Trésor. (p. 34)
Ceux de la Tour des Romans sont de loin les plus demandés: entre 1 000 et 1 500 volumes sont en moyenne consultés par jour. (...) Ils (les lecteurs) viennent s'enquérir d'un ou de plusieurs ouvrages susceptibles de répondre aux questions qu'ils se posent, de satisfaire leur curiosité, d'assouvir leur soif d'apprendre, ou de leur procurer un plaisir de lecture. Ce sont les Lecteurs de Romans (...) Bien sûr, il leur arrive de se montrer sensibles aux éditions rares, aux tirages de tête, aux exemplaires annotés par des écrivains renommés, pourvus de jolies dédicaces, signes d'une amitié intellectuelle entre deux sommités. mais ce goût esthétique pour l'objet-livre ne saurait les détourner de leur principal sujet d'attention: le récit, les personnages, l'histoire qui nous emporte et nous fait voyager, qui amuse ou tourmente, distrait, interpelle, instruit, édifie, conforte, inquiète, interroge ou rassure. (p. 27)
p. 100 Aujourd’hui, force est de constater que les Livres de Littérature sont incapables de répondre à nos attentes : ils sont sérieux quand on veut s’évader, ils sont fantaisistes et légers quand on a besoin d’avoir des réponses sérieuses. Un grand nombre nous semble autocentré, inaccessible, déconnecté de la réalité, éloigné des préoccupations des gens. Entre les livres bâclés et les prises de tête, entre les démagogues et les élitistes, les couillons et les cérébraux, les futiles et les prétentieux, il est difficile de trouver son compte. Nous ne remettons pas en cause qu’une petite partie reste intelligente et plaisante, mais au fond le problème est autre. Le problème, c’est que lire de la littérature ne rapporte rien. Personne ne peut dire le contraire, lire n’a jamais été une activité très rentable à court terme. Même si cela ne coute presque rien, le fait est que la lecture rapporte peu.
Personne ne peut dire le contraire, lire de la littérature n'a jamais été une activité très rentable à court terme. Même si cela ne coûte presque rien, le fait est que la lecture rapporte peu. Or il se trouve que nous avons dorénavant besoin de rentabiliser notre temps, même si c'est du temps dévolu aux loisirs, peu importe. C'est sans doute le grand changement de ces dernières années: maintenant il faut savoir tirer profit de tout, y compris de son temps libre. (...) Nous disons simplement qu'au vu de la conjoncture nous n'avons plus les moyens de nous livrer à des activités gratuites. (p. 100)
Interview de Cyrille Martinez