Les deux héros de Barbizon, Théodore Rousseau et Jean-François Millet, ne nous touchent guère moins, parce que leur dévotion à l'éternel modèle fut, elle aussi, absolue, attendrie, encore qu'ils procèdent de systèmes dissemblables : celui-là volontaire, rationnel, avide d'analyse patiente, humble et sincère à l'égal des anciens Hollandais, l'autre, philosophe, porté vers la généralisation, s'élevant d'emblée à la synthèse... A côté de ces confirmations de prééminence, des leçons précieuses se dégagent : ainsi, les différences qui séparent Jules Breton et Feyen-Perrin de J.-F. Millet; ainsi, la réputation surfaite de Rosa Bonheur ne résistant pas au parallèle avec Troyon et le caractère conventionnel, vieillot, des tableaux à costumes de Diaz, souligné à plaisir par le voisinage des féeries de Monticelli, si prestigieux en ses bons jours; ainsi, la découverte des paysagistes méridionaux de Constantin et Dagnan à Loubon et Guigou; ainsi le crédit grandissant des petits maîtres, Lafage-Laujol et Chintreuil, Lépine et Boudin, puis l'exacte détermination du rôle insoupçonné de Daubigny.
Notre démocratie se pique à tort d'atticisme; l'artiste n'y tient qu'un rang effacé; il a plus d'égards à recueillir, plus d'honneurs à attendre du souverain: qu'on se rappelle Louis de Bavière et Richard Wagner ou même Guillaume II et Menzel. Le lustre du peintre, du statuaire, du compositeur ne balance pas, chez nous, la célébrité dont se prévaut l'écrivain, le savant, le philosophe. Peut-être le mal vient il du nombre des artistes et du flottement de l 'opinion à leur sujet?
Seules les idées générales réussissent à passionner M. Puvis de Chavannes; grâce à l'imagination, à la puissance visuelle, chacune trouve, comme correspondance plastique, un spectacle représentatif, un symbole, inventé de toutes pièces, mais presque toujours vraisemblable, qui dépasse les limites d'un temps, les frontières d'un pays et s'empreint de la noblesse que l'universalité emporte toujours avec elle.
Il faut se garder de croire à la similitude des tempéraments chez Edmond et Jules de Goncourt; tout en recevant du monde extérieur des impressions identiques, les deux frères différaient autant par l'humeur que par le dehors. « L'un était le sourire de l'autre », écrit joliment Théophile Gautier, et, parmi leurs contemporains, plusieurs se sont fait un jeu, comme Sainte-Beuve, d'opposer à la gravité mélancolique de l'aîné l'enjouement du cadet, peu contemplatif, mieux préparé pour l'action.
Chez lui, plus d observation directe — les portraits de Delacroix sont rares, — mais une inspiration ardente, enthousiaste, emportée à travers l'espace et le temps, et que sert une faculté d'expression immédiate, aussi spontanée que la pensée. La fièvre est à la fois dans le cerveau, dans le regard, dans la main; à la poétique entraînante correspond une palette diaprée.