Le quotidien de la Salpêtrière, du temps du docteur Charcot, en 1885, pendant la préparation du « bal des folles » de la mi-Carême. J'ai beaucoup apprécié ce tableau d'époque, y compris les allusions au spiritisme d'
Allan Kardec. Un bon petit roman historique à l'écriture remarquablement fluide, qui donne envie d'en savoir plus.
Voilà un petit livre historique qui m'a fort agréablement occupé le temps d'un voyage en train. Il se déroule en 1885 à l'Hôpital de la Salpêtrière, dont je connaissais fort peu de choses, à part le fait que Charcot y avait expérimenté l'hypnose pour traiter les « hystériques » après avoir établi que l' « hystérie » est maladie nerveuse, alors qu'on la liait précédemment à l'utérus (étymologiquement « hystérie » s'apparente à « utérus »). J'ai donc été captivé par les tableaux d'époque dépeints par
Victoria Mas, que ce soit pour le quotidien de la Salpêtrière ou pour la condition des femmes à cette époque.
La Salpêtrière est une institution ancienne dont les travaux ont débuté en 1658, à l'emplacement d'un arsenal où l'on fabriquait de la poudre. Il s'agissait alors d'un hospice plus que d'un hôpital au sens où on l'entend aujourd'hui. L'établissement faisait partie de l'Hôpital général de Paris, institué pour le « renfermement » des mendiants. Un peu plus tard lui fut ajouté une « maison de force » où étaient détenue des femmes. La Salpêtrière fut également un lieu de concentration de femmes que
Louis XIV envoya outre-Atlantique pour le peuplement de la Nouvelle-France. À la fin du XVIIIe siècle, la Salpêtrière abritait dix mille personnes !
Victoria Mas place son récit à la fin du XIXe siècle, alors que le docteur Charcot, médecin chef à la Salpêtrière, y devient le chef de file de l'École de la Salpêtrière, qui développe l'utilisation de l'hypnose comme moyen d'investigation de l'hystérie. On y assiste à la préparation du « bal des folles », un bal costumé organisé chaque année à la mi-carême, à l'initiative des internées, où se mêlaient internées, personnel et quelques personnalités extérieures triées sur le volet.
On voit dans le récit que la Salpêtrière gardait encore à cette époque un rôle d'hospice. Il abritait des nécessiteux, des personnes âgées, mais des pères, maris ou frères de familles bien pensantes pouvaient aussi y éloigner des femmes dont le comportement ou les idées risquaient de troubler leur image. le personnage d'Eugénie est une de ces femmes dérangeantes. Elle ne souffre pas à proprement parler d'une maladie mentale: on la qualifierait aujourd'hui de médium, car elle communique avec des esprits. La précision des visions d'Eugénie me paraît peu crédible, mais
Victoria Mas m'a néanmoins intéressé en décrivant comment Eugénie a découvert «
Le livre des esprits », ouvrage fondateur du spiritisme publié en 1857 par
Allan Kardec.
J'ai pris plaisir à lire ce livre, dont le style est remarquablement fluide. Je lis que certains lecteurs reprochent à l'auteure de ne pas mettre dans la bouche de ses personnage le français de l'époque. Ce reproche est fondé, mais cet anachronisme ne m'a pas dérangé. En fait, j'ai accroché à ce livre parce qu'il m'a ouvert les portes de thèmes que je ne connaissais à peine: la Salpêtrière et en particulier son quotidien de la fin du XIXe siècle, y compris les pratiques de Charcot, une certaine condition des femmes de cette époque, le spiritisme de Kardec. Cela m'a fait passer au second plan des aspects qui ont rebuté d'autres lecteurs, comme par exemple une intrigue assez légère et le fait que l'on décrive la préparation du bal mais fort peu le bal lui-même. Je dirais donc que si les thèmes du roman vous sont familiers, vous risquez d'être déçus. Mais si vous êtes comme moi, vous serez emballés !
Victoria Mas est la fille de
Jeanne Mas, mais cela importe peu. «
Le bal des folles » est son premier roman et moi, j'ai bien envie de la suivre !
Note: pour prolonger ma lecture, j'ai écouté l'émission que
France Culture a consacré au Bal des folles le 15/02/2021. Elle est disponible sur https://www.franceculture.fr/emissions/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/
le-bal-des-folles-de-la-salpetriere-le-corps-exhibe . le second épisode de cette émission est consacré à
Jane Avril, qui a été internée pendant deux ans de son adolescence et qui a découvert ses talents de danseuse pendant
le Bal des folles. Elle est devenue une célèbre danseuse de cabaret et une muse
De Toulouse-Lautrec.