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EAN : 9782732485928
416 pages
Editions de la Martinière (30/08/2018)
3.45/5   32 notes
Résumé :
Voici une petite fille qui a décidé de ne rien faire comme tout le monde. Elle a choisi de vivre... dans une malle. Oubliée de sa famille et de la société, entièrement absorbée par ses questionnements sur le sens de l’existence, elle ignore les devoirs qui incombent à toute femme.

Car, sous l’Italie fasciste – où l’on devine que se situe le roman –, les femmes sont assignées au mariage et à leur foyer : " Des enfants, des enfants ! " assénait Mussoli... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (20) Voir plus Ajouter une critique
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Ce roman singulier est construit autour d'un personnage haut en couleurs. La Massaïa débute sa vie dans une malle , en compagnie de détritus nauséabonds , se nourrissant de quignons de pain moisi. Recluse volontaire, autour de laquelle gravite une famille indifférente , ou résignée. Jusqu'au jour où sa mère entreprend de faire éclore la chrysalide, dans le but de lui faire suivre un chemin plus orthodoxe, à savoir prendre époux. A partir de là, la Massaïa endossera le costume de multiples personnalités, façonnées par le contexte familial ou social, et par l'apparition ponctuelle du jeune homme croisé le jour de son mariage.

L'originalité du personnage-clé et de l'histoire méritent que l'on se penche sur la genèse de ce roman. Surprise : Nascita et morte della Massaïa a été publié en Italie en 1945! Il aura donc fallu presque 75 ans pour que ce roman phare de la littérature italienne soit traduit en français.
Quant à son auteur, elle fut résolument moderne, et chaque page est un désaveu de la condition féminine de cette moitié de vingtième siècle.
Le roman a subi les conséquences de la guerre. Il devait être publié en 1939 sous une forme expurgée, destinée à éviter que l'on reconnaisse le pays , mais le bombardement de l'imprimerie fit remettre à plus tard la parution, ce dont l'auteur profita pour essayer de faire passer la première mouture.

Le récit a clairement le ton d'une fable, qui permet l'incursion du fantastique et de l'onirique, propice à désorienter le lecteur jusqu'à ce que l'on accepte de se laisser perdre dans les divagations du personnage. On pense bien sûr à Italo Calvino, particulièrement au début , mais aussi à Boulgakov, par le foisonnement et par l'impression que l'auteur s'est laissée emportée par son récit, l'imagination ayant pris les rênes de la trame. Mais derrière le burlesque, transparait à peine déguisée, la doléance qui dénonce l'injustice faite aux femmes, prisonnières d'un conservatisme aliénant.

Déroutant et nécessaire, on regrette que les lecteurs francophones aient pu être privés de cette pépite aussi longtemps.
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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Avant-gardiste ou visionnaire, Paola Masino, à la fin des années trente, avait parfaitement cerné la fameuse notion de « charge mentale » qui allait émerger en 2017 dans la presse féminine, relayée par moult analyses psy ou BD de vulgarisation du concept.

Partant de ce thème elle développe ici une virulente apologie de l'émancipation des femmes sous la forme d'une autofiction très singulière. Pas étonnant que sous le régime fasciste de Mussolini, dont les mesures visaient à exclure les femmes de la sphère publique, le roman de Paola Masino fut plusieurs fois censuré.

Voilà pour le fond, qui bien sûr m'avait interpellée.
La forme en revanche m'a intégralement larguée. L'imaginaire vertigineux de l'auteure est parti vraiment loin dans ce récit entre fantasme et réalité, des délires dans lesquels je ne suis pas du tout, voire pas-du-tout-du-tout, parvenue à entrer.

Et même si les sujets diffèrent, je me souviens avoir ressenti la même perplexité à la lecture de « Belle du seigneur » ou de « La conjuration des imbéciles » (je viens encore de me faire tout plein d'amis). Il faut croire par conséquent qu'entre les chefs-d'oeuvre et moi, décidément, c'est pas toujours ça.

Ҩ

Un grand merci néanmoins à l'équipe des éditions Points, et à Babelio pour m'avoir sélectionnée dans le cadre de l'opération Masse Critique de janvier.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Oh non, encore un bouquin de bonne femme sur les bonnes femmes, me suis-je dit. Mais pourquoi donc ai-je choisi ce bouquin pour la dernière édition masse critique ? Vous savez, c'est un peu comme pour les croissants : on en a goûté un, quand on était gosse, qui était vachement bon, avec du vrai beurre, et ensuite tous les autres se sont montrés décevants, et si on continue d'y revenir quand même, de temps à autre, c'est dans l'espoir de retrouver la saveur originelle. Pour la littérature féminine, c'est pareil que le croissant. Bien sûr que des femmes qui écrivent bien, ça existe, je me souviens en avoir lu quelques-unes et elles ne parlaient même pas forcément de leurs mioches, de leurs règles ou de leur clitoris. le malheur c'est qu'après ça, on se dit : allez, je vais lire un autre bouquin de meuffe, et là on tombe sur les derniers bouquins de la rentrée littéraire, ça parle de comment réussir un rendez-vous amoureux, chez quel coiffeur aller pour avoir une teinture réussie, ou de comment expliquer à son petit garçon qu'il ne faut pas se moquer des filles parce qu'elles n'ont pas de zizi : décidément, les bonnes femmes feraient mieux de rester aux fourneaux pendant qu'elles essaient de retrouver la recette des croissants du siècle dernier. Cependant, ayant pris au mois de septembre la bonne résolution d'arrêter de me méfier des bonnes femmes (tout d'abord parce que j'en suis une, ensuite parce que je préfère laisser à ces êtres le bénéfice du doute, enfin parce qu'il faut bien en passer par là si on souhaite avoir un aperçu de la totalité de l'expérience qu'offre la vie), j'ai décidé de me jeter à l'eau une nouvelle fois.


Eh bien oui, surprise ! La Massaia, c'est de la bonne came. Celle qui a écrit ce bouquin s'appelle Paola Masino et elle a ce privilège, que les meuffes de la rentrée littéraire n'ont pas, d'être morte depuis quelques décennies. Est-ce à dire que notre époque aurait cette fâcheuse tendance de renforcer le pli d'une tendance somme toute naturelle (la superficialité féminine) qui ne se remarque pas forcément dans l'attitude des femmes des siècles passés ? Je ne connais pas assez bien le mouvement protestataire féminin (je n'oserai ici parler de féminisme, de peur qu'on se méprenne sur le sujet) sous l'Italie fasciste pour généraliser mais, à partir de ce que Paola nous donne à voir, on sent croître le respect, tandis que les féministes de la gogo consommation qui ne rêvent que de montrer leurs nibards sur les chariots de la gay pride ne font croître que les bites des puceaux et la lassitude des autres.


A l'image de son personnage, Paola n'a jamais voulu mener une vie conventionnelle de femme. Elle a refusé de se marier et d'avoir des enfants pour se consacrer à sa vie d'artiste bohême. Pourtant, son bouquin laisse transparaître la connaissance de l'expérience qui s'empare de toute femme lorsqu'elle abandonne ses idéaux pour se consacrer aux tâches ménagères et à la vie du foyer conjugal dans un mélange d'abandon las et de résignation à l'intérieur duquel le soulagement n'est jamais bien loin. Dommage que je n'ai pas pu en apprendre plus sur le genre de vie mené par Paola, mais bon on s'en fout dans le fond.


« le matin, au saut du lit, le premier devoir de la femme au foyer est de déposer sur les lèvres de son mari un baiser chargé d'une gratitude infinie pour le bien-être qu'il lui procure quotidiennement. La Massaia avait des réserves de haines insoupçonnées, mais elle savait dissimuler. Toutefois, peu à peu, elle eut le sentiment qu'elle parvenait à supporter de mieux en mieux la monotonie de ses devoirs conjugaux ; ou plutôt si, au début, elle s'était sentie accablée par leur monotonie, à présent leur aspect routinier lui facilitait la tâche. »


Mais – et heureusement ! la Massaia ne découvre pas seulement cette triste vie à laquelle toute femme est prédestinée, et c'est ce qui la sauve en tant qu'être vivant et écrivain. Devenir ménagère c'est certes naître une seconde fois mais se souvenir quand même de sa vie d'enfant : une vie passée dans une malle, à naviguer au milieu des pensées les plus sauvages de ce monde en mastiquant des quignons de pain sec et en lisant des bouquins, au milieu d'elfes logés dans les recoins moussus du corps. le monde des bonnes gens apparaît alors comme un univers surréaliste composé de règles quantifiées auxquelles il vaut mieux se soumettre, sans se départir de sa capacité d'hallucination éveillée, qu'en interroger éternellement la signification. le combat devient alors celui qui oppose la spontanéité d'une vision sensitive à la mort cérébrale qui accompagne toute soumission au monde des vainqueurs.


« Mais où sont donc passés les jardins immaculés d'antan, enclos de haies d'aubépines et ornés de simples parterres de giroflées ? Quand a-t-elle désappris à se promener dans les sentiers tapissés de lierre, où les hautes branches des arbres forment un dôme qui masque le ciel ? Depuis qu'elle sait que transplanter un chêne coûte mille lires et qu'une graine de giroflée vaut deux lires et cinquante centimes. »


La condition de ménagère incombe peut-être aux femmes de manière la plus flagrante mais la Massaia sait voir les plis douloureux qu'on inflige de la même manière aux objets, aux plantes, aux enfants, aux époux, aux amis. Sa conscience accrue pourrait se résumer dans cette phrase, qui clôt la description d'une scène familiale idéale pour exemplariser la notion de double contrainte : « Ce mari et cette femme s'aiment vraiment, et ils aiment vraiment leur enfant, c'est pour cela qu'ils se sont si souvent du mal : ils se mortifient, et ils s'imaginent qu'ils doivent faire des sacrifices, ils ont une fausse idée de l'amour et ne font qu'aggraver la situation. » Contrairement à ce que beaucoup de féministes ne réussissent pas à faire – et pour cause, en aucun cas Paola ne mériterait de se faire traiter de féministe -, cette charmante défunte nous entraîne du singulier vers l'universel : la chute de l'être humain dans le carcan étroit du rôle que la société lui impose de jouer. Tout son roman symbolise cette trajectoire que d'étranges rêves ou hallucinations ne cessent de parcourir, comme les convulsions dernières d'un corps qui ne veut pas quitter la vie promise par l'inconscient.
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« On dit la société de plus en plus violente, je trouve qu'il tient du miracle qu'elle le soit si peu. Comme tout y est bien à sa place ! Les piétons sur les trottoirs, les voitures arrêtées aux feux rouges, les magasins ouverts à l'heure, chacun à sa place à l'heure dite avec le discours qu'il convient : les étudiants étudient, les travailleurs travaillent, les vacanciers partent en vacances, on fête Noël à Noël...Comme chacun met de persévérance à épouser son rôle et à s'y tenir ! Cette sagesse, comme naturelle au point de n'être plus une contrainte ni une aspiration, m'effraie parfois. Et je me demande si la liberté, pour demeurer, peut ignorer la tentation de l'absurde, l'absurde comme violence ultime. » écrivait Constance Debré dans son premier roman, Un peu là beaucoup ailleurs paru en 2004…
L'absurde de nos conditions, injonctions de faire ou de ne pas faire, d'aimer ou de ne pas aimer. D'être ou de ne pas être. Avoir le courage ou bien se résigner… La Massaia. Roman écrit entre 1938 et 1939, paru en 1945. Roman maudit, roman censuré sous l'ère fasciste...
Être soi ou consentir à la comédie humaine. Endosser un rôle ou bien se dévêtir. Jouer ou bien..écrire ?
« Tu me feras mourir de chagrin si tu ne sors pas de là» crie la mère à l'enfant tapie au fond de sa malle. L'absurdité d'un langage qui sous-tend l'absurde condition sociale. Alors l'enfant sort, il naît pour l'autre, pour répondre à la condition de l'autre, il naît en se faisant mourir soi. Il consent. L'injonction de la mère, qui symbolise également la mère patrie, la condamne.
Pouvoir, amour, menace, chantage, crédulité, faiblesse...Allez savoir tout ce qui renverse nos malles et cadenasse, un vilain jour, nos fenêtres...
Et donc, l'enfant sort. Il répond à l'ordre d'un choix qui n'est pas le sien. L'enfant entre dans la grande farandole de l'absurde. Y entre, s'y jette à corps et à coeur perdus. Et tout s'affole, se dérègle, s'accélère, rien ne marche, tout dysfonctionne, le rêve est un cauchemar, et le cauchemar continue.. Mais The show must go on...Qu'y a t il de pire pour celle ou celui qui monte en scène que de se soumettre à un mauvais emploi ?... 
« elle est morte de faiblesse », c'est ainsi que l'enfant sauvage disparue.
La Massaia c'est un peu l'anti-Bartleby, qui mourut également, c'est un fait, mais seulement de faim…
La question n'est pas le choix de faire ou de ne pas faire, la question n'est même pas ici l'objet. La réponse est tout entière dans le sujet...Conditionnel ou subordonné à l'absurdité d'un verbe relatif ?
Un roman effectivement étonnant par sa construction, et par son ton. « une parabole aux tonalités fantastiques » note la traductrice Marinella Mascia Galateria, et elle a tout à fait raison.

Editions la Martinière, collection Signatures points/ Babelio- Masse critique 01.2020

Astrid Shriqui Garain

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Un conte féministe écrit sous le fascisme.
Mettre tous ces termes ensemble révèle déjà l'originalité de ce livre.
Cela commence un peu comme Pinocchio et cela se poursuit comme un roman de Calvino (si je me souviens bien parce que mes lectures de Calvino sont anciennes).
La fée du foyer, traduction du vieux mot de Massaia, commence sa vie comme une souillon dans une malle. Elle pressent sans doute ce que sera sa vie de femme dans une société qui ne la reconnait pas comme un être humain accompli et la refuse par avance.
Elle a besoin d'une métamorphose (Kafka?) pour entrer dans la vie sociale et répondre enfin aux convenances. Elle s'y engage jusqu'à l'obsession, elle sera ménagère par excès comme pour démontrer l'absurdité de la chose.
Mais son anticonformisme émerge dans ses pensées, ses rêves, ses voyages.
C'est l'occasion d'une grande variété de formes, de visions oniriques ou surréalistes, de saynètes, de mémoires.
C'est souvent très réussi, parfois un peu trop décousu. Mais c'est en tout cas un témoignage de la grande vitalité littéraire de l'Italie malgré le fascisme, ou peut-être à cause de lui.
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critiques presse (4)
LesInrocks
07 juin 2022
Censurée par le fascisme italien car trop libre et avant-gardiste, elle écrivait pour inciter les femmes à s’extirper du carcan domestique.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Actualitte
22 novembre 2019
En plus d’être un texte engagé et profondément féministe, La Massaia c’est aussi une plume complexe et poétique, issue d’un esprit brillant et admirable qui portait un regard lucide sur son époque.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LeMonde
14 septembre 2018
Tantôt ébloui, tantôt sonné, le lecteur suit cette descente au foyer où le désir de mort dit assez quelle consigne l’auteure adresse à ses contemporaines : dédomestiquez-vous !
Lire la critique sur le site : LeMonde
Actualitte
03 septembre 2018
Féministe, anti-conformiste, l'âme révolutionnaire, Paola Masino nous entraîne dans un conte drôle et inquiétant à la fois questionnant le sens de l'existence. Ni plus ni moins ; ouvertement. Et elle dresse pour cela un douloureux et incisif portrait de la vie de La Massaïa. D'une déconcertante actualité.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (105) Voir plus Ajouter une citation
Elle ferma la fenêtre et, puisque c’était déjà l’heure de s’entretenir avec son mari, elle discuta avec lui pendant au moins soixante minutes, afin qu’il pût lui demander si elle avait fait ceci ou cela : « Oui ». Avait-elle acheté telle ou telle chose ? « Bien sûr. » Est-ce qu’elle avait réglé le problème de Monsieur X ? » Naturellement. » Et celui de Madame Y ? « Aussi. » Ne faudrait-il pas licencier P. ? « Si tu le dis. » Et Z., ne devrait-on pas le renvoyer lui aussi ? « Tu as raison. » Est-ce qu’elle l’aimait ? « Quelle question ! » Elle aussi d’ailleurs était une femme parfaite. « Tu es trop gentil ! » Et ainsi de suite, jusqu’à ce que la pendule sonne onze coups. Alors son mari se leva, lui posa une main sur l’épaule, l’autre sur la joue, et la regarda tendrement ; puis il la serra contre sa poitrine, tout en couvrant son crâne, en plein sur la raie au milieu, de petits baisers. La Massaia ferma les yeux, en attendant qu’il finisse. On ne peut pas dire qu’elle s’ennuyait ni que cela l’embêtait, elle attendait, c’est tout, déjà à demi alanguie dans une sorte de sommeil vertical dont désormais elle avait pris l’habitude.
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Le soir, lorsque son papa rentre à la maison et qu’il s’aperçoit que la maman est en train de crier dans la cuisine, il rouspète : « Quand je t’ai épousée, tu n’étais pas comme ça. » La maman devient blanche, bat des cils : le papa est très vilain. A dîner, il y a la soupe de légumes que les enfants détestent : « J’aime pas ça », dit le petit garçon. La maman remplit une cuillère de potage et l’avance vers l’enfant : il pince les lèvres et secoue la tête, il tache la nappe ; son papa le réprimande, mais la maman pose la main sur la tête de son fils, pour le défendre contre ce père qui gronde ; elle demande qu’on emporte la soupe, qu’on n’en parle plus, qu’on serve plutôt un bifteck pour son enfant, un peu de morue pour elle et pour son mari, agrémentée de beaucoup de pommes de terre pour le papa. Après quelques bouchées, le mari éloigne le plat, repousse le pain, sa serviette tombe par terre et, tandis qu’il boit, il murmure : « Ma mère faisait cuire la morue dans du lait. » Sa femme voit qu’il lorgne le bifteck de son fils : « Ma parole, il serait capable d’arracher la nourriture de la bouche de son fils », se dit-elle en lui lançant un regard méprisant. Elle aussi a envie de viande, elle aussi déteste la morue, mais avec ce qu’il gagne ! – comme il ne cesse de le lui répéter chaque fois qu’elle veut acheter une rose pour la placer dans un vase au milieu de la table ou deux bonbons pour le petit. Cependant, elle fait un effort ; elle coupe la moitié du bifteck dans l’assiette de son fils et, d’un ton tout à fait naturel, elle lance : « Donnes-en un peu à papa. » L’enfant ne bronche pas, son père rougit, la mère recoupe la viande très lentement au même endroit où elle l’a déjà coupée et, finalement, l’homme dit ce que tous s’attendaient qu’ils disent : « Non, non, ile n a plus besoin que moi. » Ce mari et cette femme s’aiment vraiment, et ils aiment vraiment leur enfant, c’est pour cela qu’ils se sont si souvent du mal : ils se mortifient, et ils s’imaginent qu’ils doivent faire des sacrifices, ils ont une fausse idée de l’amour et ne font qu’aggraver la situation.
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Enfermée dans une malle, qui lui tenait lieu d'armoire, de lit, de buffet, de table et de chambre, emplie de couvertures en lambeaux, de quignons de pain, de livres et de vestiges funéraires (...) l'enfant n'aimait rien tant que broyer du noir. Elle réfléchissait, rongeait ses ongles incrustés de miettes de pain et de bouts de papier, et lorsqu'elle n'avait plus d'ongles ni de pensées à se mettre sous la dent, elle grignotait un quignon de pain et feuilletait des livres, en quête d'autres nourritures. (p. 16)
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En revanche n'avaient rien de sinistre à ses yeux les tombes envahies d'herbes folles, les stèles sans portrait, les morts cachés, tel le levain dans la pâte, attendant leur heure. D'un autre côté, répugnants, les enterrements organisés comme des compétitions de classe, fosses communes contre funérailles en grande pompe - misérables vestiges d'un grand mystère -, autant de pis-aller comparés aux rites sublimes et désintéressés d'autrefois, où les familles devaient s'effacer, le décor humain s'anéantir et se taire. Tout ce vers quoi elle s'acheminait, tout ce tralala auquel on se plie par respect du décorum et pour complaire à ses parents, en somme, précisément tout ce sur quoi elle ne voulait à aucun prix poser ni les yeux ni les mains, jamais.
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« La Massaia (en criant) – Et alors? Vous croyez qu’en agissant ainsi vous aidez leurs épouses, leurs filles et leurs soeurs? Elles sont toutes destinées à être louées, encensées en public et rabaissées dans le privé. Les allégez-vous du poids de leur vie quotidienne? Soulagez-vous leur esprit épuisé par la monotonie de leurs tâches triviales et par l’obligation de mettre au pas leur corps qui galopait, leur coeur qui avait appris à voler et leur âme qui s’amusait à des cabrioles? Or plus l’homme agit au gré de ses caprices, plus il est considéré, plus il nous écrase, plus il semble généreux. Et plus il court à sa perte, plus il conquiert. Les femmes, en revanche, doivent composer avec un corps qui porte depuis toujours inscrit en lui des échéances, des prescriptions et toutes sortes de mesures de précaution. En vous faisant payer, vous croyez vraiment les défendre? Vous ne faites que renforcer les barreaux de leur cage, vous leur assignez une valeur marchande et les réduisez à une réalité purement tangible et contrôlable. »
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Vidéo de Paola Masino
Littérature italienne - Rentrée Littéraire 2018
Voici une petite fille qui a décidé de ne rien faire comme tout le monde. Elle a choisi de vivre? dans une malle. Oubliée de sa famille et de la société, entièrement absorbée par ses questionnements sur le sens de l?existence, elle ignore les devoirs qui incombent à toute femme. Car, sous l?Italie fasciste ? où l?on devine que se situe le roman ?, les femmes sont assignées au mariage et à leur foyer : « Des enfants, des enfants ! » assénait Mussolini. Sale, repoussante, cette étrange créature fait le désespoir de sa mère. Jusqu?au jour où elle cède à ses suppliques : adolescente, elle sort de la malle. Dans une riche propriété, la jeune fille mariée, entourée de domestiques, semble renoncer à ses idéaux, et tente à tout prix de devenir une parfaite maîtresse de maison : une Massaia.
À l?instar de son héroïne, Paola Masino (1908-1989) fut une femme moderne et émancipée, très critique à l?égard des valeurs réactionnaires du fascisme. Intellectuelle d?avant-garde, figure des cercles artistiques et littéraires du XXe siècle, elle fit scandale dans son pays par sa liaison avec l?écrivain Massimo Bontempelli, séparé de son épouse et de trente ans son aîné. Francophile, elle fut aussi la traductrice en Italie de Barbey d?Aurevilly, Balzac ou Stendhal.
Traduit de l?italien par Marilène Raiola Préface de Marinella Mascia Galateria
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