L'une des questions centrales du futur de l'humanité repose sur une avancée technologique qui effraie autant qu'elle fascine : l'intelligence artificielle ou IA.
Nombreux sont ceux qui, ces trente dernières années, qui y voient une source quasi-intarissable pour la science-fiction, que ce soit au cinéma ou en littérature.
Un intérêt sans cesse renouveler depuis la création du sous-genre cyberpunk défini par l'un de ses pionniers, l'américain
Bruce Sterling, comme « un univers où le dingue d'informatique et le rocker se rejoignent, d'un bouillon de culture où les tortillements des chaînes génétiques s'imbriquent. »
En digne héritier de
William Gibson et de son fameux
Neuromancien, l'écrivain
Zachary Mason plonge à corps perdu dans un monde cyberpunk avec un techno-thriller ultra-dense de plus de 500 pages encensé par la critique américaine.
Void Star marche donc dans les traces de romans récents tels que
le Fleuve des Dieux d'
Ian Mc Donald (et ses IA omniprésentes) ou
Drone Land de
Tom Hillenbrand (avec son monde gangrené par les drones et la surveillance). Publié dans l'Hexagone par les éditions Hugo Roman et (magistralement) traduit par un
Laurent Queyssi particulièrement en forme, le second ouvrage de
Zachary Mason l'impose d'emblée comme un écrivain qui compte.
Trois destins interconnectés
Void Star (qui ne révèle le sens de son titre dans les toutes dernières pages) s'intéresse aux (més)aventures de trois personnages distincts dont deux sont dotés d'implants mémoriels.
D'abord, Irina, une jeune femme particulièrement prisée de riches hommes d'affaires et de multinationales soucieuses de leur protection et qui présente l'habilité remarquable de pouvoir modifier le réseau tout en comprenant (partiellement) des IAs devenues de plus en plus abstraites pour le commun des mortels.
Ensuite, Kern, jeune garçon d'origine hispanique survivant dans les favelas entourant la ville de Los Angeles en volant certaines objets pour des clients prêts à y mettre le prix. Passionné d'arts martiaux et formé par un programme informatique destiné aux enfants du tiers monde, Kern rêve de pouvoir un jour échapper à sa condition miséreuse.
Enfin, Thales, un autre jeune homme victime collatérale d'un attentat sur son propre père, figure politique du Brésil, et qui a fuit le pays pour trouver refuge sur le continent Nord-Américain. Malheureusement pour lui, son implant semble dysfonctionner malgré tous les efforts de son chirurgien et il sait déjà être vouer au néant dans un avenir proche.
De ces trois trajectoires,
Zachary Mason tire une aventure rythmée en courts chapitres (77 au total) dont le nombre permet au récit de garder une cadence effrénée et de ne pas laisser le lecteur s'enliser dans un seul arc narratif. Il aura en effet le bonheur de patauger (au moins au début) alternativement au coeur des trois histoires. L'américain installe tranquillement son intrigue lais la densité de celle-ci et le jeu entre les différents partis en présence est tel qu'il est assez difficile de s'y retrouver de prime abord….un peu à la façon d'un Fleuve des Dieux, les termes hindoues en moins.
Mon monde meurt, les IAs vivent
Pourtant, petit à petit,
Zachary Mason construit un monde tout à passionnant mais qui a tendance, il faut l'avouer, à faire froid dans le dos.
Même si la date reste indéterminé, on imagine qu'on a allègrement franchi le cap des années 2100, le futur décrit par l'américain semble souvent atrocement plausible, dans la droite lignée de
la Fille-Automate de
Paolo Bacigalupi.
Les États-Unis semblent par exemple avoir été la proie de nombreux conflits brutaux et laissent désormais leurs états gérer un peu comme ils veulent leurs lois et leur fonctionnement. le Japon a repris sa politique d'extension agressive et annexé Taïwan et d'autres pays du sud-asiatique. New-York meurent lentement sous la montée des eaux. Los Angeles et Londres croulent sous les réfugiés qui ont créé de véritables favelas s'empilant les unes sur les autres…
Et pendant ce temps, les ultra-riches et les multinationales continuent à faire leur loi au moyen d'armées privés et de flottilles de drones toujours plus menaçante. Dans ce monde en proie aux effets directs du réchauffement climatique,
Zachary Mason imagine l'avènement des IAs qui ont fini par s'auto-régénérer à tel point que plus personnes ne comprend ces entités situées à mi-chemin entre des dieux omnipotents et des curiosités astrales noyé dans un océan stellaire de flux de données. C'est d'ailleurs en jouant sur la difficile différentiation des IAs et des humains par le lecteur que l'auteur nous mène (souvent) en bateau. L'histoire de Kern s'avère, à cet égard, souvent bien plus troublante qu'il n'y paraît de prime abord tant le jeune homme semble être un humain programmé/dirigé par des machines plutôt qu'un véritable produit des conditions d'existence terribles dans les favelas.
Dans
Void Star, les Intelligences Artificielles ont fini par concevoir leurs propres successeurs et la population humaine, elle, n'y a vu que du feu, inconsciente du fait (terrifiant) que plus aucun mathématicien ne soit désormais capable de les décoder. Pour complexifier un peu plus son intrigue, l'américain
Zachary Mason ne se contente pas de jongler entre réel et virtuel, il y ajoute un facteur essentiel : le temps.
La mémoire pour éternité
Le point commun d'Irina et Thales : l'implant mémoriel.
Ce dispositif expérimental destiné initialement à sauver la vie de personnes victimes d'accidents graves est devenu en réalité une source de superpouvoirs pour ceux qui en sont équipés, capables désormais de communiquer (même si la chose reste relative) avec des Intelligences Artificielles bien plus avancées que n'importe quel esprit humain et en mesure de se connecter à un tas de réseaux plus ou moins obscurs.
Le coeur de l'intrigue a d'ailleurs beaucoup à voir avec ces implants puisque c'est eux qui jouent un rôle central lorsqu'Irina est approchée par un très vieux milliardaire qui, comme tous les ploutocrates de son époque, se fait rajeunir à coup de cures spécialisées dans des établissements de rajeunissement hors de prix. À la tête de la multinationale Water & Power, James Cromwell n'a qu'une obsession : trouver la vie éternelle pour lui et sa compagne, Magda. Mais qu'est-ce que la vie éternelle dans un monde où l'on peut dupliquer les souvenirs d'une personne et en faire ainsi une véritable copie virtuelle relâchée dans le grand bain numérique de l'internet ?
Zachary Mason, en bon expert de la Silicon Valley, questionne les possibilités offertes par l'évolution galopante des technologies virtuelles et l'incapacité à comprendre pour l'homme que la prochaine évolution passe par le virtuel et non par une chair éternellement jeune.
Surtout, l'américain se penche sur la mémoire et les souvenirs contenus en son sein. Ce qui définit la vie, en définitive, n'est-ce pas la somme des souvenirs d'un être vivant ? Dès lors, si l'on peut les dupliquer, pourra-t-on vivre éternellement ?
Toute la partie techno-triller, s'appuyant en somme sur la quête d'un remède à la mortalité, n'est en réalité qu'un prétexte pour s'interroger sur notre conception même de l'immortalité. de façon très surprenante, et avec bien moins de froideur qu'un
Greg Egan ou un
Ted Chiang,
Zachary Mason arrive à insuffler de la chaleur dans ses personnages et quelques scènes vraiment troublantes, émotionnellement parlant. Dans
Void Star, la réflexion sur la mémoire se fait par le prime de la perception humaine des souvenirs et non par un exposé mathématique des possibles. Ce qui change évidemment tout et rend finalement la lecture du roman bien plus poignante qu'escompté.
Ardu, le roman de
Zachary Mason l'est assurément et le lecteur tenté par l'aventure serait fort avisé d'avoir déjà mis un pied dans la science-fiction auparavant. Pourtant, le jeu en vaut la chandelle car
Void Star offre une passionnante épopée dans un monde cyberpunk où l'immortalité devient le dernier Graal de l'humanité désormais en perte de vitesse face à des Intelligences Artificielles toujours plus incompréhensibles et puissantes.
Un labyrinthe du réel et du virtuel au service d'une réflexion sur la mémoire et la puissance des souvenirs, voilà, en somme, ce que proposent les 500 pages de
Void Star.
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