Quand je rapporte des livres à la bibliothèque et que ma pile à lire prend des allures vertigineuses, c'est souvent dans la pieuse intention de ne rien emprunter de nouveau… Mais je bavarde toujours un peu avec la bibliothécaire qui s'étonne de me voir repartir les mains vides et je jette toujours un oeil (obligé) vers la tête de gondole qui contient les nouveautés et les coups de coeur…
Et là, je vois la couverture de ce roman de
Cyril Massarotto : un téléphone à cadran orange, très kitch, sur fond turquoise… sur le moment, j'ai pensé à une publicité pour SOS Amitié, genre « des mots sur des maux » et cela correspondait au titre,
Quelqu'un à qui parler.
Vous l'aurez compris, je ne reviens jamais les mains vides de la bibliothèque !
J'ai lu rapidement ce roman, en quatre jours. L'écriture est simple, familière ; le personnage principal est mal dans sa peau et dans sa vie ; l'ambiance est celle de la vie quotidienne, métro-boulot-dodo avec un zeste de fantastique, personnage double et saut temporel… Bon j'avoue, c'était plutôt mal parti… Et c'est là que cela devient intéressant, parce qu'au-delà de ce décor plein de clichés (la mort de la mère, la solitude, les échecs amoureux, la vie professionnelle sans attrait ni avenir, le rêve oublié de devenir écrivain) un message passe et me touche.
Je vous le dis :
Cyril Massarotto est très fort !
Les grandes douleurs enfantines, comme la perte brutale d'êtres chers que l'on croyait éternels, sont des stigmates éternels…
Les rêves de gosses enfouis dans l'oubli et dans la nécessité de gagner sa vie, ça ne vous rappelle rien ?
Le milieu professionnel, caricaturé certes, s'inspire de situations bien réelles; la transposition avec le vécu des lecteurs se fait toute seule. On a tous eu des chefs imbuvables, des collègues qui ne faisaient que passer, on s'est ennuyé parfois… etc.
La timidité que l'on a vaincue, enfin normalement, le côté « ancien timide », les techniques d'évitement qui nous empêchent d'être nous-mêmes dans les relations avec les autres : ça aussi, cela fait vrai, cela sonne juste même dans le « trop ».
La déprime de Samuel, 35 ans, célibataire, solitaire, modeste employé et ses péripéties professionnelles et amoureuses serait d'un ennui mortel sans la médiation des conversations quasi quotidiennes avec son double enfant : la vision que chacun retire de sa vie à travers le prisme du regard de l'autre devient carburant et moteur pour grandir et s'épanouir et oui, la mayonnaise prend : ce roman se lit jusqu'au bout et sa lecture trouve des prolongements dans l'inconscient des lecteurs.
Cyril Massarotto m'a bien piégée avec son vieux téléphone et son bouquin que je ne voulais pas emprunter !
Si l'enfant savait, si l'adulte pouvait… L'enfant est prêt à relever tous les défis, l'adulte ne voit plus que des limites ; ce roman prend rapidement la forme d'un long conte philosophique. C'est une lecture qui exige assez vite de ne pas se contenter du premier degré, du premier niveau narratif : il faut sortir de la vie de Samuel, s'extraire de ses dialogues improbables avec lui-même et se pencher sur la vraie problématique…
Je vous laisse méditer une citation issue de ce livre…
« L'enfant que j'étais n'aime pas l'adulte que je suis devenu. Y a-t-il pire chose qui puisse arriver dans la vie ?
À trop me laisser porter par le cours des choses, à trop laisser la vie choisir à ma place, j'ai abandonné mes rêves : j'ai trahi mon âme d'enfant. »