AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Agneslitdansonlit


Fabiano Massimi, bibliothécaire à Modène, et donc très aguerri aux recherches et aux archives, a dans ce premier roman, exhumé de documents poussiéreux l'histoire d'Angela Raubal, surnommée Geli. Car si Angela fut oubliée, elle n'est pas pour autant une anonyme ordinaire.
Son existence se termine tragiquement en septembre 1931, à l'âge de 23 ans, lorsque son corps est découvert dans un appartement cossu, appartenant à son oncle et tuteur, qui n'est autre qu'Adolphe Hitler.

C'est donc en pleine Oktoberfest, à Munich, que les commissaires Sauer et Forster sont appelés à constater le décès de la jeune fille et diligenter une enquête dont leur supérieur leur précise bien qu'elle devra être brève et clôturée au plus vite. Tout dans la scène qu'ils découvrent alors les oriente vers la thèse du suicide : pistolet Walther (celui de son oncle) découvert à côté du corps, pièce fermée de l'intérieur, témoignage des personnes vivant sur place pointant le désarroi de la jeune fille qui craignait de se produire sur scène puisqu'elle devait chanter.

Malgré l'insistance de sa hiérarchie à boucler l'enquête et en partie du fait de cette insistance, le commissaire Sauer, personnage principal de ce roman aux côtés d'une Geli fantomatique mais omniprésente, va relever de nombreux indices discordants. Ce doute habitera tout du long cette enquête haletante, qui, s'appuyant sur une reconstitution minutieuse du Munich de l'époque, dresse un panorama autant physique de cette ville que de l'ambiance délétère qui y régnait alors.

En effet, un des attraits de ce roman est de se focaliser sur le contexte historique de la montée du nazisme, vu de l'intérieur. Car c'est bien dans un nid de frelons que Sauer met le pied en décidant de pousser plus avant ses investigations.
Dès le départ, les liens unissant Geli à son oncle Adolphe Hitler sont troubles et sujets à des rumeurs scandaleuses. En enquêtant dans le milieu des proches de Geli, Sauer sera amené à côtoyer les principaux dignitaires nazis, Himmler, Göring, Heydrich, Goebbels, von Schirach, jusqu'au photographe officiel Hoffmann. Mais il ne manquera pas de nous plonger aussi dans les coulisses moins rutilantes de ce NSAPD émergent, avec les charges véhémentes d'anciens proches d'Hitler, devenus opposants, comme Emil Maurice ou Otto Strasser.

Le travail de reconstitution de l'auteur est considérable dans la mesure où il répertorie minutieusement les protagonistes gravitant autour de Hitler et Angela Raubal. Il restitue parfaitement le contexte politique d'une république de Weimar noyautée progressivement par les membres du NSAPD, qui infiltrent toutes les structures et propagent un climat de méfiance et de peur.

Malgré l'ambiance très festive et joyeuse qui règne sur l'Oktoberfest, décor de carton pâte d'un pays déjà engagé dans la violence, on sent dès lors comme une brume poisseuse qui monte des caniveaux, martelés par les bottes des chemises brunes.

Car si ce récit est prenant et que ses 543 pages maintiennent un intérêt constant, le roman s'affiche plus pour moi comme historique que policier. Les personnages tous réels en leur temps, même le commissaire Sauer, créent la structure de l'histoire - Histoire. L'auteur a bâti une trame historique fidèle mais a dû habiller de fiction la progression de l'enquête, qui n'a jamais réellement vu le jour, puisqu'interdite en plus haut lieu, trop génératrice de scandale pour son fuhrer et donc pour le mouvement lui-même.
Et c'est la proportion entre l'historique et la fiction qui selon moi ternit un peu ce récit : l'auteur a mené un tel travail de recherche, que sa restitution apparaît parfois comme fastidieuse au détriment d'une fiction, certes pas évidente à créer, 90 ans après, qui plus est sur une affaire "étouffée", balayée par la violence de l'Histoire qui suivra...

Indéniablement, l'auteur nourrit des descriptions des lieux, des évènements et des personnages, exigeantes et pointilleuses, mais cela occasionne parfois des longueurs (notamment les descriptions récurrentes des repas, dont le petit déjeuner...) qui, je trouve, nuisent à la dynamique de l'enquête. Non pas que cette dernière soit paresseuse, bien au contraire, elle est virevoltante! Sauer aura pris tous les moyens de transport possible, du tram, à la voiture conduite par le chauffeur d'Hitler, au train de nuit pour Vienne, jusqu'à l'hydravion piloté par Goering !

Mais si certains passages m'ont paru un peu longs, j'aurais aimé que certains autres soient plus approfondis. Beaucoup de personnes, dignitaires nazis ou proches d'Hitler, "à la mode" ou en disgrâce sont évoqués et j'ai dû prendre le temps, en marge de ma lecture, pour me documenter à leur sujet et poser un visage sur les protagonistes.
Alors bien sûr, ce n'est pas un roman sur la sphère hitlérienne, le noeud central restant l'enquête autour du décès de Geli. Mais le récit évoquant de nombreux personnages, il est bon de s'y retrouver pour ne pas "perdre le fil". Il est à noter qu'en bon historien, Fabiano Massimo a répertorié en fin d'ouvrage tous les protagonistes, en les classant selon leur rôle ou leurs liens : un addendum très utile !

L'enquête se déroule de façon linéaire du samedi 19 au vendredi 25 septembre 1931. Avec un dénouement qui est pure spéculation de l'auteur, mais reste tout à fait plausible. Nous ne le saurons jamais. Même d'Himmler, qui avait pour habitude de collecter des documents compromettants sur Hitler, aucun document sur "l'affaire Raubal".

Bien que l'auteur nous livre sa thèse, l'enquête a le mérite d'explorer scrupuleusement différentes pistes. Les rouages politiques de cette montée du nazisme sont bien éclairés et à travers l'histoire de Sauer, personnage souvent émouvant, qui incarne parfaitement son époque à plus d'un titre, Fabiano Massimi sonde toute une société à l'aube du désastre.

Reste pour clore cette enquête la magnifique page à la fin du livre, dédiée à la photo d'Angela, dont la jeunesse lumineuse et le timide sourire sont un pincement au coeur, car quelque soit la vérité, Geli aura sans conteste fait partie des premières victimes du nazisme.
Que Fabiano Massimi aura arrachée de l'obscurité de l'oubli.
Commenter  J’apprécie          374



Ont apprécié cette critique (33)voir plus




{* *}