"Elle trouva plusieurs exemples de personnes ayant peur de porter des vêtements ayant appartenu à un mort, surtout en Chine et en Indonésie. Par contraste, elle trouva des exemples de groupes culturels qui étaient heureux de porter des vêtements hérités. Ils croyaient que cela les rapprochait de leurs proches décédés."
Les vêtements des défunts étant au coeur de l'intrigue de Ghost Virus, j'avais envie de débuter cette critique par une de mes anecdotes personnelles.
Après la mort de mon père il y a trois ans, j'ai choisi quelques vêtements qui lui avaient appartenu, toujours à la mode et dans un état irréprochable. Des vestes, des ceintures, des t-shirts, ou encore deux pulls.
Les porter n'a rien de triste. Ca change un peu de mon allure quotidienne, et puis c'est une forme d'hommage au défunt aimé. Comme le dit la citation, c'est comme une façon de me rapprocher de mon père par delà la mort, et tout simplement de faire mon deuil.
Au bureau, plusieurs collègues m'ont un peu agacé. Les pulls étaient de la marque Lacoste, ce qui bien entendu faisait de moi un prétentieux s'affichant avec des habits de riche. Mais on ne m'embêtait pas davantage si j'en expliquais la provenance : le sujet était en effet sensible.
Jusqu'à rencontrer toujours plus con, plus indifférent, et me heurter un jour au mépris de quelqu'un que je renommerais Cendrine pour l'occasion, afin qu'aucun lien ne puisse être fait avec une personne réelle.
- Alors Anty, dis donc, tu te la pètes avec ton pull ! me dit une première collègue en montrant du doigt le petit crocodile en relief.
- Moi j'en n'ai vraiment rien à foutre, me dit Cendrine, avec le vocabulaire limité et vulgaire dont elle dispose.
Chagriné par ces mesquineries, je réitère mes explications avec amertume :
- Ce pull appartenait à mon père, ai-je simplement répondu à ces personnes qui connaissaient les circonstances tragiques lors desquelles j'avais du affronter la mort brutale et injuste de l'homme qui m'avait donné la vie.
Mais loin de comprendre l'aspect sacré du vêtement, celle qui n'aura jamais pris la peine de prononcer le moindre mot de soutien ou de condoléances répliqua dans son français extrêmement riche :
- N'empêche que j'en n'ai rien à foutre quand même.
J'aurais alors aimé me retrouver dans ce roman de Graham Masterton, et assister aux pires souffrances de Cendrine, dénuée à mon sens d'émotion ou de compassion.
"Le manteau était encore plus serré à présent, et elle sentit qu'il allait briser ses clavicules et écraser ses omoplates l'une contre l'autre."
Oui, j'aurais également aimé que les armatures de son soutien-gorge pénètrent sa chair jusqu'à lui percer les poumons. Que son jean lui colle aux jambes au point de ne plus faire qu'un avec elle, mêlant peau et fibres, au point qu'elle ne puisse plus le retirer qu'à condition de s'écorcher vive au passage.
Mais la vraie vie ne ressemble pas souvent aux romans du maître britannique de l'horreur.
Et quelque part ... c'est tant mieux.
Il aura fallu presque neuf ans.
Neuf ans entre la publication des romans La cinquième sorcière et Peur aveugle par Bragelonne en 2010 et celle de ce Ghost Virus par Livr's éditions en ce début d'année 2019.
Neuf ans sans qu'un seul des livres du prolifique écossais ne soit traduit en français. Ce sont plus d'une dizaine de romans du maître de l'horreur et du fantastique qui sont restés boudés par des éditeurs préférant sortir du cosy mystery, de la bit-lit, de la chick-lit, de la grip-lit ... Bref des genres de lit' qui m'agacent majoritairement profondément, surfant sur de simples effets de mode en les imposant aux lecteurs parfois désireux d'autre chose. Le fantastique horrifique est devenu une denrée bien trop rare.
Alors tout d'abord, un grand merci à cette petite maison d'édition belge spécialisée dans la littérature de l'imaginaire d'avoir osé aller à l'encontre des modes et de nous offrir, après une première nouvelle dans le recueil "Sans nouvelles" un véritable roman inédit de l'Ecossais.
Ce n'est plus François Truchaud qui est désormais le traducteur officiel, c'est Daniel Quentin qui s'est cette fois attelé à la tâche, et si sa nationalité se ressent ( "Ses vêtements étaient tâchés par la nourriture qu'elle laissait choir et, à septante-huit ans, elle était devenue incontinente." ), le travail accompli égale quasiment celui de son prédécesseur et on reconnaît très vite le pur style Masterton sans aucune ambigüité possible.
Il manque juste le fameux passage à la limite de la pornographie, mais à mon humble avis les deux ou trois pages de sexe n'ont jamais non plus été indispensables même si elles étaient presque devenues une marque de fabrique de l'Ecossais.
Si comme moi vous êtes un fan de la première heure ou presque ( J'ai lu le démon des morts en 1991 et progressivement la quasi totalité de ses oeuvres traduites à la seule exception du diamant de Kimberley ), vous pouvez foncer les yeux fermés. Ghost Virus est un excellent cru et ça fait vraiment plaisir de renouer avec celui qui a longtemps été mon auteur préféré, qui plus est avec un roman d'horreur de cette qualité.
Non, ce n'était pas juste la nostalgie qui parlait : Vingt-huit ans après ma découverte de l'illustre Ecossais, l'immense plaisir de lecture était toujours au rendez-vous. Et si vous avez adoré Démences, La nuit des salamandres ou Tengu, je peux vous promettre que Ghost Virus est tout aussi inspiré.
Il me reste maintenant à convaincre également les autres lecteurs. Ceux qui pourraient être effrayés par les mots "surnaturel" ou "horreur". Et qui pourraient se demander comment on peut écrire un thriller sérieux avec pour élément fantastique de simples vêtements, qui à priori ne font pas peur. Et pourtant ...
Détrompez-vous.
Ne soyez pas réfractaires, vous aussi vous pourriez être contaminé par l'écriture de Masterton.
"C'est une sorte de virus qui infecte les vêtements et leur donne la personnalité de leur dernier porteur, des gens qui sont morts."
Imaginez la démesure d'un Serge Brussolo associée à l'humour jubilatoire d'Anonyme et de son Bourbon Kid, et peut-être que vous commencerez à avoir une image plus précise de ce qu'arrive à réaliser Graham Masterton depuis son célèbre Manitou en 1975.
Un style unique, des récits hallucinants, où aucune description des pires horreurs ne nous est épargnée et où pourtant, on se délecte de ces atrocités notamment grâce à l'humour décalé et omniprésent que l'auteur manie à la perfection.
Ce second degré totalement assumé fait passer comme une lettre à la poste les nombreux passages où l'hémoglobine fuse encore plus que le champagne dans les romans d'Amélie Nothomb.
"Sa peau grésilla, bouillonna et fondit, dégoulinant le long de ses pommettes ainsi que sur l'oreiller."
Il n'y a rien de malsain pourtant, et c'est même le sourire aux lèvres qu'on assiste à la colère d'une enseignante qui, pour punir un élève, le jette par la fenêtre, où il termine sa chute empalé sur une grille.
Encore plus réjouissant, ce chapitre où la petite Mindy, possédée par la veste qu'elle porte, est emmenée par un pédophile notoire désireux de lui montrer son poisson rouge. Et où les rôles du coupable et de la victime seront pour une fois inversés.
Outre l'imagination délirante de l'auteur, ce qui le distingue de ses homologues écrivains d'horreur, c'est sa capacité à nous retranscrire les scènes avec les sons, les odeurs.
"La maison était chargée de l'odeur de mort, cette senteur doucereuse, mûrissante, fécale, qui remplissait leurs poumons à chaque respiration."
Et surtout, Masterton a toujours eu un don pour donner à ses descriptions un côté visuel très prononcé, quasiment cinématographique, au point que le lecteur n'a aucun mal à imaginer les pires abominations qui se déroulent dans le roman, souvent grâce à de petits détails du quotidien.
"Une fontaine de sang gicla sur près de quinze centimètres dans les airs, trempant son pyjama vert."
Et concernant les éléments fantastiques, ils n'ont rien non plus de rédhibitoire, bien au contraire ! Le lecteur a une bonne longueur d'avance sur les enquêteurs puisqu'il comprend très vite de quoi il est ici question. Une moitié des chapitres environ est consacrée à des personnages secondaires dont le portrait est brièvement esquissé et qui sont rapidement confrontés à des évènements inexplicables - et souvent tragiques - en lien avec les vêtements de seconde main.
"Comment l'essayage d'une veste avait pu la troubler autant ?"
"Elle tira sur les revers, essaya de l'enlever de ses épaules, mais en quelque sorte c'était comme si le vêtement se cramponnait à elle."
Et puis, la réponse aux inexplicables mystères est dans le titre du livre : ""Je suppose qu'en anglais on peut parler de ghost virus, de virus fantôme."
Le roman se lit tout simplement comme un très bon polar, ni plus ni moins. Il est construit de la même façon, avec du suspense et des rebondissements.
La police, ici représentée par le détective Jerry Pardoe et sa supérieure Jamila Patel, d'origine pakistanaise ( et plus ouverte d'esprit de par sa culture ), réagit avec scepticisme et cherche à tout prix à trouver des explications rationnelles à ces meurtres ou ces suicides inexplicables.
Comme vous et moi le ferions si nous étions confrontés à des évènements défiant notre imagination et notre esprit cartésien. Qui nous croirait de toute façon ?
Et comment gérer la curiosité des médias face à cette vague de tragédies sanglantes sans paraître bon pour l'asile ?
"Qui pourrait greffer de la soie dans la peau d'une femme ?"
A titre d'exemple, quand le roman commence sur les chapeaux de roue avec le suicide de la jeune Samira qui se verse de l'acide sulfurique sur le visage, c'est la piste du crime d'honneur qui est immédiatement privilégiée : Elle a probablement voulu fuir le mariage que ses parents lui imposaient et sa famille a souhaité la châtier pour avoir bafoué leurs traditions.
"Se marier lui aurait appris à être obéissante, comme une femme doit l'être."
Mais seul Jerry fait brièvement un lien avec le manteau gris qu'elle portait et qui a curieusement disparu.
"Ce pull... Il s'est enfui comme une grosse tarentule, et pourtant il n'est fait que de laine. Comment est-ce possible ?"
Et puis petit à petit, avec des séquences d'une inventivité extraordinaire dont certaines rappelleront sûrement Rituel de chair ( pour les connaisseurs ! ), Masterton exploite son idée jusqu'à son paroxysme, déroulant implacablement son originale idée de morts infestant les vivants, jusqu'au final un peu trop grand-guignolesque qui sera mon seul bémol.
Méfiez-vous en tout cas la prochaine fois qu'on vous offrira une écharpe ou un foulard en soie lorsque vous le mettrez autour de votre cou. Assurez-vous qu'ils n'aient pas été achetés d'occasion, sinon la strangulation n'est peut-être pas loin.
En ce début d'année 2019, j'ai donc pu réaliser deux de mes modestes rêves.
Tout d'abord, relire enfin un roman inédit d'un de mes auteurs cultes ( au même titre que Patrick Senécal ), en espérant qu'il rencontrera de nouveau tout le succès qu'il mérite et qu'il sera suivi de nombreuses autres publications. Achetez-le ! Encouragez cette jeune maison d'édition qui a pris un risque auquel se sont refusés les magnats de la littérature de l'imaginaire. Si vous avez du mal à vous le procurer, il est possible de le commander en ligne directement sur le site de Livr's éditions. Je vous dirais presque "Satisfait ou remboursé" si j'étais certain d'avoir la trésorerie nécessaire !
Et puis, le 10 février dernier, j'ai rencontré Graham Masterton en personne au salon des mines noires de Noeux-les-mines, qui proposait justement en avant-première ce nouveau roman.
Malgré la barrière de la langue et une certaine émotion, en plus de mes dédicaces sur La mort noire, Corbeau, Condor et mon édition originale de Rituel de chair, j'ai quand même réussi à baragouiner quelques mots en anglais pour lui dire toute l'admiration que je lui vouais, pour exprimer à quel point j'étais ravi qu'il soit de nouveau traduit dans ma langue. Lui aussi commençait à désespérer d'être de nouveau publié en France, alors que ses lecteurs sont toujours très nombreux. Et si j'ai bien compris, d'autres romans devraient suivre chez le même éditeur.
Si j'ai été surpris par le peu de monde présent à son stand, je l'ai également été par le nombre de "Ghost Virus" que s'étaient procuré beaucoup d'autres écrivains présents à ce même salon : Jacques Saussey, Armelle Carbonel, Gaëlle Perrin Guillet, et bien d'autres encore.
Alors si vous ne me faîtes pas confiance, accordez au moins celle-ci aux meilleurs auteurs contemporains de thrillers.
Commenter  J’apprécie         399