Un fléau aussi soudain que virulent s'abat sur l'humanité. Mortel ? Oui et non, et c'est bien là le problème : si la civilisation semble d'ores et déjà éteinte, la mort persiste à se défiler. Tout, même la mort, plutôt que devenir eux. Ainsi pense Robert Neville, survivant isolé face aux vampires de Los Angeles. Mais Neville est faible et s'accroche à sa misérable vie, même si celle-ci a perdu tout son sens. Et vous ? Que feriez-vous à la place de Neville ?
Richard Matheson signe ici une courte fiction devenue l'un des classiques du roman d'anticipation.
J'étais très curieux de découvrir l'oeuvre phare de cet auteur, publiée en 1954, quand même !
Des trois adaptations cinématographiques, je n'ai vu que la dernière (celle portée par
Will Smith). Probablement l'un des films de ce genre qui m'ont le plus marqué. Une suite semble prévue bientôt : affaire à suivre !
Eh bien, le roman est assez éloigné. Scénario différent, traitement différent. Je crois que pour juger au mieux les deux, il faut réaliser et conserver à l'esprit qu'ils ne visent pas les mêmes objectifs, et sans doute pas le même public. le roman est avant tout axé sur la réflexion philosophique, voire l'introspection. L'action y est rare et la tension quasi inexistante. En tout cas, si elle était voulue, je ne l'ai pas ressentie ; je m'en expliquerai après. le film est à peu près l'opposé : un pur produit de divertissement avec son suspense, son atmosphère angoissante et ses scènes d'action haletantes.
J'ai compris cela petit à petit en lisant, mais malgré tous mes efforts pour relativiser mes attentes, je n'ai pas adhéré plus que cela.
L'écriture est tout à fait correcte, rien à redire de ce côté-là. le roman est court, il se lit très bien, avec une structuration très claire en quatre parties divisées en courts chapitres. La narration est naturellement centrée sur Robert Neville. On suit son quotidien de survivant durant trois ans. le rythme est bon. Régulièrement, des flashbacks apportent quelques informations de contexte appréciables.
Les principaux points qui m'ont posé problème :
La crédibilité. Certes, il faut relativiser la crédibilité dans une fiction qui traite des vampires, mais on a parfois l'impression que l'auteur la recherche sur certains aspects, pour un résultat questionnable.
Par exemple, Neville est un alcoolique fini, dépressif, pas spécialement vif d'esprit ni prudent. Comment imaginer une telle loque humaine survivre à un tel niveau de danger et de menace permanents (après tout, le monde entier ou presque a succombé), sur une durée de trois ans qui plus est ? Sur ce point au moins, la comparaison avec le film me semble possible et éloquente :
Will Smith y incarne un ancien militaire et scientifique. Il est méthodique, prudent, prévoyant, armé, et entretient sa condition physique.
En fait, j'ai trouvé que le niveau de danger et de menace lui-même était mal rendu : malgré toute l'horreur presque quotidienne décrite, on a l'impression que Neville n'a jamais trop à se fouler pour s'en sortir indemne, y compris dans la seule action musclée (la scène de la course-poursuite). Un pain par-ci, un pieu par-là, et hop que je te ferme la porte au nez ! L'ambiance globale m'a semblé… allez, lâchons le mot : bonne enfant ! Une ambiance de série Z avec des affreux aussi effrayants et malins que ceux de l'excellent « Coupez ! » sorti dans les salles en 2022.
La dualité entre les vampires morts et les vampires vivants. Je sais, c'est technique ! Mais ce n'est pas un détail, puisque l'intrigue principale tourne justement autour de cette distinction. En réalité j'ai trouvé ces développements plutôt confus. On ne parle jamais de zombies ni de morts-vivants (quoique), mais dans les faits…
Un aspect saillant du roman est l'effort produit par l'auteur pour reprendre à son compte l'ensemble des caractères attribués traditionnellement à la figure du vampire : ses vampires s'y conforment en effet (en apparence du moins), et une bonne partie de l'intrigue consiste pour le héros à trouver une explication logique et crédible. J'y ai perçu un formidable exercice de style. Malheureusement, côté réalisation, on est loin du niveau des thrillers scientifiques modernes. Neville n'a aucune des qualités et compétences requises pour mener ce genre d'enquête, et son addiction au whisky n'aide pas davantage. Résultat : pendant la moitié du livre, on a droit à une succession d'errements pseudoscientifiques sans consistance. Cette longue recherche est finalement ponctuée par un éclair de lucidité mystique, et l'« explication » livrée dans sa totalité en un paragraphe, CQFD…
Les femmes ! Il y a quand même une fixation sur les femmes dans ce roman, c'est le moins qu'on puisse dire. L'ami Neville est complètement obsédé par les femmes. Quoi de plus naturel, hein ? Sauf que là on parle quand même de femmes vampires. L'argument de la disette sexuelle maintes fois répété ne m'a vraiment pas convaincu : quand sa vie est en jeu, la nature est bien faite en principe et la libido laisse place à l'adrénaline…
Mais c'est surtout le comportement de ces femmes vampires qui m'a fait tiquer, ou plutôt sourire : elles sont décrites comme se livrant aux postures les plus obscènes imaginables… Et pour un peu ça marcherait ! de vraies sirènes finalement…
La rencontre entre Neville et Ruth suit le même esprit : j'ai essayé de me représenter cette scène, où pendant une heure la jeune femme s'escrime à remonter son soutien-gorge déchiré, sans grand succès…
Cette tonalité bien marquée ne m'a pas paru servir la dimension angoissante du roman, si tant est qu'il y en ait une.
Quelques notes positives :
Certains chapitres se terminent sur des chutes dramatiques bien senties.
J'ai aimé la trame autour de Ben Cortman. En particulier son invariable rengaine : simple et efficace. Rien que ça, on comprend comment cela peut taper sur les nerfs à force.
Le dénouement, en plus d'être original, guide la réflexion vers un thème très intéressant… je n'en dis pas plus.
Globalement je peux dire que je n'ai pas vraiment accroché, même si cette lecture ne fut pas désagréable.
La chute vaut le détour, mais arrive bien tard et ne rattrape pas les faiblesses du reste du récit.
J'ai le sentiment qu'il y avait un peu trop d'idées explorées dans ce court roman, et je ne suis pas sûr de savoir si l'auteur souhaitait susciter l'angoisse, ce qui en soi pose problème.