Citations sur L'homme qui rétrécit (33)
Il se souvint du temps, vers la fin de son séjour dans les étages supérieurs, où il était incapable d'écouter de la musique sinon à si faible volume que Lou ne pouvait même pas l'entendre. Autrement la musique se transformait en un vacarme qui lui rompait les tympans et lui donnait la migraine. Un bruit de vaisselle lui mettait la cervelle en capilotade. Un éclat de rire, un cri de Beth l'agressait comme un coup de feu tiré à ses oreilles, le faisant grimacer et rentrer la tête dans les épaules.
Il connaissait l'existence de cette boîte de biscuits bien avant de se retrouver piégé dans la cave : c'était lui qui l'avait laissée là, un après-midi, il y avait de cela bien longtemps. Non, pas si longtemps, en réalité. Mais d'une façon ou d'une autre, les jours lui semblaient désormais plus longs. Comme si les heures avaient été conçues pour les êtres normaux. Pour quelqu'un de plus petit, les heures s'étiraient en proportion.
Il vit l'éclat venimeux des yeux de l'araignée .Il la regarda escalader une brindille de la taille d'un rondin ,le corps haut perché sur ses pattes que le mouvement rendaient floues jusqu'à atteindre le niveau des épaules de l'homme .
Le miracle, c'était que ces étoiles eussent à ses yeux le même aspect qu'il leur avait toujours connu, l'aspect qu'elles avaient pour tous les hommes. Scott était heureux: si petit qu'il fût, la Terre elle-même lui semblait minuscule par rapport à cette immensité.
Les poètes et les philosophes pouvaient bien raconter ce qu'ils voulaient sur ce qui faisait l'essentiel de l'homme, sur son infinie grandeur spirituelle, assurer qu'il était bien plus qu'une enveloppe charnelle. Quelles sottises !
Il frissonna malgré lui. Son destin était aussi impossible à imaginer que la mort. C'était même pire que la mort. La mort, au moins, est un concept précis; même inconnaissable, elle fait partie de la vie. Mais jamais personne n'avait tendu, comme lui, à cesser d'exister matériellement...
Depuis le début ; il n'avait cessé de fuir. Physiquement, devant les hommes, les enfants, le chat, l'oiseau et l'araignée, et - pi encore- mentalement. Devant la vie, devant ses problèmes et ses peurs ; reculer, battre en retraite, ne jamais faire front, céder, renoncer, se rendre, voilà tout ce dont il avait été capable.
Une pensée lui traversa soudain l’esprit : les araignées sont-elles comestibles ? Une crispation de son estomac lui fit écarter cette pensée et revenir au problème immédiat.
La mémoire était décidément une mécanique stupide, tout juste capable de réveiller de vieilles souffrances, de ressusciter des fantômes inaccessibles, de faire mal, inutilement...
Aussi longtemps qu’il serait doté d’une intelligence, il serait différent de l’insecte auquel il ressemblait par la taille et l’apparence extérieur, et c’était là à la fois la malédiction suprême et son unique chance de salut.