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Prix Goncourt 2018, "Leurs enfants après eux", des destins avortés entre espérance et réalité.

Dans l'Est de la France et ses hauts-fourneaux fermés, Nicolas Mathieu nous parle de « vies minuscules » pleines d'un espoir majuscule.

Moi, si j'étais un homme...
Cette chanson de Diane Tell rapidement évoquée dans ce livre pourrait peut-être en être l'esquisse.

Lorsqu'on a 14 ans et que l'on vit dans une région sinistrée par la désindustrialisation, on rêve d'un ailleurs différent. Entre le corps qui se transforme et les premiers émois à la vue d'une goutte de sueur s'écoulant entre deux seins, ou en piquant une barque pour aller voir plus loin, c'est comme découvrir une nouvelle contrée. C'est l'aventure qui commence.

Anthony ne veut pas de la vie qui l'attend : « licencié, divorcé, cocu ou cancéreux ». Dans son monde, « Les hommes parlaient peu et mouraient tôt ». C'est élevé dans ce milieu, « sur de grandes dalles de colère, des souterrains de peine agglomérées », qu'il ambitionne d'être quelqu'un d'autre, ne plus vivre sa vie à moitié, prisonnier de rouages qu'il ne maîtrisera jamais. Il veut exister.
Et, pour ça, il ne voit qu'une solution : « foutre le camp » !

Les années 90 en quatre étés
Une écriture à fleur de peau. Nicolas Mathieu met en scène Anthony, Hacine, Stéphanie, Hélène, Patrick et tous les autres par les descriptions charnelles de leurs sensations, de leurs émotions. le contexte est introduit culturellement par de nombreuses évocations d'objets ou de sujets typiques des années 90, et socialement, avec un portrait d'une ville imaginaire détaillée entre petits-bourgeois, familles populaires et « cassos ».

L'action se déroulera sur quatre étés : 1992, 1994, 1996, 1998. Et quatre chansons : Smells like teen spirit, You could be mine, La Fièvre et I will survive. Toute une époque restituée.
Une écriture à fleur de coeur. L'auteur replonge dans la jeunesse, avec des frissons dans le corps, de ceux qui ont connu cette période.

Mais Leurs enfants après eux n'est pas seulement un roman d'initiation ou générationnel. Nicolas Mathieu connaît l'art d'émouvoir mais aussi celui de dépasser les clivages.

Une vie à corps et coeur perdus
Être raisonnable, c'est ce que toute leur vie leur enjoint de faire : leurs familles résignées, les formations sans débouchés, les administrations donneuses de leçons ou les emplois abrutissants. Se taire, ne pas faire de vague, accepter sa condition. Mais à 14, 16, 18 ou 20 ans, on n'a pas l'âge d'accepter une « vie à peu près », une « vie peinarde et modérément heureuse », et se satisfaire « de salaires décents et d'augmentations raisonnables ».

Fuir, partir, tout quitter, tout sauf cette « vie réduite et anesthésiée ». Et en attendant le grand soir, avant le « pincement des petits matins blêmes » s'oublier dans la drogue ou l'alcool, s'occuper avec des menus larcins ou construire des trafics interdits mais remplis d'espoir, se griser de vitesse sur un vélo, une mobylette ou une moto. Courir, s'échapper. Et aimer, s'enivrer d'amour à en crever. Si comme dans la chanson de Diane Tell, être un homme, c'est être romantique, Anthony l'est, le problème est que la vie ne l'est pas avec lui.
« le paradis était perdu pour de bon, la révolution n'aurait pas lieu ; il ne restait plus qu'à faire du bruit ».

Ce serait donc ça être un homme ? Se contenter, se résigner, accepter sa condition ?
« Moi, si j'étais un homme, je serais capitaine ». Anthony, Hacine ou Stéphanie sont tous dans le même bateau. Un bateau « vert et blanc », comme dans la chanson. Deviendront-ils capitaines de leurs navires, maîtres de leurs existences ? Pourront-ils s'arracher aux affres de la reproduction sociale et du conditionnement culturel qui les étreignent et les empêchent de mener une vie libre.

À l'aide de personnages attachants et puissamment romanesques, Nicolas Mathieu nous offre une superbe ode à la liberté et une farouche dénonciation de l'injustice sociale.

À lire avec l'idéal d'absolu qui le caractérise, "Leurs enfants après eux", portrait d'une jeunesse qui refuse de vivre au rabais, bouleversant de justesse par son besoin illimité d'exister.

« De la vitesse, de l'oubli, à l'infini ». Merci Nicolas Mathieu.

Lu en septembre 2018.

Mon article sur Fnac.com/Le conseil des libraires :
Lien : https://www.fnac.com/Prix-Go..
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Voilà, c'est fini, déjà et, comme à chaque fois que je "sors"d'un bouquin qui m'a vraiment tenu en haleine comme celui-ci, les questions qui m'assaillent sont nombreuses. D'abord, moi qui suis d'une "autre génération", plus ancienne et qui ai donc vécu une autre adolescence, bien différente, aurais-je aimé vivre auprès d'Anthony, Hacine, Coralie, Steph et Compagnie dans ce bourg d'Heillange à la même époque? Heillange, c'est pour ces jeunes le désoeuvrement, la drogue, l'alcool, les menus larcins, la prise de conscience que, rester sur place, c'est se condamner à vivre la vie étroite et sans grand avenir, des parents. Le seul horizon, le seul espoir de liberté, c'est le départ vers un ailleurs plus attrayant, moins glauque et désespéré.
Il sera très curieux de constater que tous, sauf Steph, seront condamnés à se retrouver à leur point de départ, après avoir entrevu l'espoir, au Maroc pour l'un, au service militaire pour l'autre....
Ah, et puis, il y a la libération des moeurs, l'envie de "baiser"sans entraves mais pas sans préservatif , les maladresses, les envies de jouir sans envisager d'autre lendemain que le plaisir d'un soir....Et puis, de l'humour aussi, c'est vrai qu'il s'est souvent révélé gênant, ce satané frein à main et son copain, le levier de vitesse !!!!!
Les personnages sont touchants, irritants, séduisants, têtes à claques, paresseux, insolents mais tellement "attachiants", des ados, plus gamins mais pas vraiment adultes dont l'horizon semble tout de même bien bouché.
Alors, pour beaucoup de raisons, et bien qu'issu d'un milieu très modeste, je n'aurais pas aimé vivre dans ce bourg et avoir 20 ans à cette époque car quoi, ils sont jeunes et les portes se sont déjà refermées sur eux, ce qui n'a pas été le cas pour moi, même s'il conviendrait d'en dire un peu plus, ce qui n'est pas le sujet.
Ce livre est admirable de finesse, de subtilités, bien écrit, variant remarquablement récit et dialogues. Pour moi, c'est un des meilleurs que j'ai lus cette année et, si j'en crois les critiques, je ne suis pas le seul. J'ai cru y retrouver parfois l'atmosphère de "Malataverne"de B Clavel, qui m'avait beaucoup marqué en son temps.
Non, je n'aimerais sans doute pas retrouver nos héros , mais, par contre,j jaimerais bien les retrouver, mes 20 ans, et "savoir ce que je sais", comme on dit....
Je vous conseille cette lecture, sans aucune hésitation , et quel que soit votre âge, on y retrouve tout le parfum de sa propre histoire.
Ah, un dernier mot: ma fille avait 20 ans en 1998....Elle a "fini " un soir de match, avec des camarades, dans la fontaine de la ville...Et 1, et 2, et 3...zéro.
Et si je lui proposais de le lire, ce livre, ce serait sans doute l'objet d'un bel échange entre un père et sa fille, non?
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*** Rentrée littéraire 2018 ***

Leurs enfants après eux.
Magnifique titre pour un roman qui l'est tout autant, de la première à la dernière ligne.

Leurs enfants après eux. Est-on condamné à mener l'existence de nos parents ? Peut-on conjurer le sort et lever la malédiction, quitte à prendre des chemins de traverse ? Ces pères, ouvriers au chômage qui rabâchent la mémoire ouvrière et donnent à ceux qui ne l'ont pas vécu le sentiment d'être passés à côté de l'essentiel. Ces pères immigrés, « suspendus entre deux rives, mal payés, mal considérés, déracinés, sans héritage à transmettre. » Ces mères qui «  finissaient toutes effondrées et à moitié bonniches, à ne rien faire qu'assurer la persistance d'une progéniture vouée aux mêmes joies, aux mêmes maux »

Anthony, Hacine, Clem', Steph', enfants de prolos, d'immigrés, de petits-bourgeois dans une Lorraine sinistrée depuis la fermeture des hauts fourneaux, ne se résignent pas à ces vies qui leur sont promises en héritage. Années 90. Ils ont 14, 16, 18, 20 ans au fil de quatre chapitres qui nous font plonger dans leur être le plus profond, leurs émois, leurs rêves, leurs fantasmes d'adolescents puis de jeunes adultes. Leurs rêves et leurs dépouilles.

Ce roman est juste formidable dans sa façon de parler de cette jeunesse qui va se désenchanter au contact de cette putain de réalité. Toute la beauté brute, l'incandescence de la jeunesse est décrite avec une subtilité dingue. Tout est juste dans cette chronique de l'adieu à l'enfance pour laquelle tout n'est que promesse avant de s'y casser les dents. L'intensité , la précision, la crudité de la langue permettent à l'auteur de faire jaillir des personnages tous très attachants. La vie pulse en eux et on ressent chacune de ses pulsations. Surtout lorsqu'on suit Anthony, le personnage le plus lumineux, coincé entre un père qui sombre et une mère qui le protège comme une louve. On le voit grandir, évoluer mais toujours attaché à ses rêves.

Moi aussi j'ai eu 14 ans en 1992 et 20 ans en 1998, comme les personnages, comme l'auteur. J'ai savouré toutes les références générationnelles qui parsèment les pages. Mais ce roman va au-delà de la simple chronique réussie d'une jeunesse à un moment donné.
Malgré toutes ces clins d'oeil qui nous renvoient aux années 90, le propos est ultra contemporain sur la France d'aujourd'hui. En 2018, les choses sont-elles si différentes lorsqu'on entre dans l'âge adulte ? le roman se fait alors chronique sociale, politique même lorsqu'il fait écho à la rage de ceux qui se découvrent coincés comme l'ont été leurs parents dans la précarité ou la sclérose intellectuelle.
Nicolas Mathieu dresse là une carte des territoires de l'immobilité sociale, de la France des périphéries avec une rare acuité. L'écart est terrible entre Anthony, le fils de prolo, et Steph', la fille de petits bourgeois dont il est tombé amoureux. Lui ne voit pas le fossé qui le sépare. Elle, oui, d'emblée. le propos est sombre, certes, mais ne tombe jamais dans le pathos, traversé par des lueurs d'espoir qui éclairent tout. Un grand roman sur l'arrachement et le décillement. Une superbe fresque sociale et politique par l'angle de l'intime.

A écouter en compagnie de Nirvana
https://www.youtube.com/watch?v=0TbtMFOtiBc

Lu dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire Price Minister - Rakuten France 2018
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Pas de long commentaire , Sébastien a déjà tout dit.
Août1992: une petite ville de l'est de la France, perdue, résignée, comme rouillée , abîmée,brisée à l'ombre des hauts - fourneaux éteints., un lac immobile , un aprés-midi de chaleur écrasante, odeur de goudron, de poussière sèche ....

Anthony a quatorze ans lorsque s'ouvre le roman .
Nous le suivrons durant quatre étés , lui et d'autres adolescents , Hacine, Clem ....pris au piège des barbelés d'une vie sans échappatoire où le temps semble s'être arrêté ....figé....
L'auteur dresse un tableau brillant ---hyper réaliste ----des doutes, du désoeuvrement , des premiers émois amoureux, des rêves encalminés , non aboutis noyés dans l'alcool , la poisse, la résignation sociale , la fin de l'enfance , le drame du licenciement du pére ....
La construction est originale, l'écriture est riche, précise, vibrante, dense, vigoureuse, acérée.
Même si la trame est sombre et si ce texte conte la vie d'hommes usés au travail, de vies par défaut, le malaise , le son de la télé monté au maximum , les factures , l'odeur des gauloises , les bêtises des jeunes, l'ennui , l'échec, les faux départs, la nostalgie et le déclin, il est éclairé, électrisé par la lumière de l'été , les désirs sexuels, la rage de vivre,les questionnements : tous rêvent de fiche le camp mais la plupart de ces jeunes sont condamnés à mener une existence semblable à celle de leurs pères.
Anthony, ce gamin jamais heureux à l'école, son pére, sa mére, Steph, qui lui échappe sans cesse et se refuse .....
Le texte emporte le lecteur par son acuité, son extraordinaire sensibilité comme si l'auteur avait vécu cette période.....
Un récit bouleversant , déchirant , énergique, rageur, qui nous prend aux tripes, lu dans le train dans l'urgence emportée par la justesse de ces brouillons de vies , de toute beauté !
Comme une carte postale géante de ces années - là, grave, lumineuse et vivement colorée à la fois!
Semblable à un film au ralenti de cette France de l'entre- deux,loin, très loin de la mondialisation sans frein, la France d'une époque...une tragédie où la jeunesse devra trouver sa voie dans un monde qui meurt .......

" Il en est dont il n'y a plus de souvenirs,
Ils ont péri comme s'ils n'avaient jamais existé;
Ils sont devenus comme s'ils n'étaient jamais nés ,
Et, de même, leurs enfants aprés eux . "
Siracide. 44, 9.



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Août 1992, à Heillange, petite ville de l'Est de la France, Anthony, du haut de ses 14 ans, s'ennuie ferme. Il n'y a rien à faire ici, pendant les deux longs mois d'été. Avec le cousin, pour tromper leur ennui, ils volent des canoës et naviguent au gré du courant, tentant d'échapper aux monos du club qui les poursuivent. Apercevant deux jeunes filles au loin, ils décident d'accoster sur une berge. L'air faussement désinvolte, ils les approchent et les retrouveront à une soirée, plus tard. L'été ne fait que commencer... L'adolescence aussi...

L'on suit pendant quatre étés durant, de 1992 à 1998, le destin d'une bande d'adolescents, ô combien attachants, issus de différents milieux sociaux. Pourtant, dans leur coeur, cette même envie de vivre. Pleinement, chichement, intensément. Partir et découvrir un autre que cette ancienne zone post-industrielle, vestige des hauts-fourneaux aujourd'hui éteints Ne pas s'engluer et subir la même vie que leurs parents, même si, pour certains, il ne pourra en être autrement. En quatre tableaux, en quatre étés, en quatre saisons chaudes et étouffantes, Nicolas Mathieu dépeint avec force et intensité une véritable fresque chorale, sociale et familiale. Vibrant, passionnant et foisonnant, ce récit, bien que sombre parfois, est illuminé par l'étincelle, la fougue et l'énergie des adolescents. Ce portrait réaliste d'une France désoeuvrée est remarquable de par la justesse des mots et des dialogues, l'intensité et l'émotion qui s'en dégage et l'illusion, cruelle, qui leurre ces adolescents véhéments.
Remarquable !
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On se glisse sans mal dans cette histoire d'adolescents, en proie à leur désir de vivre et de s'émanciper, prisonniers sans le savoir du déterminisme social qui décide de la place de chacun, que l'avenir, brillant et tout tracé des uns, a déjà pour les autres un goût de médiocrité programmée.

Le titre est superbe, le ton est juste, les personnages crédibles et attachants, la situation d'une vallée en plein marasme économique est réaliste. Bref, le tableau se regarde avec intérêt et plaisir. Toutefois je serais tentée de dire que si Leurs enfants après eux est un roman bien écrit, au naturalisme très réussi, il lui manque peut-être, pour vraiment nous atteindre et avoir une portée plus universelle, une dimension émotionnelle.
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Heillange, les 90's. Une France de l'entre-deux, ni fauchée ni aisée, vue à travers des ados branchés mobs, alcool, shit et sexe. Une France pavillonnaire ou de cité, selon les origines. Les paternels d'Anthony et Hocine montrent le chemin de la violence comme remédiation à la vie et ses problèmes. Anthony veut se taper Steph, envisage l'ascension sociale par le sexe. Hocine est plus direct, son ascension il l'appréhende par le fric.
L'on suit ces ados et d'autres durant quatre été, de 92 à 98. L'écriture si juste n'en est presque plus une, elle se fait oublier et agit comme un scan social à l'acuité virtuose, l'immersion est permanente entre dialogues taillés dans le vif du vrai, réflexions incisives ou sexe à fleur de peau. J'ai pensé à Virginie Despentes, pour la facilité à tailler un portrait social dans la mouise.
Un roman, pffft.... Une claque plutôt. J'ai commandé le premier de Nicolas Mathieu.

« Être adulte, c'était précisément savoir qu'il existait d'autres forces que le grand amour et toutes ces foutaises qui remplissaient les magazines, aller bien, vivre ses passions, réussir comme des malades. Il y avait aussi le temps, la mort, la guerre inlassable que vous faisait la vie.  »
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Il y a des livres qui déclenchent immédiatement votre consentement de lecteur, sans qu'on puisse se l'expliquer clairement et encore moins s'y contraindre. Quoi de meilleur, pour nous lecteurs, que de consentir à une voix , de la 1ère à la dernière ligne, ce cadeau, le fameux livre qu'on a tellement envie de retrouver le soir ! C'est ce que j'ai éprouvé avec ce livre, j'y ai totalement adhéré.
Même si je lui ai trouvé quelques petits défauts: peut-être abuse-t-il un peu du langage formaté ado : "Nan mais genre..." L'intérêt étant malgré tout que cela donne une justesse aux dialogues et que cette "lourdeur" donne un poids naturel au texte, une attraction terrestre qui nous enfonce les pieds dans le béton du bal du 14 juillet, entre Johnny et Indochine.
Certains ont ressenti comme une forme de mépris pour ces laissés pour compte qu'il décrit. Ce n'est pas mon impression, j'ai plutôt senti au contraire que l'auteur était totalement immergé dans la question lancinante qui traverse tout le récit: celle de l'engluement social, qui a la fâcheuse tendance à faire retomber dans la vase ceux qui cherchent à s'en extraire.
Leur vie, qu'ils voulaient à tout prix différente de leurs parents (échapper au chômage, à l'alcoolisme, au machisme, et pire que tout à la routine), reprend la trajectoire elliptique d'un destin, une malédiction antique à laquelle on ne pourrait échapper. Ces vies qui viennent d'éclore, bourrées de toutes sortes d'énergies échevelées sont fauchées à leur tour par la malédiction sociale. Pour l'amour ou pour les bagarres, ça ne loupe pas, ils tombent toujours sur les mauvaises personnes.
Oui j'ai plutôt senti chez l'auteur à travers ce texte, une furieuse envie de déballonner un passif personnel sur tout ce gâchis.
La justesse des dialogues, des rapports humains, le thème fort de la pesanteur sociale, des désirs inassouvis aussi, tout cela fait qu'on s'attache à ses personnages, on a envie de les protéger, on espère avec eux , une éclaircie au moins, un moment magique qui catalyserait leur vie. A ne pas lire en diagonale car il y a des trouvailles littéraires à ne pas rater, des images inventives qui surgissent par à-coups. Un livre très prenant , qui prête à réflexion et aux émotions.
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Quelle frustration quand les livres qu'on aime se terminent...

Pour moi, il filera toujours,  par un 14 juillet radieux, sur cette  bécane empruntée, dans un instant éternel, suspendu,   faisant la nique au destin.
Grave heureux.
Anthony. ..

Quelle cruauté,
quand on sent que , derrière la dernière page refermée,  se ferment aussi les portes de la chance.
Quel déchirement,
quand les défis s'étouffent  comme des pétards mouillés  dans l'indifférence et la routine.


Pourtant, ils avaient tant rêvé,  tant déconné aussi: c'était si bon de ruer dans les brancards des vieux...

Eux, les fils, on ne les aurait pas. Ils ne seraient jamais comme leurs pères.

Les pères. Des alcoolos avachis, humiliés, depuis que s'était  éteint pour toujours le rougeoiement  des hauts-fourneaux qui leur faisait comme une aura.

La classe ouvrière n'ira pas au paradis.

Leur enfer, aux pères, c'est ici, à Heillanges, Lorraine, dans ce F4 miteux, même pas fini de payer, entre le vieux divan où ronronne la télé et le frigidaire plein de bières.

Ou alors leur enfer, c'est le regard que leur jettent leurs fils, à  ces éternels étrangers, pas vraiment d'ici, plus vraiment d'ailleurs,  naviguant entre  Lorraine et  Maroc, usés  par le travail, discrédités par le chômage.

Des pères à l'aura perdue, des pères à l'autorité disparue.
Patrick, Malek..

Non, on ne leur ressemblera pas! On y va, à cette teuf de bourges, on la pique, et même deux fois plutot qu'une, la bécane du vieux, on les drague, les poulettes à queue-de-cheval, on les fume , ces péts' , et même on les deale,  on n'a peur de rien, un jour on se tirera d'ici. On sera des caïds, on sera des héros.
 Anthony, Hacine...

On s'encanaille avec les "cassos". Pas question d'attendre, comme nos mères,  d''être veuves ou divorcées pour respirer enfin. On n'en veut pas de leur télé, de leur piscine. On s'encanaille avec ces bad boys, mais, passée la séance de mains dans la culotte, c'est la loose. On a tout compris du système, on a les codes, et puis le fric des parents, ça aide,  on y met un grand coup à l'école, sur le tard,  et on file, vers ces écoles de commerce qui sont le sésame- ouvre- toi de la réussite..
Steph', Clem...

Quel plaisir de vibrer, de sentir, de toucher, de trembler, de désirer,  avec cette petite bande, disparate et libre, de chiens fous, qui échappent , un temps, au carcan de leur classe,  dans ce grand charivari émotionnel et hormonal de l'adolescence où  ils sont tous égaux!
Anthony, Hacine, Steph', Vanessa, le cousin, Clem'...

Quel régal  de les entendre parler "djeun" (peut-être un peu moins "raccord" avec l'époque, leur tchatche a un goût d'aujourd'hui, me semble-t-il...ou alors ces petits lorrains des 90's  étaient grave des précurseurs), de les voir prendre des poses blasées , pas dupes, - "Mais nan? - Sérieux?" - "Trop pas! " "Grave!", quand leur coeur bat la chamade..

Quelle joie de sentir , malgré la chape de plomb qui inexorablement retombe sur eux,  l'immense tendresse, contagieuse, de l'auteur pour ses personnages!

Quelle admiration devant la mécanique impeccablement huilée du "suspense" qui jamais ne cède aux effets faciles, devant la construction impeccable, savante même  qui orchestre avec maestria cette moderne  tragédie du déterminisme social.

En quatre actes, six ans, quatre fêtes- et quatre chansons - B.O. résolument années 90!- autour d'une moto empruntée,  volée, brûlée, remplacée, Nicolas Mathieu avec un humour assez  tendre et une  lucidité un peu cruelle- ou est-ce un humour cruel et une lucidité tendre?-  déroule, brillamment ,  cette chronique d'un échec annoncé. 

Et nous on s'attache, on compatit, on rit, on tremble...

Un pur bonheur qu'on aimerait ne jamais voir finir.

- Tu te répètes, là.  Tu vas pas t'en remettre, de l'avoir fini, ce bouquin..
- Trop pas!
- T'es grave mordue, alors?
- Grave!
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Si le propos du roman tourne autour d'un double vol de moto, l'enjeu est beaucoup plus ambitieux. c'est le portrait d'une jeunesse désabusée, à l'avenir peu reluisant, et qui malgré l'accès en théorie plus facile à l'instruction, ne s'en sortira pas mieux que ses parents, conformément au paradoxe d'Anderson, titre éponyme de Pascal Manoukian. Ados paumés, gouvernés par leurs hormones, parents à la dérive, décors miteux, et prise de conscience progressive de la vanité des rêves d'enfant, auxquels se subtilisent la drogue et le sexe.

Pas de langue de bois, le style est plutôt cru. On est loin du Grand Meaulnes et des élans romantiques qui firent la gloire des auteurs publiés il y a cent ans!
Mais les dialogues sont d'une authenticité rare. On les entend, Anthony, Hacine, Steph, et les autres. Pas grand chose à ajouter pour que le texte se transforme en scénario.

Même si c'est désespérant, à moins de jouer la politique de l'autruche, force est de reconnaitre que c'est ce qui se déroule sous nos yeux en ce début de vingtième-et-unième siècle. Nicolas Mathieu réussit cependant à alléger le propos avec des situations cocasses.

Belle découverte d'un auteur propulsé par le Goncourt, même Nicolas Mathieu avait déjà connu le succès avec Aux animaux la guerre, adapté au cinéma, qu'il est très tentant de lire et de voir pour explorer cet univers, digne des romans naturalistes du siècle passé.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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