La traversée du miroir.
Que fait ce jeune homme devant le n°4 de la Grisâtre et une nuit précisément ?
Il vient creuser le passé et pour cela il choisit les lieux car « ils ne mentent pas », alors que chacun peut faire de petits arrangements avec ses souvenirs, mais face aux lieux cela devient plus difficile.
Le lecteur suit ce petit garçon de 6 ans dans sa vie de banlieue où l'école à une grande importance. Parlons-en de l'école, lui qui « saute » une classe car détecté HPI.
« La banlieue pour ça c'est une leçon ! Ça vous forge une prudence comme il faut à l'égard des hommes. Parce que j'évoque les gamins, mais faut voir les parents. Jamais ils ne sont sortis de la grisâtre. Tout voyage est une infidélité. Sont devenus tout ce qu'ils voulaient pas. Passés à côté du moindre instant. A côté de leurs gosses. A côté d'eux-mêmes. »
Le narrateur nous croque des portraits savoureux, Mie Joss, oncle Horace, le frangin Jérémie, les copains Malik et Louis, et l'amoureuse Camille, à grands traits mais sans caricature, juste avec une immense humanité.
Portrait de Mie Joss, la grand-mère du côté paternel :
« Ensuite elle m'a souri. Une dent par-dessus l'autre, les deux lèvres en zigzag. Elle en devinait beaucoup. A mon propos elle en savait bien plus que moi. Mais elle avait la délicatesse de ne pas tout me dire… »
Un regard qui engrange, des mots qui jaillissent pour dire l'errance, le délitement de ces zones et faire comprendre que les murs sont lisses, à l'école et ailleurs, pour ces gamins, même ceux qui s'accrochent, glissent.
Du regard de l'enfant qui s'émerveille de tout mais reste vigilant, il passe au regard désenchanté sur un monde qui change en laissant les mêmes en lisière, encore et encore, un monde qui repousse, qui oppose, qui méprise.
Alors les parents doivent faire avec et les enfants, hommes en devenir que sont-ils censés faire avec ça ?
Un monde de la surconsommation qui ne fait qu'alimenter les petits arrangements jusqu'aux grands dérapages.
On ne vit pas, on existe par ce que l'on peut montrer.
La solution ne vient jamais de l'extérieur mais de soi.
J'ai aimé cette voix particulière et ce regard d'
Hector Mathis découvert avec
K.O puis
Carnaval, celui-ci n'est pas une suite, il va à rebours et est encore plus maîtrisé, dans ce chant de la Grisâtre.
Une lecture à fleur de peau, car les mots sont comme des larmes au bord des cils, pour un regard déciller sur le monde.
Une langue qui, contrairement au titre du livre, n'est pas morte, car elle pulse, avec puissance souvent comme les coups d'un boxeur, mais aussi avec beaucoup de poésie, elle claque et vous caresse, elle alterne tous les possibles pour nous dire la solitude, l'abîme d'un monde où il n'y a pas de la place pour tous.
Un combat où parfois il faut prendre la clef des champs pour ne pas sombrer.
« Depuis tout petit je suis un fuyard. Je suis de la race des déserteurs… »
Une certitude,
Hector Mathis a trouvé sa voie pour donner de la voix avec talent.
Ma lecture a été percutée par l'écho des paroles de Course contre la honte de
Richard Bohringer et
Grand Corps Malade :
« Sur l'avenir de nos enfants il pleut de plus en plus fort
Quand je pense à eux pourtant, j'aimerais chanter un autre thème
Mais je suis plus trop serein, je fais pas confiance au système
Ce système fait des enfants mais il les laisse sur le chemin
Et il oublie que s'il existe, c'est pour gérer des êtres humains
On avance tous tête baissée sans se soucier du plan final
Ce système entasse des gosses et il les regarde crever la dalle »
©Chantal Lafon
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