Dans certaines situations, vaut mieux éviter de penser, de retourner des trucs dans sa tête. C’est ce que j’essaie de faire en me concentrant sur la conduite. J’essaie de pas penser au toucher sur ses hanches, à la douceur du tissu et, dessous, à la fermeté du corps menu. J’essaie de pas penser au sourire qu’elle avait quand elle descendait la rue, tout à l’heure. J’essaie de pas penser à ses yeux, noirs, brillants, à ses seins que je ne prendrai jamais dans mes mains, à ses jambes entre lesquelles je n’irai jamais… A force d’essayer de pas y penser, j’en ai plein la tête, de Louise, plein les yeux, le ventre, le cœur, le futal.
On essaie de pas se faire trop emmerder mais quand la mouise est là, alors faut l’encaisser, fermer son clapet en attendant des temps meilleurs…
On se sent s’envoler, décoller, on a le corps tout entier qui s’ouvre, les bras qui s’écartent, un peu comme si on voulait se retourner de l’autre côté, comme une peau d’avocat, comme si on souhaitait accueillir la terre entière contre soi…
Après des débuts plutôt difficiles (l’alcool favorise certains rapprochements mais ça s’arrête là) je suis à même de me lancer dans des acrobaties dont je m’étonne moi-même.
La rapidité, voilà le nerf de la guerre… blitzkrieg ! Attaque en piqué, stukas, Luftwaffe et tout le reste.
La meilleure défense restant encore l’attaque et cette soirée étant déjà forte en émotions, je n’hésite pas un instant, la plaque contre moi après avoir posé mon sac et l’embrasse amoureusement sur la bouche. Le coup a été promptement porté, avec précision, elle n’a pas eu le temps de faire quoi que ce soit pour se défendre… ou pour approuver.
On se connaît à peine et elle se confie à moi comme ça, comme si j’étais son grand frère ou un proche. Etant donné les circonstances, c’est plutôt comme un usurpateur, un traître que je ressens la chose.
Savourer… un bien grand mot pour une banlieue aussi glauque, en tout cas de nuit. Nous circulons au milieu de maisons ternes, grises, presque noires de crasse pour certaines. Nous croisons des silhouettes, des ombres dans les mêmes teintes.
Toute histoire démarre petitement, vaut mieux se dire ça si on veut éviter l’avalanche d’euphorie, la chute d’ivresse meurtrière… Les gens tirent une tronche, là dedans ! Teints cireux, cadavériques. C’est pas l’éclairage qui va arranger le tableau… On se croirait dans un charnier. En tout cas, pour l’odeur, ça doit pas être très loin.
L’espoir revient en même temps que la trouille mais également une sorte d’excitation, le frisson du risque.