De théories, M. Rodin n'en a pas plus que d'idées préconçues sur (( les Sujets » en art. Il a un sujet, l'Humanité. Il a des idées générales, sans paraître s'en apercevoir. Il est symboliste, en l'ignorant. Il a créé des allégories parfaites, et ne l'a peut-être pas su. Il sculpte des passions. Il a quelquefois emprunté des sujets à la mythologie, il a fait des faunes, des Parques, des Icares. Mais d'un seul coup il a pénétré le vrai sens de cette admirable mythologie, que les sculpteurs et les peintres conventionnels nous avaient rendue odieuse : il en a saisi l'esprit sans même se douter qu'on pût s'attarder à en exprimer le côté anecdotique. On lui a prêté une philosophie, une morale, une perversité : il n'a rien de tout cela.
Auguste Rodin est aujourd'hui en pleine possession d'une gloire qui, relativement à quarante années d'incessante production, s,est fait attendre : l'artiste l'a fait surgir de bloc rugueux de l'indifférence et de l'aveugle injustice coups de ciseau, chaque jour, et elle s'éveille à peine, pure et se souvenant encore des heures mauvaises, comme cette muse tressaillante et lentement dégagée de l'obscure matière, qui rêve derrière l'épaule de Victor Hugo dans l'admirable hommage que le génie du sculpteur rend au génie de poète.