Il faut voir enfin cette exquise petite pointe-séche un peu teintée qui nous montre un juif attablé en cabinet particulier avec deux filles. L'une, en pantalon, est assise sur ses genoux. L'autre, vêtue correctement, les laissant s'ébattre, est tout occupée de bien assaisonner la salade russe. C'est extraordinaire de joliesse et de muflerie, et c'est fini, précieux et net comme une miniature. Là encore il y a, dans quelques centimètres carrés, trois caractères complets, une synthèse sans défaut. Le morceau est tracé avec la précision élégante d'une phrase de grand styliste; on pense à la façon dont, en leurs romans impressionnistes, les Concourt ou Paul Adam cernent d'une phrase lancée en coup de fouet un aspect de la vie qu'elle semble capturer et jeter tout frémissant devant nous.
Il existe des milliers de types caractéristiques également éloignés des femmes en savon rose de Bouguereau et des femmes difformes et faisandées qu'on voit dans les toiles de trop de néo-impressionnistes. Un homme sain ne voudrait ni de ces fausses déesses ni de ces malheureuses.
Le Courrier Français était souvent poursuivi pour outrages aux bonnes moeurs et se défendait en invoquant les grands truismes de la liberté, de l'amoralité du Beau, de l'horreur du vice inspirée par sa représentation.
En 1887, Legrand entrait au Courrier Français. Il donna un dessin par numéro hebdomadaire pendant près de cinq ans, et y conquit la faveur d'un certain public. Deux de ses dessins lui valurent des poursuites pour outrages à la morale : il fut condamné et villégiatura à Sainte-Pélagie.