Professeur de philosophie diplômé en science des religions, l'auteur français
Xavier Mauméjean s'est solidement imposé dans le milieu de l'imaginaire français avec des romans de fiction historique tels que Ganesha ou
La Vénus Anatomique.
Depuis, l'écrivain s'est illustré en littérature blanche chez Alma sans pourtant jamais renié son affection particulière pour les mauvais genres, bien au contraire.
Considéré comme l'un de ses romans les plus marquants,
Car je suis légion oublie le XVIIIème siècle pour remonter le temps et s'intéresser à la période Néo-Babylonienne soit le VIème siècle avant J.C.
Comme d'habitude avec
Mauméjean, nous voici ballotter entre surnaturel et fictionnel, entre historique et romanesque.
Bienvenue dans la Babylone du Roi des Rois, Nabuchodonosor II.
L'Histoire comme terrain de jeu
À la façon d'un
Guy Gavriel Kay,
Xavier Mauméjean raffole des toiles historiques pour construire ses fantaisies.
Cette fois, c'est à Babylone que le français situe son action et pas à n'importe quelle période, celle de l'apogée de sa gloire sous le fameux roi Nabuchodonosor II.
Il nous présente l'Ordre des Accusateurs, sorte de magistrats-guerriers qui font respecter la loi dictée par le Code de Hammurabi. Alors que Babylone semble toute puissante dans la région, une catastrophe se prépare en coulisses : le dieu Madruk, divinité tutélaire de la ville, n'est plus en mesure de protéger la population…il lui faut du repos ! Alors que les prêtres « suspendent » le temps et que le Roi s'enfuit, la mégalopole sombre dans la folie convoquée par Tiamat, déesse du chaos.
Seul
Sarban, accusateur respecté de tous, s'entête à vouloir enquêter sur un meurtre au milieu des charniers et de ce qui a tout l'air d'une fin du monde.
Épaulé par Casdim, un autre juge particulièrement perspicace,
Sarban va découvrir qu'il est l'un des derniers remparts contre la chute définitive de Babylone la grande.
Dès le départ,
Car je suis légion est un prétexte.
Xavier Mauméjean profite de la présentation du jeune
Sarban pour décrire Babylone et son époque. Il convoque mythes et dieux, prophéties et coutumes. L'écrivain passe en revue le système juridique et les traditions ancestrales pour montrer l'intrication des deux avant de nous emmener au coeur de la grande cité pour nous en décrire la majesté, une majesté qui n'aura de cesse d'émerveiller le lecteur grâce à la prose riche et particulièrement évocatrice d'un
Xavier Mauméjean passionnant.
Puis, rapidement, le prétexte d'une intrigue babylonienne s'éloigne. Si le français s'amuse visiblement dans la description d'une période historique plutôt méconnue, il n'en oublie pas qu'il a une histoire à mener. Dès lors,
Sarban n'est plus un simple novice prêt à se jeter dans un parcours initiatique lambda mais l'acteur d'une intrigue plus vaste et complexe à mi-chemin entre l'Apocalypse mythologique et l'enquête policière.
La fin du monde
Car je suis légion, comme les autres romans de
Mauméjean, est une collision des genres. le lecteur assiste à la suspension du temps par les juges sur un motif purement religieux (et donc fantastique) et l'histoire de
Sarban bascule dès lors dans un tout autre registre qui ressemble à s'y méprendre à une fin du monde. Babylone devient folle et ses habitants se jettent les uns sur les autres telles des bêtes.
Xavier Mauméjean imagine que l'Apocalypse survient à la suite d'un élément aussi simple et révélateur que la suspension des lois humaines, comme si l'absence de règles faisait totalement régresser l'homme. Plus qu'une catastrophe mythologique (arguée par les prêtres de Marduk), le torrent de violences qui s'abat sur Babylone trouve ses racines dans la nature humaine, ni bonne ni mauvaise, comme le dit si bien
Mauméjean dans un instant de philosophie, mais modelable à souhait dès lors que les contraintes sociales sont levées. Ainsi, sans loi, sans cadre, l'humanité s'effondre.
En réalité,
Car je suis légion est une Apocalypse juridique. Ce qui ne manque pas d'originalité. À côté des visions d'horreur qui parsèment le roman,
Xavier Mauméjean immisce une intrigue purement policière avec l'enquête de
Sarban qui prend de plus en plus de place dans le récit avant de rejoindre la grande Histoire pour conclure en beauté la réflexion amorcée par l'auteur :
l'homme, en l'absence de la Loi, peut-il être juste ?
Question d'identité
L'autre grande préoccupation de
Mauméjean dans
Car je suis Légion, c'est l'identité. L'auteur réfléchit tout du long sur les multiples visages de ses personnages. Si Matali est une épouse, elle est aussi une élue d'Inanna et une mère.
Sarban, quant à lui, assume sa charge d'accusateur, mais reste un homme, un citoyen, un époux et un père.
Comment gérer ces multiples identités et faire en sorte que l'une n'empiète pas sur l'autre ? Un accusateur représente sensément la Loi, au sens noble du terme, mais il semble pourtant bien difficile de superposer cette fonction théorique aux sentiments humains et, même, citoyens.
Le jugement d'un homme peut-il être le même qu'un juge ? Certainement pas.
Dès lors, où s'arrête l'homme-fonction et où commence l'homme-émotion…et comment concilier les deux ?
Dans
Car je suis Légion,
Xavier Mauméjean s'interroge sur l'unidimensionnalité de ses personnages et conclut que la nature d'un individu et son identité peuvent changer avec le contexte dans lequel il évolue.
Quand le Mal rôde et que l'Apocalypse menace, il faut parfois savoir utiliser autre chose que des tables de Lois pour survivre.
À ce titre, la seule vraie déception vient du méchant de service, Haraïm, qui illustre certes l'inadéquation entre moralité de juge et orgueil humain mais qui apparaît tellement manichéen qu'il en devient un cliché ambulant du méchant bêtement méchant. Même
Sarban connaît la haine et l'envie du sang quand Haraïm ne cessera jamais d'être fermé et belliqueux. Dommage.
Reste pourtant que la fusion quasi-parfaite du genre policier et fantastique porte ses fruits et que le lecteur ne s'ennuie jamais, gentiment trimbalé entre horreur(s) et philosophie sans jamais se rendre compte que l'enseignant derrière l'écrivain instruit en catimini.
À la fois palpitant et ludique,
Car je suis Légion impose le génie d'un
Xavier Mauméjean à la fois conteur, historien, professeur et philosophe. Jamais rébarbatif et souvent surprenant, cette enquête au coeur d'une Babylone apocalyptique navigue entre les genres avec une aisance rare…et on en redemande !
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