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Critique de JeanLouisBOIS


La fin des grandes familles.

L'argent est, paraît-il ce qui mène le monde et les hommes. Ce n'est pas François Mauriac qui aurait dit le contraire. Après avoir lu Les Chemins de la Mer, on en ressort plus que persuadé. Mais ce thème banal et patent dans tout le livre est loin d'être le seul et le plus exploité. Il fait figure de toile de fond, on s'y réfère souvent mais une fois acceptée son existence et sa prégnance, on constate qu'il sert plutôt à faire bouger hors d'eux-mêmes des personnages qui recherchent d'abord la stabilité d'une société bourgeoise aux valeurs établies une fois pour toute. Les sentiments, les passions s'avèrent être le deuxième moteur bien plus fondamental et bien plus perturbateur de ce monde bien ordonné et qui se perpétue grâce à une bonne dose d'hypocrisie. Les nouvelles générations participent de cette régénération des idéaux mais c'est principalement par la fuite et l'évasion de ce monde clos qui leur devient vite invivable, la grande ville (Bordeaux ou Paris) devenant le symbole de la liberté. Même si certains conservent encore un esprit casanier et traditionnel, ils se retrouvent pratiquement marginalisés.
L'unité du roman se bâtit sur les destinées de ces êtres perdus et qui cherchent malgré tout à essayer de se comprendre. Rose et Denis partagent une sorte d'amour discrètement et « sourdement incestueux », figure de l'amour impossible. Pierre Costadot, le poète, qui écrit des vers que l'on retrouve dans toute la trame du livre et qui reflètent les différentes situations que les personnages principaux sont appelés à vivre et dont le titre Atys et Cybèle, figure lui aussi de l'amour interdit. Enfin, Landin, le clerc de notaire, dévoyé, menant une vie de débauche, homosexuel malheureux et qui incarne un certain nombre des fantasmes de l'écrivain. Leurs destins seront évidemment tragiques dans le sens où ils ne s'épanouiront pas dans la vie qu'ils ont choisie. Mauriac nous montre souvent des personnages incapables d'introspection, inaptes à réfléchir sur eux-mêmes du fait de leur vie sociale et du matérialisme ambiant. Seules les âmes troubles et tourmentées parviennent à porter sur les autres et sur elles-mêmes un regard lucide, mais cette clairvoyance ne leur apporte pas un surcroît de bonheur, mais bien une solitude plus pesante.
Les Chemins de la Mer est un roman typique de Mauriac, mêlant une ambiance trouble à souhait, un rapport étroit entre le paysage et l'état d'âme des protagonistes, un pessimisme omniprésent, une réflexion à la fois constante et discrète qui n'entrave pas le cours de l'histoire et une construction parfaitement maîtrisée tant pour le style que pour le récit. L'amour sous toutes ses formes apparaît comme le révélateur des caractères des différents personnages souffrant de leur relation aux autres et de leur sentiment d'une profonde solitude. Il faut aussi souligner que, dans ce roman, encore davantage qu'habituellement chez Mauriac, les sentiments et les situations sont suggérées, sous-entendues, sous-jacentes ou seulement évoquées. Pour Mauriac, l'important, c'est la psychologie des protagonistes et leurs réactions face à l'adversité. L'auteur reste toujours au seuil du récit sans jamais enfermer ses personnages dans des cadres définitifs ou rigides. Ce roman réclame ainsi une lecture attentive de façon à bien pénétrer dans les arcanes de son déroulement, sinon on peut très facilement « décrocher » et passer à côté de l'essentiel.
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