Thérèse songeait que les êtres nous deviennent supportables dès que nous sommes sûrs de pouvoir les quitter.
Que peut-elle redouter ? Cette nuit passera, comme toutes les nuits ; le soleil se lèvera demain : elle est assurée d'en sortir, quoi qu'il arrive. Et rien ne peut arriver de pire que cette indifférence, que ce détachement total qui la sépare du monde et de son être même. Oui, la mort dans la vie : elle goûte la mort autant que la peut goûter une vivante.
Les êtres que nous connaissons le mieux, comme nous les déformons dès qu'ils ne sont plus là !
Jamais elle n'avait désiré si ardemment de vivre ; jamais non plus Bernard ne lui avait montré tant de sollicitude... Je n'en étais pas plus touchée qu'une nourrice étrangère que l'on étrille pour la qualité de son lait. Les La Trave vénéraient en moi un vase sacré ; le réceptacle de leur progéniture ; aucun doute que, le cas échéant, ils m'eussent sacrifiée à cet embryon. Je perdais le sentiment de mon existence individuelle. Je n'étais que le sarment ; aux yeux de la famille, le fruit attaché à mes entrailles comptait seul.
Une lettre exprime bien moins nos sentiments réels que ceux qu'il faut que nous éprouvions pour qu'elle soit lue avec joie.
Les êtres nous deviennent supportables dès que nous sommes sûrs de pouvoir les quitter.
Les êtres que nous connaissons le mieux, comme nous les déformons dès qu'ils ne sont plus là ! Durant tout ce voyage, elle s'était efforcée à son insu, de recréer un Bernard capable de la comprendre, d'essayer de la comprendre ; mais, du premier coup d'œil, il lui apparaissait tel qu'il était réellement, celui qui ne s'est jamais mis, fût-ce une fois dans sa vie, à la place d'autrui ; qui ignore cet effort pour sortir de soi-même, pour voir ce que l'adversaire voit.
Les gens qui ne connaissent pas cette lande perdue ne savent pas ce qu'est le silence : il cerne la maison, comme solidifié par cette masse épaisse de forêt où rien ne vit, hors parfois une chouette ululante ( nous croyons entendre, dans le mail, le sanglot que nous retenions).
Les "coeurs sur la main" n'ont pas d'histoire ; mais je connais celle des coeurs enfouis et tout mêlés à un corps de boue.
Douleurs et joies naissent des plus innocents plaisirs.