Un adolescent d'autrefoisFrançois Mauriac (1885-1970)
Académie FrançaisePrix Nobel 1952
Maltaverne au début du vingtième siècle : un domaine de deux mille hectares au coeur de la lande au parfum de pin brûlé et aux troncs constellés de papillons collés à la résine, seulement traversé par la Hure, l'unique ruisseau de
Maltaverne, bordés de vergnes aux reflets bleutés et d'osmondes où chantent les grillons et les sauterelles et volètent des libellules fauves, et cachant de beaux brochets et des assèges qui font le bonheur des pêcheurs que sont les fils du régisseur du domaine.
Alain Gajac, le narrateur, est l'héritier du domaine. Il a dix sept ans. Il a reçu un enseignement catholique très strict contre lequel il va souvent se rebeller. Il aime la littérature et la philosophie, féru de
Blaise Pascal et de Bergson. Il veut devenir écrivain. M. le Doyen dit de lui qu'il a un mauvais esprit parce qu'il pose des questions que personne ne lui a jamais posées. Alain ne fait pas de sport et a la force d'un poulet, il rougit quand il entend parler des filles. Enfin, bien que croyant, il exècre la religion que pratiquent ses proches mais ne se coupera jamais de la vie sacramentelle. Il aime jouer des tours à M. le Doyen lors de la confession lui faisant croire à toutes sortes de balivernes, notamment qu'il voue un culte profond à un arbre qui est son refuge et son confident. Il est un garçon différent des autres. Son meilleur ami est Simon Duberc, le fils du régisseur du domaine, séminariste, visant la prêtrise et que l'on appelle déjà l'abbé car il porte la soutane depuis ses quinze ans.
Précoce, Simon est suspecté d'avoir une relation avec la femme du maire, Madame Duport qui l'invite chez elle de façon répétée, et l'affaire alimente les conversations du voisinage. Attiré par les idées du maire M.Duport, Simon s'éloigne peu à peu du destin que lui avaient tracé ses parents de devenir prêtre. Alain est alors investi de la mission de ramener Simon dans le giron de l'église.
La mère d'Alain aime son fils, mais exerce sur lui une constante domination sans s'intéresser vraiment à lui car rien ne l'intéresse à part ses propriétés et l'héritage éternel, une manière de folie avec en point d'orgue la mort vaincue par l'héritage. Sa passion charnelle de la propriété se manifeste dans l'orgueil qu'elle a d'avoir des pins sur pieds, alors que beaucoup qui devraient être coupés, pourrissent et perdent de leur valeur.
Alain va souvent à Bordeaux et fréquente une librairie où il rencontre une femme dont il va tomber amoureux : c'est Marie, la commise de la boutique. Rapidement il la désire. Il lui parle mariage. Plus âgée qu'Alain de quelques années, elle a déjà un passé et surtout elle n'a pas de dot ce qui rend folle Madame, la mère d'Alain qui passe sa vie a compté les stères de bois et se confiner dans une attitude bien-pensante parfumée d'eau bénite. Madame n'aime pas la terre, elle aime la propriété, a le goût de la domination sur une vaste étendue. On va vite à la confrontation entre la mère et le fils. le père est décédé depuis de longues années.
Quand on s'appelle Gajac, on ne se commet pas avec une employée libraire. Madame a des vues pour son fils pour accroître le domaine : attendre la petite Jeannette seule héritière de l'immense domaine de Numa Séris, fillette qui n'a que dix ans et l'épouser pour se retrouver à la tête d'une forêt de pins doublée en surface. Madame veut que son fils connaisse le bonheur de régner et non celui de flirter avec une fille telle que Marie. Elle l'imagine déjà avec Jeannette et telle une vieille régente se voit tirer les ficelles dans le royaume de son fils. L'amour des corps, elle ne connaît pas, ne l'a pas connu, et elle immole déjà son fils pour la gloire de la famille.
Entre Alain et Marie, les choses se compliquent forcément, le jeu de Madame opérant son oeuvre destructrice. Et Alain d'avouer à Marie, qui d'ailleurs n'est pas intéressée pas ses propriétés et sa richesse, qu'il ne pourra jamais abandonner la terre de
Maltaverne, ses arbres, son ruisseau, son ciel entre les cimes de pins, son odeur de résine et de marécage.
Alain a vingt deux ans à présent et sa relation avec Marie connaît des hauts et des bas, mais en tout état de cause Marie transforme l'ange - enfant en un homme lors d'une nuit de péché comme dit Alain, et pourtant une inoubliable nuit de grâce. Jusqu'au jour où Marie rencontre la mère d'Alain à l'insu de celui-ci…
Et puis les drames vont se succéder dans la vie d'Alain qui vont lui forger un véritable caractère d'homme.
Cette confession d'Alain s'adresse à un certain André Donzac, jeune séminariste progressiste demeurant à Paris, un ami de toujours et son mentor, le témoin de sa vie.
Extrait : « Les quelques chênes énormes et bas qui abritent notre cabane m'ont toujours rendu l'éternité sensible, m'ont toujours pénétré de cette sensation d'éphémère qui est la nôtre. Ce ne serait rien que d'être un roseau pensant, mais un moucheron pensant et qui, si peu d'instants qu'il ait à vivre, trouve tout de même le temps de s'accoupler. » Et Alain d'ajouter : « Voilà l'horrible ! »
Ce roman assez sombre, comme souvent chez cet écrivain, est le dernier écrit par
François Mauriac. On est frappé par le charisme des personnages que l'auteur a su parfaitement décrire en mettant en lumière leur psychologie complexe. Un très beau roman au style parfait de sobriété et de précision.