Ô mon cahier, tu n’es pas pour moi un amas de papier, quelque chose d’insensible, d’inanimé ; non, tu es vivant, tu as une âme, une intelligence, de l’amour, de la bonté, de la compassion, de la patience, de la charité, de la sympathie pure et inaltérable. Tu es pour moi ce que je n’ai pas trouvé parmi les hommes, cet être tendre et dévoué qui s’attache à une âme faible et maladive, qui l’enveloppe de son affection, qui seul comprend son langage, devine son cœur, compatit à ses tristesses, s’enivre de ses joies, la fait reposer sur son sein ou s’incline par moments sur elle pour se reposer à son tour ; car c’est donner une grande consolation à celui que l’on aime que de s’appuyer sur lui pour prendre du sommeil ou du repos.
Ô pureté des champs! J'allais sans cesse montant de la nature à Dieu, et redescendant de Dieu à la nature. C'était là ma vie intérieure mêlée de quelques mélancolies, de quelques tressaillements du cœur, mais qui ne faisaient qu'adoucir ou presser le cours de mes pensées sans les altérer. Rien de souillé n'entrait dans mon âme et je sentais s'accroître les forces de mon intelligence ; car lorsque l'homme intérieur est pur, sa pensée s'élève sans obstacle et va toujours s'approchant de la source de toute force intellectuelle. Je commençais à dominer mes découragements et à prendre cette belle et noble confiance d'un cœur qui se sent l'ami de Dieu et qui ne saurait s'abattre tant qu'il s'appuie sur ce sentiment.
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
« _Le cahier vert,_ 11 juillet 1835 », _in_ Maurice de Guérin, _poésie,_ préface de Marc Fumaroli, Paris, Gallimard, 1984, 260 p.
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