«On croit qu'on va faire un voyage, mais bientôt c'est le voyage qui vous fait, ou vous défait.» (Nicolas Bouvier, cité en épigraphe)
Le neuvième roman de Laurent Mauvignier paru en septembre 2014 aux éditions de Minuit avance comme une vague d'un personnage à l'autre, racontant des fragments de vie de quatorze personnages dans toutes les régions du monde, qui ne partagent rien si ce n'est le moment du récit, autour du 11 mars 2011, date du tsunami à Fukushima.
Les protagonistes d'«Autour du monde», pris dans le mouvement perpétuel d'une société globale devenue si creuse, semblent par moments rechercher un point fixe dans leurs racines, en se demandant par exemple à l'instar du mexicain Guillermo en voyage au Japon : «Quelle heure il peut être chez moi ?»
Mais il ne faut rechercher ici aucun écho d'un portrait à l'autre, les histoires n'ont volontairement aucun lien entre elles. Surfant sur les questions de la mondialisation et d'une société humaine uniformisée par les voyages et le tourisme de masse, la lecture d'«Autour du monde» semble soulever si peu de questions, que le lecteur se demande si ce vide-là n'est pas le reflet de cette évidence, l'effondrement de la pensée dans une société mondialisée où la solitude des hommes est si grande.
Par moments l'écriture est belle et les personnages prennent en quelques pages une profondeur charnelle, comme autant d'amorces de romans, puis on glisse dans le portrait suivant dans un bain moussant de clichés qui nous laisse, lecteur déçu, dans le creux de la vague.
«Depuis trois semaines qu'il est parti de Mexico, Guillermo a passé son temps à parcourir seul le sud et l'ouest du Japon, et, à force de passer d'une ville à l'autre, d'un village à l'autre, il ne sait plus trop où il est. Dans un pays où la langue est aussi abstraite qu'une toile de Pollock, une langue qui lui semble ne pas avoir de grammaire, d'ordre établi, qui parle par éclats explosant à ses oreilles comme des milliers de faisceaux lumineux irradiant l'espace dans tous les sens, il se dit que c'est aussi mystérieux et poétique que la forme parfaite d'un cercle.»
J'irai droit au but : voici un roman comme je les aime ! Un roman généreux, un roman qui voit grand et qui a du souffle, un roman qui nous ouvre les portes du monde, tout en invitant à réfléchir sur sa nature et sur notre place en son sein.
En nous projetant successivement dans la vie de quatorze personnages saisis en divers points du globe, Laurent Mauvignier nous offre des instantanés qui composent comme un vaste portrait de notre monde.
Loin d'apparaître comme un patchwork hétéroclite et désordonné, ce récit prend au contraire une profonde cohérence par le truchement d'un événement dramatique relayé en temps réel par les médias de tous les continents. le livre s'ouvre en effet en mars 2011 au Japon sur la catastrophe de Fukushima, dont les autres personnages vont avoir connaissance - ou pas, s'ils sont eux-mêmes happés par des événements graves d'ordre personnel ou collectif - et qui va les toucher - ou pas.
Ce faisant, Mauvignier distille de nombreux éléments révélant à quel point nous vivons dans un monde de plus en plus globalisé, avec des références culturelles et commerciales communes, et où les pays émergents ne sont guère plus que des bassins de ressources mises à la disposition des pays riches, soit en constituant le décor paradisiaque des vacances de leurs habitants, soit en fournissant une main-d'oeuvre bon marché qui permettra aux multinationales de toujours plus prospérer. Qu'il s'agisse du clown offrant son piètre sourire à l'entrée des MacDo, des baskets Nike que l'on voit jusqu'aux pieds d'Africains vivant dans des villages traditionnels, des parcs d'attraction Disney ou des iPhone qui permettent de téléphoner, prendre des photos aussi bien que d'écouter de la musique, ce sont autant de produits qui parlent à chacun de nous, qu'on y ait financièrement accès ou non, d'ailleurs, et qui participent d'une certaine uniformisation du monde.
La structure du texte traduit parfaitement cette notion de mondialisation : nul chapitre, pas de césure, pas de frontière nette. Seule la reproduction d'une photo en noir et blanc permet de repérer visuellement le tournant pris par le récit, très habilement construit sur des fondus-enchaînés.
Tout y est : la vaste palette des sentiments et des comportements humains, les petits gestes de la vie quotidienne aussi bien que les conflits internationaux, dont les moindres détails nous sont livrés chaque jour à la radio, à la télévision ou dans les journaux. C'est pourquoi on entre si facilement dans ce livre où tout nous semble si familier.
Avec pour matériau l'infinie diversité du monde, Mauvignier parvient à composer une image cohérente et saisissante, souvent touchante, parfois bouleversante et toujours empreinte d'humanité. Servi par une écriture précise et fluide, ce roman tout à la fois ambitieux et humble s'adresse à chacun d'entre nous. Il serait vraiment dommage de passer à côté !
Une amie m'avait conseillé « Continuer », autre roman du même auteur, mais à la bibliothèque il n'y était pas ; par curiosité, j'ai donc emprunté celui-ci. Je suis un peu déçu, certes l'écriture est limpide, précise et vivante. Mais ce texte n'est pas vraiment un roman, c'est plutôt un recueil de nouvelles, dont le fil conducteur serait le tsunami qui provoqua la catastrophe de Fukushima le 11 mars 2011. Sauf que ce lien ne sert que de fondu-enchainé pour passer d'une histoire à une autre, et tous ces récits de vie sont très différents les uns des autres ... en apparence (Une rencontre lors d'une croisière en mer du Nord, le safari en Tanzanie de riches australiens, un couple illégitime à Rome, une attaque de pirates dans le golfe d'Aden, des vieux ritals qui veulent gagner au Casino, un autostoppeur qui rejoint son frère en Floride ... En tout, une quinzaine de tranches de vie). Alors il faut chercher un autre lien entre ces histoires. Peut-être est-ce « l'ultra moderne solitude » et son synonyme : le manque d'amour ? Où serait-ce la complexité des rapports humains toujours et partout, l'incompréhension mutuelle, nos peurs obscures et nos égos quelque soit notre langue, notre culture, notre pays ; Que l'on soit pauvre ou riche, homme ou femme ? Nous sommes tous des enfants face au tumulte du monde et à nos inquiétudes intimes ; comme cette petite japonaise en vacances à Paris dont l'histoire clos ce roman, et à qui l'on cache la catastrophe pour ne pas lui avouer la mort certaine de ses grands-parents. Finalement un beau roman mais un peu inégal, comme le monde qu'il dépeint. Allez, salut ; Et bonnes vacances à tous.
P.S. Avec la même ambition de raconter le monde en une seule journée Olivier Rolin a écrit un merveilleux roman ; L'Invention du monde, une somme affolante sombre et drôle qui raconte le 21 juin 1989 dans le monde. Je vous le recommande vivement.
Partant du tsunami qui ravagea les côtes japonaises en 2011, Laurent Mauvignier décline quatorze tranches de vies autour du monde, plus ou moins reliées par l'événement.
Plutôt moins que plus d'ailleurs, car si le tsunami est bien au coeur de la première et de la dernière histoire, les autres n'y sont reliées que par l'écho que les personnages en reçoivent par les médias, voire ne perçoivent pas du tout, tout occupés qu'ils sont d'eux-mêmes et d'eux seuls, qui en Russie, qui en mer, qui en Thailande, qui en Tanzanie, qui aux Etats-Unis...
La forme de ce roman est assez déroutante, passant sans crier gare en quelques courtes lignes de transition d'une scène de vie à l'autre, et il faut accepter le principe qu'une histoire laisse la place à la suivante sans aller jusqu'à son dénouement.
Mais une fois passé cet écueil, et si l'on accepte de se laisser porter comme par une vague d'une scène à l'autre et de se couler dans la profondeur propre à chacune, ce roman a quelque chose d'assez envoutant. La qualité de l'écriture amplifie la perte de repères, et on le referme sur un point non final avec le sentiment d'avoir vécu une expérience littéraire originale et enrichissante.
J'ai particulièrement aimé le clin d'oeil à Houellebecq dans la scène sur le bateau de croisière, ainsi que l'ultime rencontre amoureuse entre deux hommes en Russie pendant que l'un deux est en train de devenir père.
La dernière scène (ou tranche de vie? ou nouvelle? je n'arrive pas à me décider sur le bon terme), où une petite fille japonaise à Paris cherche à communiquer avec sa grand-mère emportée par la vague dans son village à l'autre bout du monde, est particulièrement belle.
Nous ne sommes pas seuls. L'itinéraire ici proposé a comme toile de fond le tsunami du 11 mars 2013, seul lien entre les différents personnages. Ils ne se connaissent pas. Ils assistent (ou non) à la catastrophe au hasard des journaux d'informations, sont concernés (ou pas). Ainsi va la vie et le spectacle du monde s'affiche en simultané tout autour de la planète.
Toutes ces vies s'enchaînent les unes aux autres, au détour d'une phrase. le voyage qui en découle nous donne le don d'ubiquité, d'assister à ces multiples tranches de vie qui peuplent la Terre. J'entends le bruit de la rue et, à cet instant, partout où j'ai séjourné, la vie continue, sans moi.
Ou étais-je, ce 11 mars 2013 ?
Je peux m'immiscer sans déranger dans le cours de ce roman, ajouter un paragraphe: rien de marquant ce jour-là dans ma modeste existence, seule, une vague géante a marqué les esprits, sans changer ma vie.
La fluidité du récit est d'autant plus remarquable que la diversité des situations évoquées est forte.
A lire.
Une maestria époustouflante
Laurent Mavignier écrit quelque chose que je n'ai jamais encore vu: un roman qui glisse d'une histoire à l'autre avec une souplesse de transition de virtuose. Il s'agit du jour du tsunami au Japon, le 11 mars 2011, et c'est l'axe autour duquel s'organise la rotation, sous nos yeux étonnés, de toutes ces bribes de monde que Mauvignier photographie, en boucle, enchainées l'une à l'autre, sans que l'on ressente la moindre rupture ou secousse. On est en Italie, en Thailande, à Paris, à Moscou, aux Bahamas...dans une série d'histoires en quelques pages racontées, des couples, des solitudes, des chiens abandonnés, des amours...et le seul lien est cette journée, dont nous avons tous souvenir.
Un seul regret: que les petites photos qui accompagnent le livre et scandent les histoires parfaitement accomplies soient si petites, quelquefois presque indiscernables.
De toute façon, nul besoin de participer aux excursions : il suffisait d'accepter de regarder les photographies que l'un ou l'autre lui tendait avec une générosité toute particulière. Et c'était alors comme s'il avait vu de ses propres yeux les montagnes enneigées, les maisons rouges toutes simples et strictes, les ours blancs empaillés, les plaques d'égout, les trolls norvégiens.Tout ça était un peu pénible. Le soir, il fallait bien une bouteille pour se remettre - non pas de ses émotions, mais de leur absence.
Mais il n'aurait pas cru, si lui-même ne l'avait pas, si on lui avait seulement raconté que les Philippins dans les arrières-cuisines du monde entier, dans les soutes des grandes croisières, à demi cachés, presque effacés et invisibles au regard de ce monde où tout un chacun semble être un voyageur permanent, que seuls des milliers de Philippins infiniment négligés et infiniment précieux faisaient vivre et tourner ce grand corps grouillant qu'est le monde globalisé.
Et puis il y a cette autre passion, vraie et ancienne, aussi vieille que des souvenirs d'enfance, le Japon. Une belle passion jamais démentie depuis qu'il l'avait découvert réellement, autant que le sexe, l'alcool - des passions disparates et futiles, la défonce sous à peu près toutes ses formes et, plus intimement, les chansons de Bob Dylan et la voix triste et douce de Chet Baker.
Parce que tout ce qui était arrivé était bien la faute de sa femme, toujours boudeuse, renfrognée, triste, amère, comme il en tombe parfois dans la vie d'un homme pour le briser ou le ridiculiser et qui finit toujours, par son obstination à sa refuser à lui, par le pousser dans les bras d'une ou de toutes les autres.C'était plutôt lui qui aurait dû partir. Mais il était fidèle au mariage, à défaut de l'avoir été à son épouse.
Stendhal a écrit "La Chartreuse de ..." ?