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EAN : 9782707321534
61 pages
Editions de Minuit (03/03/2011)
3.89/5   279 notes
Résumé :
Il s'est dirigé vers les boissons. Il a ouvert une canette de bière et l'a bue. À quoi a-t-il pensé en étanchant sa soif, à qui, je ne le sais pas. Ce dont je suis certain par contre, c'est qu'entre le moment où il est entré dans le supermarché et celui où les vigiles l'ont arrêté, ni lui ni personne n'aurait pu imaginer qu'il n'en sortirait pas.

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3,89

sur 279 notes
et c'est anéantie par les images de cette lecture que je commence ma critique, que dis-je, c'est dans l'affliction et l'effroi le plus total, surtout quand on sait que Laurent Mauvignier romance un fait réel - réel, mon dieu ! - un « fait divers » survenu à Lyon en 2009, mais parler de « fait divers » pour parler de la mort, de la mort d'un être humain c'est indigne, ça ne reflète pas l'horreur de ce que la victime a subi, ni le vide qu'elle laisse dans le coeur de ses proches, même si la vie les avait éloignés, même si la misère a pu peut-être creuser l'écart mais ça, ça ne compte plus face à la mort, et surtout pas lorsqu'un homme meurt « pour ça », pour avoir bu une cannette de bière dans un supermarché sans avoir de quoi la payer et se fait tabasser par des vigiles tout-puissants mais, finalement, si l'on ne peut pas mourir « pour ça » comme l'a laissé échappé le procureur, pensant ainsi condamner les coupables, si l'on ne peut pas mourir pour avoir, en quelque sorte, volé une cannette de bière, est-ce à dire qu'il serait plus justifié de mourir pour en avoir volé deux, ou six, ou douze ? que s'il avait été tabassé à mort pour deux pack de bière, cela n'aurait été que justice, que ces vigiles au courage exemplaire, car ils étaient 4 pour faire crever un homme qui ne s'est pas même défendu, pas même avec ses mots, que ces types, donc, s'en seraient sortis indemnes ? « le vrai scandale ce n'est pas la mort, c'est qu'il n'aurait pas fallu mourir « pour ça », une cannette, pour rien, comme si on pouvait accepter qu'ils tuent, les vigiles, si c'est utile, s'ils n'ont pas le choix, on doit pouvoir se résigner à admettre, on peut comprendre et tolérer même si ça nous choque et nous déplaît mais là, impossible, quelque chose se dresse devant nous qu'on ne peut pas supporter, ce meurtre, un meurtre, ils se sont fait plaisir, voilà, le fond de l'affaire c'est que c'était de leur jouissance à eux qu'ils étaient coupables et pas de l'injustice de sa mort, ça, ni le procureur ni les journalistes ni la police n'admettra jamais, que ces types-là se soient payés sur sa tête, et ils ont tout fait pour essayer de la comprendre, cette mort, tout fait pour lui donner un sens et la trouver un peu normale, ils ont écrit des papiers », mais personne n'était là pour lui lorsqu'il était encore en vie, personne ne l'entendait penser lorsqu'il mourait, quand sa propre vie l'abandonnait, tandis qu'il se faisait tabasser « pour ça », pour rien, alors heureusement qu'il y a Laurent Mauvignier, le seul à pouvoir faire parler les morts en une phrase de 60 pages, une seule phrase comme une seule vie par personne mais dans laquelle les voix et les actes de chacun s'intriquent, ont des répercutions dans la vie de tous, c'est ça qu'il fait Mauvignier, écouter les pensées discourir sans discontinuer, nous les restituer sans les censurer, les édulcorer, les arranger, parce que même si je ne suis plus très objective quand il s'agit de cet auteur, cette forme a du sens, une seule phrase comme un seul regard qui englobe tout, un seul tout formé de multiples actes dont les causes de certains trouvent leurs origines bien avant les faits et d'autres en seront les conséquences bien après, sans qu'il n'y ait de début ni de fin, juste la vie qui coule, qui s'écoule de l'un et se poursuit ailleurs, une seule pensée sans début ni fin, sans majuscule ni point, un hommage à la victime et à sa famille, car cette histoire est un tout, un amas inextricable d'actions, une suite de moments qui ont amené à cette situation dans une communauté où l'on peut mourir « pour ça », pour rien, une seule phrase qu'une fois lancée on ne peut plus arrêter, exactement comme le déroulement insensé de cette tragédie à l'issue inéluctable, que personne n'est venu interrompre avant la fin, mais la fin pour qui ? cette seule phrase comme une trainée de poudre, seul souvenir d'une mort qui déjà s'évapore comme toutes celles qui, chaque jour, traversent le temps mais jamais ne le marquent, alors pour ne pas que cette tragédie tombe dans « ce que j'appelle l'oubli », Mauvignier est peut-être le seul à pouvoir nous faire ressentir, pêle-mêle, autant de sensations et pensées, nous faire souffrir avec la victime mourant en silence de cette injustice criante, entrer dans sa tête « quand il y avait cette voix qui continuait et répétait, pas maintenant, pas comme ça, jusqu'à ce qu'elle se taise elle aussi et s'efface dans un chuchotement, trois fois rien, un sifflement, sa voix à lui qui continuera dans sa tête à murmurer, à répéter toujours pas maintenant, pas maintenant, pas comme ça, pas maintenant » -
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Librement inspiré d'un fait divers survenu à Lyon en 2009, le récit de Laurent Mauvignier évoque la mort violente d'un jeune homme dans l'arrière-boutique d'un supermarché, battu à mort par quatre vigiles pour une simple canette de bière volée.

« et ce que le procureur a dit, c'est qu'un homme ne doit pas mourir pour si peu… » le récit commence sans majuscule par la conjonction « et », et se poursuit tout au long de soixante pages en une seule phrase qui se déploie, pleine de rythmes et de cassures. Une seule phrase qui coule sans début ni fin, comme la vie même qui continue malgré les violences et les morts.

Mauvignier extrait son personnage de l'oubli et de l'indifférence quotidienne en lui donnant une voix dont celui-ci a toujours été privé jusqu'ici. Il y a eu la folie, la gratuité du geste barbare des quatre vigiles, pourtant le récit fictif que dresse Laurent Mauvignier s'éloigne volontairement de la réalité factuelle. Ce n'est plus le jeune réellement frappé à mort en 2009 mais un jeune homme qui aurait pu être lui et qui devient le centre du récit, le narrateur s'adressant au frère de cette victime emblématique d'une incroyable bêtise et d'une effroyable violence. Tout est pourtant affreusement banal, les personnages sont des plus ordinaires, rien ne pouvait laisser présager cette incroyable violence. C'est certainement ce qui est le plus inquiétant : chaque élément de ce fait divers est neutre, le type qui boit la canette, les vigiles qui l'arrêtent… rien ne prédispose au meurtre, et pourtant…
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Soixante pages, une phrase. Une seule phrase semblable à une déferlante écumante qui submerge sans qu'on l'ait vu venir et nous éjecte sur une grève désolée, haletants, essoufflés, interdits également.
On s'attend à poser son regard sur une chaussure dépareillée qui rappellerait toutes ces existences plus transparentes qu'un banc de méduses.

Lyon, décembre 2009: quatre vigiles tuent Michaël Blaise, 25 ans, martiniquais, sous l'oeil d'une caméra de surveillance qui enregistre tout. Michaël avait pris une canette de bière dans un rayon et l'avait bue.
Un homme ne doit pas mourir pour si peu a dit le procureur. Un homme est pourtant mort pour si peu et Laurent Mauvignier commet un petit grand livre pour que le fait divers s'inscrive dans L Histoire.

Mauvignier prête sa plume ou plutôt offre une voix à un quelqu'un.Qui? Cela n'a guère d'importance. L'écriture, hagarde et rageuse et assourdie entrechoque les mots, oscille entre le je et le il. Il espère, il panique, ça disgresse. le récit donne de la chair à l'entrefilet du journal, réincarne la victime anonyme. Celle-ci s'épaissit, force les yeux, enfonce l'indifférence.
L'important est que le silence devienne paroles entendues.

D'accord, la chronique d'un meurtre ordinaire, ce n'est pas gai. J'aurais pu choisir un autre livre pour mon premier billet de l'an nouveau. Mais L'écriture est remarquable. La compassion n'est pas mélodramatique. L'engagement et la révolte participent de la vie.

L'écrivain s'engage, le lecteur résiste en se souvenant.
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Un texte inspiré d'un fait divers : un homme est mort sous les coups de quatre vigiles pour avoir bu une bière dans un rayon d'un magasin.

Il faut prendre correctement sa respiration avant de commencer la lecture pour ne pas manquer d'air. Ce récit n'a pas de point, juste des virgules et des points d'interrogation pour freiner l'histoire de temps en temps.

Beaucoup d'interrogations dans ce texte rageur, connaître les raisons du soutien des femmes des vigiles, appréhender le ressenti des enfants face à ces pères de famille assassins, les états d'âme du frère de la victime qui a un bon travail en France et ne sait pas si son patron le laissera s'absenter pour les obsèques, prévenir les parents sans qu'ils apprennent le côté miséreux de leur fils, la violence de sa mort.

Boire une bière sans la payer et mourir.
Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
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Souvent les textes de Laurent Mauvignier se sont vus qualifiés d'« écriture de l'évènement », surtout parce qu'ils entretiennent généralement un lien privilégié avec un certain nombre de faits divers, que l'on songe à la tragédie du Heyssel qui a donné lieu à Dans la Foule, ou encore à ce drame de la Part-Dieu durant lequel un sans abri se fit rouer de coup par des vigiles, jusqu'à ce que mort s'ensuive, pour avoir volé une canette dans le centre commercial, et que reprend librement Ce que j'appelle oubli.

Cette dernière fiction – le terme est important – peut ainsi se lire comme la reconstitution de la scène terrible qu'a vécu cet homme dont jamais l'on ne saura le nom, jusqu'à ce moment où « il ne lui restera plus que la nudité et la froidure sur un matelas de fer ou d'Inox, et aussi, attachée à un doigt de pied, une étiquette avec son nom, un numéro » (p. 17). Il ne s'agit alors pas tant de dire cette mort que de la donner à vivre, que de nous la faire éprouver, par une plongée dans le coeur même du processus de mise à mort, dans toute la tension que cela suppose et qui se trouve restituée par le déploiement dans tout le corps du texte d'une unique phrase, qui nous tient en haleine. Toutefois, l'orientation donnée au récit, qui veut que soit accordée aux perceptions et sensations une place de première importance, donne à penser que ce n'est pas tant la mort elle-même qui retient l'attention que la façon dont la vie peut échapper brusquement, alors que quelques minutes avant seulement, nous pouvions encore voir, sentir entendre tout ce qui nous entoure. Ainsi, la description des rayons du magasin, de l'allure des vigiles qui fondent sur l'homme, de la traversée vers la réserve, s'estompe progressivement pour ne laisser rapidement plus place qu'à celle d'un corps en train de lâcher peu à peu. Depuis le « nez qui éclate et [le] sang qui coule jusque sur la lèvre […] le sang [qui] coule dans sa bouche, (…) sa langue [qui] lèche le flot de sang, la surprise du sang sur ses doigts » (p. 21) au « coeur [qui] a lâché, le foie explosé, les poumons perforés » (p. 18), en passant par les « bras [qui] tombent aussi, l'abandonnent » et ce manque de force qui fait qu'« il ne peut pas les relever, ni les bras, ni les mains, ni les jambes non plus et la poitrine ne sait plus où trouver la ressource pour se soulever, prendre l'air, il faudrait de la force et il n'en a presque plus » (p. 26), l'on ne nous épargne aucun détail pour le dire, pour dire comment cette vie « se fait minuscule et finit par se faire la malle comme un parasite abandonne une carcasse qui ne lui convient plus » (p. 34).

Par là-même l'auteur replace l'humain au coeur de son projet, cet humain que tendent généralement à occulter les autres discours qui ont pu se déployer à partir de cette disparition, et qui tendent invariablement à la diluer derrière des considérations rationalisantes ou à la banaliser. Dès ses premières lignes, le récit devient alors l'occasion d'un retour réflexif sur ceux-ci, pour en dénoncer toute l'impropriété. Il s'inscrit d'abord dans le contrepoint des propos tenus par le procureur, qui voudraient qu'un « homme ne doit pas mourir pour si peu, qu'il est injuste de mourir à cause d'une canette de bière que le type aura gardée assez longtemps entre les mains pour que les vigiles puissent l'accuser de vol » (p. 7), comme si le caractère choquant de l'affaire ne tenait qu'au nombre de cannettes volées. Ce point fera ultérieurement l'objet d'un commentaire plus ironique et révolté : « il pourrait dire je vaux, je valais, une vie doit valoir un peu plus qu'une bière, un pack de six ? de douze ? de vingt-quatre bières, non, tu crois ? c'est trop ? et est-ce qu'en amassant de quoi remplir un Caddie le procureur aurait trouvé que c'était le juste prix et que ça ne valait pas plus ? que cette fois ils pouvaient y aller et lui donner une bonne correction et le faire payer plein pot » (p. 40). Seule demeure l'inanité de la déclaration, qui n'a d'égale que celle des « mots que la police a dits et répétés et qu'on a entendus dans les rues et les journaux, jetés sur la voie publique comme pour y faire pousser des fleurs (comme si toute la vérité du monde tenait là-dedans !) » (p. 37), toutes ces banalités qui perdent sans cesse de vue que ce qui s'est éteint là, c'est une vie, une vie singulière. Les rares fois où l'individu se trouve pris en compte par eux, ce n'est généralement que pour tenter de l'incriminer, pour chercher des circonstances atténuantes aux responsables d'un meurtre pourtant si inacceptable : « ils ont tout fait pour essayer de la comprendre cette mort, tout fait pour lui donner un sens et la trouver un peu normale, ils ont écrit des papiers, ils en ont balancé sur lui pour savoir s'il était SDF ou quoi, s'il avait des antécédents et combien de vols à la tire ? ils en ont trouvé des trucs à dire, est-ce qu'il a fait de la taule ? des gardes à vue ? combien il a fait de gardes à vue, ton frère ? et est-ce qu'il était violent et alcoolique ? (…) il vivait en foyer, c'est ça ? dans quel foyer, avec qui ? d'allocations ? de quoi ? de petits boulots ou bien ». Rapidement, le défunt se trouve réduit à une position sociale, à un casier judiciaire ; il n'est plus que ce sac que chacun peut « remplir de pierres, de gravats, de déchets » (p. 28). Dès lors, il est net que cette fiction tend à dépasser le cadre de ce moment d'extrême violence dont il est initialement question, pour devenir un véritable cri contre notre société, cette société dans laquelle nous disparaissons finalement en permanence, de façon insidieuse, jusqu'à ne plus être que « l'ombre d'un homme » (p. 39), ou même « un « tee-shirt jaune et noir » dont le « grotesque » (p. 32) déplaît au point de mériter des coups sans que cela n'émeuve particulièrement les foules, cette société dans laquelle « [l]a mort n'est pas l'évènement le plus triste de [l]a vie », parce que « ce qui est triste dans [l]a vie c'est ce monde avec des vigiles et des gens qui s'ignorent dans des vies mortes comme cette pâleur, cette mort tout le temps, tous les jours » (p. 60). S'intéresser au cas d'un marginal comme c'est ici le cas permet bien sûr de rendre cette dimension plus sensible encore, dans la mesure où il est par excellence celui face à qui « tous ont baissé les yeux parce qu'ils ont du travail qui les attend et une pelouse à tondre ou des trains à prendre, des enfants qu'il faut aller chercher à la sortie de l'école et aussi parce qu'ils espèrent échapper à leur propre misère, ce que j'appelle misère, à tous les malheurs quand sur le chemin c'est un type comme lui qu'ils croisent, nu comme un cauchemar, son visage crasseux éclairé par leurs phares en lieu et place des animaux à la sortie d'un bois » (p. 51). Il est celui auquel l'on préfère n'accorder aucune attention, et aucune place parmi nous. Il est celui dont on va jusqu'à ignorer qu'il puisse être un homme.

La fiction devient alors le lieu où le mort retrouve sa qualité d'homme. Elle est même le lieu où l'on rappelle « ses peurs d'enfants qu'il avait en regardant au-dessus de l'armoire, face au lit, la vierge phosphorescente dans sa boule de verre et la neige » (p. 53), ou encore « combien il aimait marcher dans les rues, des heures et des heures à ne plus sentir la douleur dans les jambes, [s]e protéger de la pluie sous le store d'un magasin ou dans une cabane téléphonique, l'orage sur Paris » (p. 57). Elle est aussi ce lieu où ressurgissent les paroles de sa mère, mais aussi la rencontre avec cette personne « voulait le revoir et que lui aussi voulait revoir, entre cette gare et la rue de Lyon », et plus largement toute cette famille, tous ces amis pour qui il était quelqu'un. L'adresse permanente au frère de la victime participe de cette même dynamique, tout en introduisant dans le texte un important pathos à même de refléter, en partie du moins, la douleur de la perte. En somme, tout concourt à dire qu' « il va laisser sans lui les gens qu'il aime, [qu']il y en a quelques-uns à qui il a tenu si fort, comme toi [son frère], des gens qui viendront espérer qu'un dieu existe autre part que dans la tête des hommes, quand ils verront le trou et le cercueil glissant, comme coulant au-dedans de cette terre épaisse et noire, avec les roses rouges qu'ils jetteront dessus » (p. 49), tout concourt à extirper cette existence de l'oubli.

Ecrire cette disparition c'est donc d'une certaine façon une occasion de dire avec Georges Perec « je me souviens », je me souviens de ce drame, je me souviens de cet homme, et surtout je me souviens de la valeur d'une vie, quelle qu'elle soit. C'est lutter contre cette petite mort quotidienne, « ce que j'appelle oubli », qui vous saisit quotidiennement dans les sociétés où prévaut l'indifférence générale. En ce sens, Laurent Mauvignier s'inscrit ici tout à fait dans cette lignée d'écrivains contemporains qui, comme François Bon, Marie Rovanet ou Le Clezio, refusent le silence et la faculté d'oubli de notre mémoire collective.

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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
… au moment de les voir arriver il pense que son programme de la journée est compromis, il se dit qu’il sortira tout à l’heure et prendra le bus en se répétant qu’il n’a pas eu le temps d’aller voir l’animalerie au fond du supermarché, voilà ce qui aurait dû se passer, aller regarder un moment les oiseaux, les chiots, les tortues, les animaux bizarres, les écouter, ce qu’il s’était raconté qu’il ferait, voilà ce à quoi il a pensé quand il n’avait pas encore en tête la violence des coups à venir et le froid de la dalle de ciment, car, au début, il ne peut pas se douter ni imaginer qu’il ne lui restera bientôt que la nudité et la froidure sur un matelas de fer ou d’Inox, et aussi, attaché à un doigt de pied, une étiquette avec son nom, un numéro …
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ma mort n'est pas l'événement le plus triste de ma vie, ce qui est triste dans ma vie c'est ce monde avec des vigiles et des gens qui s'ignorent dans des vies mortes comme cette pâleur, cette mort tout le temps, tous les jours, que ça s'arrête enfin,je t'assure, ce n'est pas triste comme de perdre le goût du vin et de la bière, le goût d'embrasser, d'inventer des destins à des gens dans le métro et le goût de marcher des heures et des heures
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… il aurait aimé que ses derniers mots soient tournés vers ce frère à qui il a pensé si souvent dans sa vie, eh bien non, pas cette fois, parce qu’il ne savait pas qu’il mourait, dans les films ils savent toujours qu’ils meurent, mais en vrai ce n’est pas aussi beau, on n’est pas si beau, on ne meurt pas, on ne fait rien, la vie se fait minuscule et finit par se faire la malle comme un parasite abandonne une carcasse qui ne lui convient plus, c’est tout …
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... ils vont arrêter de frapper, je vais retrouver mon souffle, ça ne peut pas finir ici, pas maintenant et pourtant il ne pouvait plus respirer ni sentir son corps ni rien entendre, ni voir non plus et il espérait malgré tout, quelque chose en lui répétant, la vie va tenir, encore, elle tient, elle tient toujours, ça va aller encore, ils vont cesser parce qu'ils vont comprendre que ma vie est trop petite dans mon corps et qu'elle s'amenuise trop maintenant pour durer plus qu'une bulle de savoir qui monte et éclate...
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[ Incipit ]

et ce que le procureur a dit, c'est qu'un homme ne doit pas mourir pour si peu, qu'il est injuste de mourir à cause d'une canette de bière que le type aura gardée assez longtemps entre les mains pour que les vigiles puissent l'accuser de vol et se vanter, après, de l'avoir repéré et choisi parmi les autres, là, qui font leurs courses, le temps pour lui d'essayer - c'est ça, qu'il essaie de courir vers les caisses ou tente un geste pour leur résister, parce qu'il pourrait comprendre alors ce que peuvent les vigiles, ce qu'ils savent, et même en baissant les yeux et en accélérant le pas, s'il décide de chercher le salut en marchant très vite, sans céder à la panique ni à la fuite, le souffle retenu, les dents serrées, un mouvement, ce qu'il a fait, non pas tenter de nier lorsqu'il les a vus arriver vers lui et qu'ils se sont, je ne dirais pas abattus sur lui, parce qu'ils étaient lents et calmes et qu'ils n'ont pas du tout fondu comme l'auraient fait, disons, des oiseaux de proie, non, pas du tout, au contraire ils se sont arrêtés devant lui et c'était très silencieux, tous, ils étaient plutôt lents et froids quand ils l'ont encerclé et il n'a pas eu un mot pour contester ou nier car, oui, il avait bu une canette et aurait pu les remercier de la lui avoir laissé finir, il n'a pas dit un mot et dans ses yeux il a laissé le jeu ouvert de la peur mais c'est tout, tu comprends, il avait juste envie d'une bière, tu sais ce que c'est l'envie d'une bière, il voulait rafraîchir sa gorge et enlever ce goût de poussière qu'elle avait et qui ne le lâchait pas, va savoir, un jour comme aujourd'hui, un après-midi où la lumière était blanche (...)
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