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EAN : 9782707346315
640 pages
Editions de Minuit (03/09/2020)
3.97/5   1242 notes
Résumé :
Il ne reste presque plus rien à La Bassée : un bourg et quelques hameaux, dont celui qu'occupent Bergogne, sa femme Marion et leur fille Ida, ainsi qu'une voisine, Christine, une artiste installée ici depuis des années. On s'active, on se prépare pour l'anniversaire de Marion, dont on va fêter les quarante ans. Mais alors que la fête se profile, des inconnus rôdent autour du hameau.
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Critiques, Analyses et Avis (269) Voir plus Ajouter une critique
3,97

sur 1242 notes
La vengeance est dans le pré.
Huis clos au milieu de nulle part, enfin nulle part pas vraiment car nulle part n'existe pas, nulle part correspond à un ailleurs pour ceux qui y habitent – nulle part est donc un lieu commun pour dire que l'action se situe à la campagne, dans un trou perdu – pas perdu pour tout le monde puisque va s'y dérouler une séquestration plus haletante que ma phrase interminable, mais que voulez-vous j'ai été contaminé par l'écriture pour apnéiste de Laurent Mauvignier qui détaille chaque idée jusqu'à l'atome, disséquant chaque émotion pour ne laisser aucun reste, écrivant au ralenti l'action de l'inaction, chaque seconde dépassant son temps imparti par l'horloge et j'arrête là pour vous laisser reprendre votre souffle.
Une fois habitué aux phrases sans fin, j'ai fini par ne plus me soucier de ce style et je me suis inventé ma propre ponctuation de lecteur au souffle court qui s'endort en regardant le Grand Bleu, pour suivre cette histoire où trois patibulaires s'invitent chez les habitants du morne et paisible lieu-dit des Trois Filles Seules. Au casting des otages, les époux Bergogne, couple mal assorti, mari agriculteur bourru et épouse belle citadine, leur fille Ida, ainsi que leur voisine, une artiste en préretraite culturelle, retirée du monde des vaines mondanités.
Au fil des pages, j'ai compris que la lenteur du récit n'avait pas pour seul but de remplir le cahier des charges souvent élitiste des Editions de Minuit, mais de créer une tension permanente pour rendre palpable la peur et les émotions des protagonistes. le moindre geste subit ici une autopsie. C'est l'inverse d'un scénario et je dois avouer que ce thriller de 640 pages m'a pris aussi en otage. Moi qui goute les phrases chocs, la citation définitive, la rime impitoyable, je me suis laissé séduire par cette prose interminable qui ne semble jamais sure d'elle-même.
Ne dévoilant les mobiles des sales types qu'à dose homéopathique, le lecteur rentre dans la vie et la tête de tous les personnages. On y fréquente des traumatismes, le poids du passé, des frustrations et des complexes, on franchit le péage des non-dits. Nous avons affaire à des taiseux. L'introspection est une religion, les mots ont du mal à sortir mais l'auteur parvient à donner corps à ces êtres de friction..., complexes et torturés, thriller oblige.
Laurent Mauvignier, comme Serge Joncour, dans Nature Humaine, s'intéresse ici aux ruraux, à ceux qui vivent à l'extérieur des rocades et des périphériques. Il nous oblige à mettre le cligno, à sortir de la départementale éclairée aux étoiles, à stationner dans un de ses patelins déserts à la recherche de vrais gens. Il s'emploie à filmer leur solitude, leur rapport parfois douloureux à la modernité.
Si Serge Joncour a fait le choix de raconter 30 ans d'histoire vu de la campagne, Laurent Mauvignier concentre son récit sur une seule journée, avec pour apothéose une soirée d'anniversaire ratée qui vire au grand déballage, à l'expression d'une vengeance préméditée.
L'action est linéaire mais construite comme une course de relais où chaque personnage se passe le témoin pour s'emparer de la narration.
La violence inhérente au genre n'est pas noyée dans le récit. Elle est bien présente, froide et réaliste, ni épicée à la sauce hollywoodienne, ni intellectualisée à outrance. Elle fait office de ponctuation. Point final.


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Un tour de force que ce remarquable huis clos oppressant et exigeant en matière de style. Dans ce roman crépusculaire lentement monte l'angoisse et insidieusement s'installe la menace. Les éléments de réponses sont livrés au compte-gouttes et l'intrigue s'étale sur près de 640 pages de la découverte de lettres anonymes au spectaculaire, cauchemardesque et très cinématographique final où tout s'accélère. La trame pourtant simple et la « mise en scène » minimaliste sont portées par une cadence particulière, un rythme ralenti (qui ne plaira sans doute pas à tous malheureusement), un style très visuel et sensoriel qui détonne dans la production littéraire actuelle avec ses phrases longues, peu ponctuées qui déferlent dans un torrent de mots et un vortex de détails obligeant le lecteur à reprendre son souffle et où se mélangent efficacement monologues intérieurs, dialogues, pensées, ressentis, séquençages de gestes et descriptions fournies. L'âme humaine et la psyché sont disséquées minutieusement. L. Mauvignier taille les failles de ses personnages, creuse autour de leur solitude pour mieux les mettre en relief. Il étire le temps, freine les mouvements, diffuse le suspense, accroît l'inquiétude et joue avec nos nerfs. Tout débute dans le hameau isolé d'une campagne désertifiée « l'Ecart des trois filles seules...un fantôme sur une carte IGN ». Trois bâtisses se dressent : une à vendre, inhabitée, puis celle de la famille Bergogne avec Patrice un terrien renfrogné aux allures frustes mais en réalité serviable et sentimental, sa mystérieuse femme Marion dont il est fou amoureux et leur jeune fille Ida. Ils ont comme voisine et amie Christine, 69 ans, une artiste peintre néorurale « exubérante et barrée » ayant fui Paris et ses excès. Alors que s'organise l'anniversaire de Marion l'intrusion de trublions revanchards perturbe le calme apparent...L'écrivain n'a pas son pareil pour exprimer les non-dits, les frustrations et les difficultés de communication. Dans ce roman polyphonique concentré en un seul lieu sur une seule journée chaque protagoniste livre sa vérité jusqu'au chaos final. Une formidable aventure littéraire que ce roman qui se démarque et qui marque.
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Si le titre se réfère à un recueil d'histoires pour faire frémir les enfants , dont Ida, 10 ans se délecte chaque soir, le roman mérite lui le terme de thriller, ces histoires que les adultes recherchent pour eux aussi frémir en tout impunité.

Cela commence par une légère angoisse, des lettres anonymes, qui ne mobilisent pas la gendarmerie locale. Mais peu à peu, les menaces se précisent et les portraits qui se dessinent sont ceux de vrais méchants prêts à nuire. Et le stress ne cesse augmenter, avec ces chapitres qui s'achèvent sur des notes qui attendent leur résolution, dans une dissonance pétrifiante.

Tout cela, cette histoire qu'il ne faut sans doute pas détailler, est écrit de main de maitre, qui utilise jusqu'au le rythme de l'écriture, des phrases longues, décrivant avec une précision clinique les faits mais aussi les ressentis, qui sont autant de monologues intérieurs des personnages, avec les fluctuations de la pensée qui rebondit et d'adapte aux événements qui arrivent avec un crescendo terrifiant.
C'est en écrivant ces lignes que j' rends compte de la musicalité de ce roman que je décris comme une symphonie.

Les personnages ont beaucoup à révéler de leur passé, des non-dits qui les caractérisent encore, et de l'escalade des malchances qui les auront menés vers ce drame final.

Un grand plaisir de lecture, à recommander à tous ceux qui aiment se faire peur, à moindre frais, et avec la possibilité de fermer le livre pour reprendre sa respiration, tant le déroulé suscite le recours à l'apnée pour se mettre à l'unisson avec les personnages.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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De ce roman , une seule façon de sortir : s'abandonner et accepter l'inéluctable, l'épuisement...Épuisement pour sortir de cette journée et cette nuit relatés en six - cents pages , six- cent pages d'intensité dramatique, de tension extrême, six - cent pages qui " transpirent " l'arrivée imminente d'une catastrophe , d'un drame , qui " suintent " le danger sous une croûte de tranquillité faussement rassurante , une vie en équilibre précaire en des lieux presqu'improbables et " faussement " rassurants . Un hameau , trois maisons , Marion et Patrice et leur fillette Ida vivent dans la première, Christine , une artiste en mal de tout occupe la seconde , la troisième recherche locataires .Un équilibre apparent mais un isolement qui , déjà interpelle , menacé par des lettres anonymes....Dés le début de ce roman magistral , un " je ne sais quoi " de malaise s'empare de nous , dès la première et longue phrase , et l'on sait , on sait qu'on est pris , englué, entraîné, ballotté par des flots hypocrites qui , sous une apparence " bonhomme " , ne nous offrent aucune chance , aucune planche de salut .On va investir les lieux pour ne les quitter , et dans quel état !!! qu'à la toute dernière page. Attention , c'est un roman noir , " doré à l'or fin " , dont les phrases , étirées comme des jours sans fin nous " entortillent " bien plus efficacement encore qu' une longue et dangereuse liane dans une jungle profonde . Donner un ressenti de cette atmosphère asphyxiante est à peine humain , à peine descriptible , à peine racontable . Un jour et une nuit . Seulement . Et pourtant un jour et une nuit si longs au cours desquels bien des non- dits vont remonter à la surface . Un pendant , un avant , un après , dont on ne saura même pas lequel est le plus dramatique ...
Mes libraires me conseillent ce roman depuis sa parution .Le Père- Noël les à écoutés , lui pour mon plus grand plaisir . Terminer une année 2020" pourrie " par un tel roman n'est pas dû au fait du hasard .Laurent Mauvignier est talentueux et compte de nombreux fidèles. Avec ce livre , il ne risque pas , bien au contraire , de perdre ni admiratrices ni admirateurs .Ses personnages , peu nombreux dans ce huis - clos étouffant, sont brillamment dépeints, touchants , bouleversants dans ce qu'ils ont de plus intime , imprévisibles face aux émotions qui vont s'exprimer , oui , les émotions si bien transposées par des mots , des phrases envoûtants.
Ce roman figurera parmi les tous meilleurs qu'il m'aura été donné de lire cette année mais ça, mes chers amies et amis , ce n'est que ...mon humble avis .
Par contre , ceux qui sont assurément les meilleurs , ce sont les voeux que je vous adresse à toutes et à tous , à vous qui me faites l'honneur de lire mes critiques et de souvent m'adresser de si sympathiques commentaires . L'année 2020 agonise sans émouvoir grand monde, vive 2021 et ses espoirs. Plein de " bonnes choses " à vous et ceux qui vous sont chers .
A l'an prochain .
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Dans un hameau isolé, trois maisons se dessinent dans le soir naissant. La première va s'endormir paisiblement. La deuxième sent le gâteau au chocolat tout chaud pour l'anniversaire de la voisine. La troisième a été mise sur son 31 par un mari aimant, afin d'accueillir les invités surprise qu'il a conviés à l'anniversaire de sa femme. Et ça des surprises, il va y en avoir. Des lettres anonymes, un chien retrouvé mort… Trois hommes armés, que personne n'attendait. Qui sont-ils, que veulent-ils, que vont-ils faire ?


Dans ce thriller implacable de 630 pages, Laurent Mauvignier parvient à instaurer un suspense qui rend dingue, à l'aide d'un style que je n'attendais pas dans ce genre littéraire : Des phrases à n'en plus finir qui suivent le dédale des souvenirs et pensées de chaque personnage, nous permettant de saisir en un clin d'oeil des éléments de leur passé nébuleux et caché qui expliqueraient la situation ubuesque présente, de leur présent heureux mais sur le point de basculer, et même de leur futur menacé. Oui, pour les habitants du hameau le futur est incertain et l'on sent qu'il va dépendre de toutes les informations dont ces longues phrases recèlent, dont il nous appartient de dévorer les mots comme le Pacman ses pac-gommes. En tant que lecteur nous ne pouvons que ressentir cette tension, dans la mesure où nous aussi sommes pris en otage par les phrases de l'auteur, délicieux supplice maintenant le suspense, qui en disent beaucoup sur chacun mais jamais assez pour comprendre ce qui est véritablement en train de se jouer. Elles capturent notre attention, la retiennent le temps d'une révélation, la maintiennent en étirant le mystère en même temps que le souvenir décrit. Vous lisez en apnée, retenez votre souffle jusqu'à la fin de la phrase qui sera la fin de l'action, ou de la réflexion, ou de quoi que soit qui ait commencé avec la majuscule et finira par un point, le point qui vous permettra de reprendre votre souffle, ce point que vous attendez comme un soulagement et en même temps avec délice, une hâte excitante car pendant que vous l'attendez tout est encore possible, mais tout votre corps se tend vers la délivrance de ce léger stress, vers la résolution de cette énigme qui occupe désormais votre esprit tout entier, occultant toute autre sensation comme le fait que vos mains en deviennent moites, que votre front transpire et que vos yeux se rapprochent dangereusement de la feuille dans un effort désespéré pour parvenir à lire plus vite, pour accélérer cette délivrance comme si, par une telle action, pour pouviez également délivrer les personnages du cauchemar dans lequel ils sont enfermés, pris au piège, et alors que vous engrangez les informations délivrées par l'auteur vous ne pouvez cesser de vous demander : Comment la phrase va-t-elle se terminer, où veut-elle en venir ? (Désolée si vous êtes mort d'asphyxie avant d'atteindre la fin de cette phrase, peut-être ai-je mal dosé, n'est pas Mauvignier qui veut^^) Procédé bien rôdé qui ralentit le temps de l'action et permet, le temps d'une phrase comme une pensée, de nous en dire énormément mais jamais assez puisque la phrase s'arrête finalement avant de nous dire ce que l'on veut tous savoir, lecteurs et personnages : Qu'est-ce qui est en train de se passer sous nos yeux ?!


Vous aimerez ou vous détesterez. Perso, j'ai lu 630 pages comme j'en aurais lu 30 : Sans les voir passer alors que, dans le même temps, j'avais hâte de finir par savoir ce que voulaient ces types ! Alors pourquoi seulement 4,5 / 5 ? Lisez ma réponse uniquement si vous avez déjà lu le livre, et dans ce cas n'hésitez pas à me répondre !


« Jolie petite histoire [même si]
Cendrillon, pour ses [4]0 ans
Est la plus triste des mamans » (Téléphone)
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critiques presse (7)
LeDevoir
28 décembre 2020
« Le passé ne meurt jamais. Il n’est même pas passé. » La formule de William Faulkner, on pourrait la croire venue tout droit de chez Laurent Mauvignier, lui-même lecteur de Faulkner, et dont le dixième roman, Histoires de la nuit, fait revivre ce que l’on croyait à jamais enfoui ou dont on ignorait tout.
Lire la critique sur le site : LeDevoir
Actualitte
18 décembre 2020
Avec Histoires de la nuit, Laurent Mauvignier pousse l’art du roman dans ses retranchements et la réussite est à la hauteur de son audace – éclatante.
Lire la critique sur le site : Actualitte
LaCroix
13 octobre 2020
L'écrivain Laurent Mauvignier bâtit, avec de longues phrases en tension, un polar social et psychologique envoûtant et impressionnant, tableau de la désaffection rurale et de la fragilité des liens.
Lire la critique sur le site : LaCroix
LaLibreBelgique
29 septembre 2020
Avec "Histoires de la nuit", Laurent Mauvignier signe un admirable roman, un suspense littéraire et psychologique.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeFigaro
24 septembre 2020
Un thriller gâté par trop de méandres.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LeSoir
16 septembre 2020
Dans « Histoires de la nuit », Laurent Mauvignier déplie avec soin le temps d’une journée et d’une soirée pleine des ombres du passé.
Lire la critique sur le site : LeSoir
Bibliobs
16 septembre 2020
Jamais il n’a pris davantage son temps que dans ce roman noir de 640 pages aux longues phrases serpentines, où, en une seule journée, le temps s’étale avant d’être déchiré, les personnages se cherchent avant d’être cernés et la menace monte, heure après heure, comme une eau croupie. Ce pourrait être du Stephen King, revisité par Claude Simon.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (150) Voir plus Ajouter une citation
Il avait cru en rencontrant Marion que ce serait impossible entre eux, se demandant comment elle pouvait ne pas voir qu’ils n’avaient rien en commun, quand, au contraire, elle semblait heureuse de le trouver si différent, qu’elle avait même insisté en lui envoyant des images d’elle en expliquant, pleine d’espoir, qu’elle était en train de passer un diplôme et qu’elle pourrait travailler dans une imprimerie, alors que lui hésitait à lui parler de la ferme, de La Bassée, se demandant bien comment elle pouvait imaginer y trouver de l’intérêt, oui, très bien, avait-il osé, voyons-nous. Ils s'étaient rencontrés et la première fois elle avait ri - un peu trop, comme si elle avait tenu à le trouver drôle, lui, sachant trop bien qu’il ne l’était pas - et il était resté éberlué qu’elle veuille le revoir, qu’il passe une, puis deux, puis trois, puis quatre, plusieurs soirées en ville, allant après le restaurant jusqu’à partager une soirée au bowling, puis une autre au karaoke, et puis cet écart qu’il avait trouvé entre cette fille dont le dos portait un tatouage qu’il avait fini sinon par oublier du moins par négliger, car les nuits d’amour, quand il la prenait dans ses bras, dans l’obscurité des premières chambres, avaient tout transformé, et la rose meurtrie, les épines métalliques, tout ça, donc, avait fini par s’évanouir avec la lumière. Dans l’obscurité n’étaient restés que la chaleur et la douceur de la peau de Marion, son abandon, ses boucles créoles sur la table de chevet ; cet écart qu’il pressentait, il avait fini par l’oublier totalement ou par décider de ne pas le voir, ne cherchant pas à comprendre, car le plus important et le plus extraordinaire c’était qu’une femme de cette beauté et de cette intelligence s’intéresse à lui, non pas seulement pour une nuit, mais qu’elle lui parle de projet de vie, de mariage - c’est elle qui avait avancé le mot, qui avait osé le prononcer alors qu’il brûlait les lèvres de Patrice depuis des mois.
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Il la regarde dormir, elle porte juste un tee-shirt trop grand, gris, dans lequel son corps semble flotter, et pourtant ses seins apparaissent plus lourds que lorsqu’ils tiennent dans un soutien-gorge. Il les lorgne sans gêne, sans embarras, leur forme, les courbes, leur poids ; il aimerait les prendre dans ses mains, les soupeser, les caresser même si c’est seulement à travers le tissu, comme il reluque sans gêne non plus le décolleté trop plongeant et la peau dont quelques rides dessinent des lignes qu’il suit, et le cou, le visage de profil de sa femme, sa beauté qui s’ignore à l’heure où elle se repose, au moment où elle dort, lui laissant à lui seul le privilège non pas de la posséder mais de la contempler, s’étonnant encore de pouvoir jouir du privilège d’admirer cette femme et de la voir tournoyer autour de lui, vivre, rire et dormir ; et tant pis s’il y a toujours cette blessure qui se réveille à cette heure-ci, dont il arrive à tromper la douleur par l’acharnement au travail, par tous les soucis qui l’accablent et dans lesquels il veut bien se noyer pour oublier que sa femme, avec son souffle, sa bouche - ses lèvres -, la forme de son nez, les rides au coin des yeux et cette odeur qui n’est qu’à elle et dont la chambre, les draps, la maison elle-même semblent être comme une émanation, ne le laisse plus souvent la toucher, lui qui crève de la honte que ça lui donne de la désirer, sachant que, une fois par mois peut-être, elle laisse son corps trapu, de gras et de muscles lourds, rose et pâle, livide comme celui d’un cadavre, d’une peau rêche, odorante, aigre, son corps qu’il regarde avec dégoût, avec honte, se satisfaire en elle, le laissant s’ébattre comme il voit qu’elle le fait, en fermant les yeux et en retenant son souffle, il le sait - en attendant qu’il accomplisse sa besogne le plus vite possible, comme s’il fallait bien lui concéder au moins ça.
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(....) car maintenant Marion doit cesser le combat contre elle-même ; maintenant elle comprend que cette place qu’il lui a offerte elle n’a jamais su vraiment l’accepter, qu’il a été difficile pour elle de l’accueillir, cette place, car elle doit reconnaître qu’elle n’a pas voulu aimer ce gros homme confortable et accueillant qui ne correspond à rien de ce qu’elle croyait pouvoir ou devoir attendre d’un homme, uniquement parce qu’elle avait été incapable d’imaginer qu’on puisse l’aimer vraiment, elle, qu’on puisse lui faire une place à elle, et incapable de penser qu’un homme qui pouvait l’aimer était aussi aimable parce qu’il était capable de l’aimer, et non pas, comme elle l’avait cru, comme elle s’était débattue contre elle-même pour le croire : haïssable ou méprisable à cause de ce qu’il l’aimait, comme s’il fallait qu’il soit trop con pour l’aimer, ou comme si l’aimer elle, c’était déjà mériter son mépris ou son indifférence.
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En réalité, c’est juste que pendant qu’elle peint elle oublie qu’il faudrait qu’elle joue à l’artiste qui vend très bien son travail - ce qu’elle pourrait faire, car elle sait ce qu’elle pourrait faire, car elle sait ce qu’elle fait, ce qu’elle peint, même si elle se laisse déborder et surprendre par des tableaux qui naissent sous ses doigts, elle sait aussi que l’inspiration ne tombe sur le râble de personne et qu’il faut travailler, lire, voir, réfléchir, penser son travail, et, le travail intellectuel accompli, alors seulement savoir l’oublier, l’anéantir, savoir lâcher prise et laisser déborder de ce monde conceptuel et réfléchi quelque chose qui vient d’en dessous, ou d’à côté, qui fait que la peinture excède le programme qu’on lui a assigné, quand tout à coup le tableau est plus intelligent, plus vivant, plus cruel aussi, souvent, que celui ou celle qui l’a peint .
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Pendant un moment, il se repasse le film, il essaie de tout revoir, de visualiser un début, un milieu, une fin ; oui, voilà comment les choses sont arrivées : après qu’elle a dit qu’elle refusait d’entendre ses conneries, elle l’avait provoqué en quittant l’atelier et en annonçant qu’elle allait dîner, comme si elle était libre de ses faits et gestes – ce qu’il n’avait pas supporté –, et tant pis si ensuite il avait regretté son manque de sang-froid, car, même s’il s’était reproché ce poing levé sur elle, ça avait été sa faute à elle, elle n’avait pas à faire ce qu’elle avait fait, avec cette façon hautaine de passer devant lui, oui, cette façon qu’elle avait eue de s’adresser à lui, ce ton méprisant, voilà ce qu’il s’était répété, et s’il avait eu tort de lever la main sur elle il avait eu raison de la remettre à sa place, car c’était à lui seul de décider si elle pouvait bouger d’ici et passer d’une pièce à l’autre,...
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