Mano Mavropoulos3/5
2 notes
Misogyne
Résumé :
Cependant, terrifié à l’idée que parler seul dans mon appartement devienne à terme mon unique loisir, j’ai décidé, dans un moment de lucidité, et malgré mon appréhension, de partager ma vie avec un spécimen de l’incompréhensible espèce. Une femme en soutien, admirative de ma force et de mon intelligence, flattant mon ego, me caressant le dos le soir après le boulot, m’emmènerait, l’espérais-je, vers l’apaisement intérieur qu’en vain je recherchais.
Cependant, terrifié à l’idée que parler seul dans mon appartement devienne à terme mon unique loisir, j’ai décidé, dans un moment de lucidité, et malgré mon appréhension, de partager ma vie avec un spécimen de l’incompréhensible espèce. Une femme en soutien, admirative de ma force et de mon intelligence, flattant mon ego, me caressant le dos le soir après le boulot, m’emmènerait, l’espérais-je, vers l’apaisement intérieur qu’en vain je recherchais. Un jour viendrait où, remis sur pied (l’ai-je jamais été ?), soutenu à bout d’amour par une femme dont je serais devenu le roi, je pourrais enfin commencer à affronter cette chose un peu effrayante qu’est le bonheur. Comme le cygne ayant réussi à briser la glace, je glisserais avec majesté dans le ciel, regardant le monde d’en haut, ricanant de voir l’humanité minuscule tenter de s’extraire de la boue de l’existence.
Il me fallait maintenant choisir la partenaire capable de m’élever.
Si je fais le bilan, ma vie est une suite de piétinements. Je suis comme le cygne emprisonné dans la glace : inutilement majestueux. J’ai beau déployer mes ailes, les battre de toutes mes forces, elles ne m’emmènent nulle part. J’ai longtemps accepté ça. L’impuissance. L’immobilité. La répétition de l’insignifiant. Avec les années, je me suis habitué aux murs autour de moi, à ma séparation avec l’énergie du monde, pourtant à portée de main ; j’aurais pu l’empoigner, si j’en avais eu le courage. Je me rassure en me persuadant que le secret d’une vie réussie (disons, pour être plus juste, pas trop catastrophique) est de savoir faire avec. C’est sûrement vrai. C’est pour cela que je n’ai rien osé briser. Ni la glace, ni les murs. Je ne suis jamais entré dans la vie.