Bienvenue sur l'île de Lewis, l'île la plus au nord de l'archipel écossais des Hébrides extérieures. Prenez une carte, posez votre doigt dessus et fermez les yeux…sentez tout d'abord l'odeur si caractéristique de la tourbe brûlée, celle des moutons qui broutent jusque sur les routes, sentez la force du vent qui dessèche la bruyère et couche les herbes hautes le long des fossés. Voyez ces maisons le long des routes principales « semblables à des perles carrées sur un fil ». Une île d'arc-en-ciel sur laquelle le temps change sans arrêt, l'ombre et la lumière jouant à saute-mouton, la pluie, le ciel bleu, les orages, le soleil ne cessant de se chevaucher.
Et voyez les églises, si nombreuses, signes de l'importance de la religion sur l'île.
« Les églises protestantes fondamentalistes avaient dominé la vie sur l'île pendant des siècles. On racontait qu'un patron de pub ou de restaurant qui osait défier l'Église se retrouvait rapidement en faillite. Suspension des prêts à la banque, retrait des licences. Vu de l'extérieur, l'emprise de l'Église avait un parfum moyenâgeux. Ce n'était, de toute façon, pas très éloigné de la vérité. Sur l'île, certaines sectes condamnaient toute forme d'amusement comme un péché et considéraient la moindre tentative visant à contester leur autorité comme l'oeuvre du diable ».
C'est beau n'est-ce pas ? Certes une beauté quelque peu sombre et lugubre mais que ces jeux de lumière et ces horizons sans fin sont vivifiants et chargés d'une ambiance singulière ! Est-ce cette île rocher qui apparait sur la couverture du livre ? Non, là il s'agit de l'An Sgeir, à une centaine de kilomètres de Lewis, faisant à peine un kilomètre et demi de long, sans terre, sans herbe, sans plage, sans endroit plat. Un rocher surgissant de la mer…et couvert de fiente d'oiseaux. Une île aux oiseaux, où cohabitent fous de Bassan guillemots, mouettes, fulmars boréaux et cormorans, tout en caquetage, en cris. Une île dont l'odeur acide vous assaille tant le guéno recouvre littéralement ce rocher, blanc de plumes et de fiente. Un lieu complètement inhospitalier qui est l'endroit d'une tradition annuelle ancestrale pour les hommes de Lewis, un rituel de passage à l'âge adulte, un rite barbare : Aller tuer deux mille oisillons, des gugas, les petits des fous du Bassan, un met apprécié sur l'île de Lewis. Une chasse aventurière de quinze jours, quelque peu pathétique, mais à laquelle les habitants sont fermement attachés.
« - Ce n'est pas la tradition. Ça peut être une des raisons, en effet. Mais, mon garçon, je vais te dire pourquoi moi je le fais. Parce que personne d'autre ne le fait, nulle part dans le monde. Nous sommes les seuls. - Ce qui, je suppose, « nous » rendait, d'une certaine manière, spéciaux. Uniques. Je regardai le tas d'oiseaux morts sur le rocher et me demandai s'il n'y avait pas une meilleure manière d'être spécial ».
Voyez comme l'arrivée en bateau sur l'île est magnifique, la plume de
Peter May est incontestablement brillante pour décrire ces paysages :
«- le voilà ! - cria quelqu'un. Je tentai de percer la brume du regard pour enfin voir cet endroit de légende. Et il était là. Des falaises de cent mètres à pic, zébrées de blanc, qui surgissaient tout droit de l'océan, face à nous. Presque au même instant, alors que la brume se levait, des rayons de soleil passèrent à travers les nuages et le rocher devint une image faite de lumière et d'ombre, aux contrastes saisissants. Au sommet, je vis tournoyer quelque chose qui ressemblait à de la neige, avant de me rendre compte que ce que je croyais être des flocons était en fait des oiseaux. de magnifiques oiseaux blancs, avec des ailes aux extrémités bleu-nuit, des têtes jaunes, et une envergure de près de deux mètres. Des fous de Bassan. Des milliers, emplissant le ciel, virant dans la lumière, glissant sur les turbulences des courants d'air. Il s'agissait de l'une des plus importantes colonies de fous de Bassan existant encore dans le monde. Ces oiseaux extraordinaires revenaient chaque année, de plus en plus nombreux, pour pondre leurs oeufs et élever leurs petits sur cet endroit inhospitalier. Et ce malgré la moisson annuelle des hommes de Crobost et les deux mille poussins que nous nous apprêtions à enlever de leurs nids cette année encore ».
Alors l'histoire dans tout ça ? Beaucoup a été écrit sur cet excellent livre, Il s'agit du premier tome d'une trilogie, un polar, dans laquelle le meurtre d'un homme tente d'être élucidé. Pas du tout ma tasse de thé, enfin mon verre de whisky, habituellement. Mais grâce à Eric (@cassusbelli), j'ai osé m'aventurer sur ces terres, comprenant que ce n'était pas qu'un simple polar. Oui, des polars comme celui-ci ne me donnent pas l'impression de sortir de ma zone de confort. Certes, recherche d'un meurtrier il y a, intrigue très bien menée d'ailleurs, mais cette recherche est presque reléguée au second plan et est distillée avec parcimonie, par bribes subtiles, tant la vie sur l'île écossaise de Lewis est mise en valeur, son atmosphère, ses lumières, ses odeurs, son climat, ses us et coutumes. L'intrigue policière est entrelacée au contexte géographique de l'île et à l'histoire personnelle de celui qui veut comprendre, en l'occurrence Fin, afin de donner corps et âme au récit. Nostalgie et souvenirs viennent hanter la quête, des souvenirs d'enfance sur cette île à la fois magnifique et rude.
Un meurtre a en effet été commis, tuant un homme détesté par tous, une sorte de voyou, une ordure. Ce meurtre est assez spectaculaire (je vous passe les détails) et rappelle le mode opératoire d'un autre meurtre commis à Edimbourd. Les deux affaires ont-elles un lien entre elles ? Fin, policier ayant travaillé sur la première affaire, vient sur l'île de Lewis pour voir si un lien peut être dressé. Accepter de venir n'est pas pour Fin une décision anodine car il a grandi sur cette île. Il revient donc après dix-huit d'absence. Et nous découvrons peu à peu, au-delà des fantômes du passé qui refont surface, les drames qu'y a vécu Fin…
J'ai adoré cette lecture qui m'a tenu en haleine et ai aimé cette façon d'avancer dans l'intrigue de façon subtile, en décentrant le sujet. Nous captons des bribes de l'histoire petit à petit, entre confidences et souvenirs, le puzzle se met en place implacablement. Je suis ravie de retrouver bientôt le touchant Fin
Macleod dans la suite de la trilogie. Une citation telle une métaphore pour conclure cet avis :
« le vieux fauteuil de M. Macinnes était poussé dans un coin, le tissu des accoudoirs rendu luisant par le frottement de ses coudes. Quelquefois, la trace des gens sur cette terre reste longtemps après leur disparition ».