Une longue nuit mexicaineIsabelle Mayault
premier roman, Gallimard, 2019, 264p
Isabelle Mayault est née en 1986. Elle est journaliste et auteure. Elle vit entre Paris et Genève. Elle est allée au Liban apprendre l'arabe. Elle a vécu un an au Burkina-Faso.
Pendant cette longue nuit mexicaine, près de soixante-dix ans, quatre mille cinq cents négatifs de Capa (1913-1954), Taro (1910-1937), Chim (1914-1956), trois Juifs d'Europe Centrale, sont restés enfermés dans des boîtes. Capa, Taro, Chim, sont les pionniers des photographies de guerre. Ici, il s'agit de la guerre d'Espagne, emblématique en ce sens qu'elle constituait le dernier rempart contre la montée du fascisme. Il s'agit aussi de louer l'engagement de ces reporters qui prenaient des photos au risque de leur vie, et qui rendaient compte des atrocités de cette guerre et de toute guerre. Taro meurt sous un char en Espagne, Capa en Indochine, Chim, tué par un sniper alors qu'il couvre la crise de Suez. S'il est peu question de Capa (sans doute parce que très connu, et dont on ne peut plus penser aux photos sans penser à celles des deux autres) compagnon de Gerda Taro, la photographe oubliée, Chim, en revanche, occupe une place à part pour avoir aimé Olivia, l'amie à Lisbonne de la tante du narrateur, dissidente insoupçonnée. Olivia était une femme libre, car elle faisait ce qu'elle avait décidé, qui devait entrer en quatrième année de médecine et qui a abandonné ses études pour suivre de près la guerre civile espagnole. Elle a perdu une main quand l'hôpital où elle travaillait a été bombardé, et s'est mise au dessin. Ainsi se révèlent des vocations. C'était une battante que l'adversité n'abattait pas. C'est également la célébration d'une certaine presse qui, avec les images, montre la réalité des faits, et qui, dit-on, stimula Picasso à exécuter son Guernica. Un professeur d'art parle aussi de la façon dont les photographes tiraient les photos, Taro préférant une composition verticale, influencée par le constructivisme des films soviétiques, Capa choisissant la forte présence émotionnelle, et Chim, très humain, analysant la qualité de la lumière et photographiant les soldats dans leur quotidien quand ils n'étaient pas sur le front, et qui faisait de sacrées photos, compte tenu du viseur de l'époque.
le narrateur est un vidéaste mexicain, qui se sent profondément mexicain et apprécie le ciel bleu de son quartier de Coyoacán, où se trouve La Casa Azul, et qui vit dans le souvenir de sa cousine Greta, morte dans un accident de voiture à 36 ans, en compagnie de son amant, et qui fait de son cousin, qu'elle surnommait Jamón, l'héritier de la valise, peut-être pour mettre du poivre dans la vie de celui-ci, qu'elle jugeait trop sage. Ce dernier ne sait qu'en faire, en être le gardien ou la donner, mais pas à New York, parce que les Américains n'ont pas aidé les Espagnols qui venaient se réfugier chez eux pendant la guerre civile, et retrace le parcours de la dite valise. le lecteur participe ainsi à une enquête subjective, menée par un détective timide suivant les pas des héroïnes, des âmes fortes, de sa famille vers la France, l'Espagne, le Portugal, et de la peintre mexicaine la plus connue après
Frida Khalo, Olivia Guttierez qui vit jusqu'à 97 ans, et qui, après l'avoir quitté, n'est jamais revenue dans son pays. Je cite les âges parce que la longévité, dont jouit le narrateur, contraste avec la jeunesse des photographes et de la cousine morts. Les lieux lui rappellent des souvenirs heureux avec sa première femme, pleine d'assurance, et New York sa rencontre avec sa seconde femme, pleine de vie et de désir. le narrateur se pense dénué de volonté, qui est un des mystères de la vie, et qui caractérise les femmes qu'il a connues. le lecteur a la chance donc de mieux connaître le narrateur, qui n'aime pas le catégorique, et qui pratique la loyauté comme Maria, une timide comme lui et Chim, comme Chim, l'amoureux d'Olivia, et comme
Cornell Capa, le frère cadet
De Robert, qui a voué sa vie à retrouver les négatifs de son frère, et qui a sans doute minimisé son talent pour laisser la première place à celui-ci.
Il y a beaucoup de choses dans ce premier roman. Je ne connais pas l'auteure, mais je pense qu'elle aime ce métier de journaliste et de photographe, qu'elle défend les causes humanistes, et qu'elle doit avoir la voix du narrateur, toute empreinte de tendresse et de nostalgie, peut-être d'un manque, marquée par la retenue dont le lecteur sent la grande force.
C'est un récit, avec peu de dialogues, qui conte l'histoire d ela valise, ni valise, ni mexicaine, et qui mêle fiction et réalité. Ce récit est mené sur un rythme hypnotique, et m'a beaucoup séduite.