Hiver 1940 : les troupes de Mussolini pénètrent en Grèce. C'est le début d'un long cauchemar de quatre années qui va faire des centaines de milliers de morts et déboucher sur une horrible guerre civile.
Et pourtant, la chance commence par sourire aux Grecs, qui bousculent rapidement les Italiens et les obligent à se replier en Albanie.
Mais voilà, l'échec de son imprudent allié va contraindre Hitler à intervenir. Au printemps 1941, la Grèce est défaite, son territoire partagé, et ses récoltes saisies par les occupants allemands, italiens et bulgares, ce qui va occasionner une épouvantable famine dans les campagnes et surtout dans les villes. Le gouvernement fantoche du général Tsolakoglou et son administration corrompue s'avèrent incapables de faire face à la situation ; leur incurie laisse alors le champ libre à l'EAM, une coalition de gauche, dominée par le parti communiste, dont les membres prennent en main la gestion d'une partie du pays et organisent la résistance armée.
La suite n'est que trop prévisible : aux actions des résistants, les célèbres andartes, les forces de l'Axe répondent par des représailles de plus en plus féroces. En quatre ans d'occupation, ce seront ainsi quelque 1000 villages qui seront détruits, et leur population massacrée. 1000 Oradour-sur-Glanes ! S'y ajouteront la déportation et la mort de la très importante communauté juive de Grèce, descendant en grande partie des Juifs expulsés d'Espagne en 1492 et parlant le ladino.
Nourri par de très nombreux témoignages et documents, ce livre de l'historien américain Mark Mazower excelle à restituer l'atmosphère d'épouvante qui règne alors en Grèce, une période où « la menace permanente d'une violence apparemment aléatoire et aveugle est devenue [pour les habitants] l'élément central de leur mode de vie. » Mais il analyse aussi de manière très convaincante ce que l'auteur appelle la « logique de la violence », mélange de considérations idéologiques aberrantes (fondées avant tout sur des présupposés raciaux), et de basse cupidité : en effet, non contents de massacrer à tour de bras, les soldats allemands (rejoints sur ce point par leurs homologues italiens) ne cesseront de piller, spolier, racketter des civils terrorisés.
En dépit d'une traduction souvent médiocre, « Dans la Grèce d'Hitler » est un livre passionnant, dont la lecture aide peut-être à comprendre pourquoi la Grèce d'aujourd'hui a autant de mal à accepter des réformes imposées par une Union européenne largement dominée par l'Allemagne.
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Dans la Grèce d'Hitler est un bon livre sur l'occupation allemande de la Grèce entre 1941 et 1944.
Il rappelle à quelle point celle-ci fut dure de la famine quasi-provoquée à Athènes en 1941 à la répression des mouvements de résistance, en passant par l'extermination des Juifs de Thessalonique. L'auteur rappelle aussi quelques épisodes méconnus, comme les massacres de troupes italiennes après la capitulation de l'Italie en 1943 ou les rivalités entre les différentes forces de sécurité nazies. L'auteur n'oublie pas les hésitations des alliés, en particulier de la Grande-Bretagne, à aider la Grèce.
Cette période montre d'énormes similitudes avec la crise actuelle : même absence d'état central, mêmes incompétence et irresponsabilité de la classe politique, même replis sur le territoire local. La guerre civile entre communistes et collaborateurs resurgit aujourd'hui. Un passage assez drôle avec l'échec de l'organisation d'un STO en Grèce, les plaintes des nazis contre la fainéantise des travailleurs grecs, les plus mauvais d'Europe, faisant écho aux récriminations actuelles.
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Vivant dans une société sur laquelle les philosophies racistes n'avaient pas beaucoup d'influence, les gens trouvaient le comportement inhumain des Allemands profondément révoltant. Un rescapé d'Auschwitz, Errikos Sevillias [...] écrivait ceci après son retour des camps : "Une aventure inexplicable et inattendue m'est tombée sur la tête. J'ai été saisi comme par un cyclone... qui m'aurait soulevé puis jeté par terre, puis soulevé encore et jeté à nouveau par terre." Les Grecs orthodoxes partageaient cette incompréhension. Selon la formule du romancier Georges Ioannou, chroniqueur du désastre de Salonique, "les Allemands ont soudain introduit dans ce qui apparaît aujourd'hui comme l'atmosphère idyllique de notre insouciante, poussiéreuse culture balkanique, les abîmes des passions moyenâgeuses, les idioties de l'Europe gothique." (p. 400)
Les spécialistes qui considèrent que la machine de guerre du troisième Reich était minée par les rivalités bureaucratiques, l'anarchie et les querelles intestines ne comprennent pas dans quelle mesure les différents services allemands réussissaient à travailler ensemble sur des questions idéologiques importantes. Alors que les Italiens et les Grecs s'indignaient des mesures discriminatoires prises par les nazis contre les Juifs et parfois essayaient même de s'y opposer, les SS, la Wehrmacht et le ministère des Affaires étrangères semblent - à quelques notables exceptions près - avoir partagé des conceptions très similaires et avoir travaillé côte à côte avec une efficacité à glacer le sang. (p. 369)
Car, si les fiers et faméliques rebelles de l'ELAS étaient des radicaux quant à leurs revendications sociales, sur le plan politique, ils n'en étaient pas moins démocrates. Leur décision de prendre les armes était le résultat de tout ce qu'il y a d'admirable dans l'esprit des Grecs - patriotisme ardent, refus de tout calcul quand il est question d'honneur, acceptation stoïque d'indicibles souffrances et détermination d'agir en commun même s'il n'y a pratiquement aucune chance de réussir.
Europe after the European Age: historical reflections Speaker: Professor Mark Mazower
This event was recorded on 20 January 2010 in Hong Kong Theatre, Clement House