Comme son titre l'indique, cet essai retrace l'histoire des différentes agricultures à travers le monde : abattis-brûlis, systèmes hydrauliques, jachères, culture attelée et enfin la mécanisation. On constate à quel point l'agriculture impacte tout la société : par l'augmentation de la productivité, qui permet d' « entretenir » plus d'ouvriers, de soldats, d'artistes, ... Elle influence également le système politique en place. Dans les régions qui se basent sur les systèmes hydrauliques, un fort pouvoir centralisé est nécessaire : des travaux mal réalisés en amont peuvent dévaster les installations un peu plus bas et plonger le pays dans la famine.
Les explications sont parfois techniques, surtout au début où on parle même de la composition chimique des sols. Mais ces explications sont nécessaires pour comprendre plus tard les phénomènes d'érosion des sols, de désertification et de salinisation des eaux, quand le défrichage des forêts est trop intense ou l'irrigation mal réalisée.
L'essai se termine sur la situation dans le monde actuel, avec un fossé qui se creuse de plus en plus entre grands propriétaires de l'agriculture mécanisée et petits producteurs qui n'ont toujours pas accès aux outils les plus basiques. La question se pose également de savoir quoi faire des chômeurs toujours plus nombreux dû aux améliorations technologiques.
Un livre intéressant, mais certains passages auraient gagné à être plus vulgarisés et accessibles.
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Super livre, qui permet de retracer depuis le néolithiques les évolutions agricoles dans les différentes régions-types et civilisation du monde. Chaque chapitre est structuré de manière géographique, économique, technique mais aussi sociétal. La grille d'analyse très complète des auteurs permet d'appréhender l'agriculture comme point central de l'organisation des différents systèmes sociaux : de la politique à la religion.
Bref j'ai appris énormément de choses ! Merci !
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C'est un ouvrage universitaire.
C'est une bonne entrée en matière pour qui veut comprendre l'évolution des sociétés humaines.
"Le plus difficile pour l'humanité n'a pas été d'inventer l'agriculture mais la société qui allait avec".
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[C]e qui est difficile pour une société, ce n'est pas de semer ses graines de prédilection sur un terrain déjà prêt à cet effet, ni de capturer, d'apprivoiser et finalement d'élever, parmi ses gibiers préférés, les plus faciles à maîtriser. Cela, même les chasseurs-collecteurs savent le faire. Ce qui est difficile, c'est de disposer d'une organisation et de règles sociales permettant aux unités (ou groupes) de producteurs-consommateurs de soustraire à la consommation immédiate une part importante de la récolte annuelle, pour la réserver comme semence. Ce qui est difficile aussi, c'est de soustraire à l'abattage assez d'animaux reproducteurs et de jeunes en croissance pour permettre au troupeau de se renouveler. Ce qui est difficile encore, c'est de préserver les champs ensemencés par un groupe du droit de « cueillette » jusque là reconnu aux autres groupes, et de préserver les animaux d'élevage du droit de « chasse ». Ce qui est difficile enfin, c'est d'assurer la répartition des fruits du travail agricole entre les producteurs-consommateurs de chaque groupe, non seulement au quotidien, mais surtout, et c'est encore plus difficile, lors de la disparition des aînés et lors de la subdivision d'un groupe devenu trop large en plusieurs groupes plus restreints.
Plusieurs espèces de fourmis d'Amérique tropicale vivent chacune en association avec une espèce particulière de champignon domestique. Ces fourmis aménagent le milieu en construisant des nids, des galeries et des caves à champignons. Chez certaines espèces, les galeries descendent à plusieurs mètres de profondeur et débouchent dans des salles au plancher plat, au toit en voûte, parfois longues de 1 mètre et larges de 30 centimètres, où sont installés les jardins à champignons. Au cœur de cet aménagement, le nid central, immense, est quelquefois relié à plusieurs dizaines de nids satellites, plus petits, situés dans un rayon de 200 mètres. Ces fourmis construisent aussi une infrastructure de transport, réseau rayonnant de pistes en terre maçonnée, longues de plusieurs dizaines de mètres, larges de 1 à 2 centimètres, et à double circulation : une colonne de fourmis part à la récolte, tandis qu'une autre revient au nid avec son chargement.
La première révolution agricole fut en effet un vaste mouvement de développement qui a entraîné un doublement de la production et de la productivité agricoles. Et même si l'amélioration de l'alimentation paysanne a absorbé une partie de ces grains, il reste que la moitié environ de la production agricole totale pouvait désormais constituer un surplus commercialisable. La révolution agricole ne pouvait donc se développer pleinement qu'à la condition que ce surplus rencontrât effectivement une demande solvable adéquate, provenant d'une population non agricole aussi importante que la population agricole elle-même.
Ainsi, pour la première fois dans l'histoire de l'Occident, une société composée pour plus de moitié d'ouvriers, d'artisans, de commerçants, d'employés, de rentiers, etc. devenait non seulement possible mais nécessaire pour absorber les surplus de production provenant de la nouvelle agriculture. C'est pourquoi, aux XVIe et XVIIe siècle, la révolution agricole s'est d'abord développée autour des centres drapiers de Flandre et d'Angleterre. Au XVIIè siècle, elle a continué de s'étendre en Angleterre, en même temps que la première révolution industrielle qui gagnait les régions minières et sidérurgiques, et elle a commencé de se propager en France, en Allemagne et dans les pays scandinaves. Enfin, au XIXè siècle, elle s'est développée pleinement dans toutes les régions industrialisées de l'Europe du Nord-Ouest. Première révolution agricole et première révolution industrielle ont donc progressé ensemble. Elles ont marché du même pas, car elles avaient partie liée.
Les systèmes de culture sur abattis-brûlis ont donc été parmi les plus étendus et les plus durables qui aient jamais existé. Après avoir pénétré les forêts et les milieux boisés cultivables, ils s'y sont perpétués durant des siècles, jusqu'à ce que l'augmentation de la population et la répétition trop fréquente des cultures aient entraîné la destruction du boisement. Ce processus de déboisement, qui a touché les uns après les autres la plupart des milieux anciennement boisés et cultivés de la planète, fut sans doute le plus grand bouleversement écologique de l'histoire.
Le bon fonctionnement de la chaîne de l'innovation suppose donc que des chercheurs, enseignants et étudiants de tous niveaux connaissent intimement la pratique, ses conditions, ses contraintes et ses besoins. Faute de quoi, beaucoup de nouveautés sont inadéquates et rejetées, et elles constituent un formidable gaspillage de ressources. En définitive, la science et la technique « proposent », mais ce sont la pratique et l'économie qui « disposent ». En effet, en dernière instance, ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui choisissent et combinent les matériels, les intrants, les cultures et les élevages qu'ils mettent en œuvre, ce sont eux qui mettent au point les systèmes de production les plus avantageux, en fonction de leurs conditions de milieu et de prix, et en fonction des contraintes de superficie, de main-d'œuvre et de financement de leurs exploitations.
Marcel Mazoyer convention thématique 13 Mai 2009