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sur 2880 notes
Rentrée littéraire 2021 #38

Chaque page de ce roman ruisselle de littérature, il l'expire et l'inspire sans jamais la présenter comme séparée de la vie, mais à l'intérieur de la vie. Dans La plus secrète mémoire des hommes, il n'est question que de livres, d'écrivains, de notre rapport intime à la littérature, de notre façon de lire les textes et de les recevoir. Ainsi présentée, on peut se dire que ce texte va être un peu poseur, sûrement pédant, assurément ennuyeux. Que nenni ! J'ai été complètement emportée par le souffle puissamment romanesque de cet éblouissant roman, envoutée même par une sorte de magie qu' infuse une prose inventive et flamboyante, en perpétuel mouvement.

C'est l'histoire d'une quête, celle d'un livre maudit. Dès qu'il le découvre, le jeune écrivain sénégalais Diégane, monté à Paris plein d'ambition, en est possédé. Il décide d'enquêter sur son mystérieux auteur devenu paria : T.C. Elimane, lui aussi Africain francophone, a connu la gloire en 1938 avant d'être balayé par une accusation de plagiat et de disparaître. Etait-il " un écrivain absolu ? un plagiaire honteux ? un mystificateur génial ? un assassin mystique ? un dévoreur d'âmes , un nomade éternel ? un libertin distingué ? un enfant qui cherchait son père ? un simple exilé malheureux qui a perdu ses repères et s'est perdu ? " Cette quête, au départ littéraire, se double très rapidement d'une quête existentielle : Diégane veut trouver l'Homme en lui, un sens à sa vie, une direction comme pour se ressusciter.

Le roman se déploie à travers un siècle d'histoire France / Sénégal, déambule à travers les fléaux du XXème siècle ( les tranchées de la Première guerre mondiale, la Shoah, la colonisation ), révélant à Diégane vérités et illusions. La construction très borgésienne de ce livre-monde est vertigineuse, multipliant les mises en abyme. Un jeu de pistes entre enquête policière, témoignages de ceux qui ont croisé Elimane et sont toujours hantés par lui, et roman initiatique, le tout saupoudré d'une touche de magie inquiétante et de fantastique étrange. Les légendes se fracassent les unes aux autres, les récits s'enchâssent, se mêlent pour tenter de cerner le fantôme de l'écrivain disparu, échafaudant très progressivement un portrait ambigu et parcellaire. La vérité est toujours plurielle dans cette structure polyphonique qui n'assène jamais mais laisse toute sa place au lecteur pour imaginer et douter sans pour autant jamais le perdre d'une époque à l'autre et d'un narrateur à l'autre, de France à Sénégal en passant par l'Argentine.

Cette narration labyrinthique rend parfaitement compte de l'histoire complexe des liens franco-africains, toujours avec subtilité, sans manichéisme mais fermeté lorsque est convoquée par exemple la mémoire des tirailleurs sénégalais. Surtout, le récit dépasse brillamment l'étouffante question de ce face à face Occident / Afrique pour ne parler que de littérature et de la condition de l'écrivain, à la fois magnifique et misérable. le roman rend hommage à cette littérature africaine d'expression française et redirige le regard vers Yambo Ouologem, écrivain malien qui a inspiré le personnage fictif d'Elimane. Il a été le premier romancier africain à recevoir le Prix Renaudot en 1968 pour le Devoir de violence qui suscite nombreuses polémiques car il remet en cause l'Afrique mythifiée célébrée par la poésie senghorienne et la Négritude. Accusé d'avoir plagié Graham Greene et André Schwartz-Bart, il choisit de vivre en reclus.

Un thriller littéraire palpitant, stimulant et malicieux d'une impressionnante maitrise. Sans déguisement ni futilité ( mais sans être dénué d'humour ), tout y est dense et fait sens pour construire un chant d'amour dédié au pouvoir intemporel de la littérature. Formidable !
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De nos jours, Diégane Latyr Faye, un jeune écrivain sénégalais, est totalement fasciné par un ouvrage de 1938, le Labyrinthe de l'inhumain, de T.C. Elimane. Il mène alors l'enquête sur ce mystérieux écrivain à la fois qualifié de génie et accusé de plagiat, qui fut surnommé le « Rimbaud nègre ». ● Alors que ce livre qui ne parle que de littérature aurait dû me plaire, j'ai réellement détesté son extrême confusion narrative qui perd et exténue le lecteur. D'autant que cette confusion n'est pas au service d'une intrigue, inexistante. ● La complexité bouffie de ce roman, les multiples références littéraires, les mots savants, tout cela ne sert que soi-même dans un mouvement autotélique d'où ne ressortent que la pose et la prétention de l'auteur. ● Mais peut-être justement est-ce une réussite dans la mesure où celui-ci fait explicitement sienne la fameuse aporie de Flaubert de faire un livre « sur rien ». Malheureusement, il y parvient. Sans pour autant, comme c'était la pensée de Flaubert, que le livre ne tienne que par le style, ici outrancièrement alambiqué, contourné, le contraire même de la prose flaubertienne (avec en prime quelques mots grossiers pour faire jeune et moderne). ● du moins les jurés Goncourt, une presse délirante dans le dithyrambe et une écrasante majorité de lecteurs, notamment de Babelio, ont-ils jugé que la réussite était patente (panurgisme ?). ● Pour ma part je me demande comment un même jury a pu couronner l'Anomalie l'année dernière et ce livre-ci cette année. Cela va faire bien des déçus parmi les lecteurs achetant les yeux fermés « le Goncourt ». ● Deux mois après avoir écrit ce qui précède, j'ajoute que je trouve assez amusant de voir certains lecteurs attribuer trois étoiles, voire davantage, à ce roman, tout en avouant n'y avoir rien compris et/ou s'y être mortellement ennuyés : si tout le monde l'a tellement aimé, et qu'en plus il a eu le Goncourt, alors c'est moi qui suis dans l'erreur en ne l'aimant pas ! se disent-ils peut-être.
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Edité par Philippe Rey, à qui nous devons déjà l'incontournable « American Dirt », « La plus secrète mémoire des hommes » est une bombe qui m'a bouleversé et marquera irrémédiablement la vie de ses lecteurs.

Ouvrage difficile, cet hapax est constitué de trois livres, formés de quatre biographèmes et huit parties rédigées avec des phrases occupant jusqu'à dix pages (rappelant « Zone » de Mathias Enard) qui m'ont sorti de ma zone de confort et enrichi de nombreuses consultations de dictionnaires. Mohamed Mbougar Sarr jongle avec les mots, dont il maitrise les moindres facettes, qu'il aligne avec aisance et musicalité en exigeant du lecteur une attention soutenue et un effort notable.

Dédié à Yambo Ouologuem, ce roman évoque « Le labyrinthe de l'inhumain », publié en 1938, accueilli diversement par la critique parisienne, puis accusé par la suite de plagiat, dont l'auteur T.C.Elimane disparut aussi mystérieusement que son oeuvre et ses critiques, tous « suicidés ».

Enquête sur trois continents et un siècle, l'intrigue parcourt les guerres mondiales, la colonisation, la faillite consécutive à la décolonisation, et croise des auteurs, des éditeurs, des musiciens, une famille sénégalaise, personnages aux patronymes multiples, dotés parfois de pouvoirs relevant de la magie, qui ensorcellent le lecteur en lui dévoilant les mystères africains.

Mais ce chef d'oeuvre est avant tout une réflexion de haute volée sur la littérature, la liberté (et les interdits) de l'écrivain, le regard de la critique (et ses liens mercantiles) et « l'alternative devant laquelle hésite le coeur de toute personne hantée par la littérature : écrire, ne pas écrire ».

Honoré du prix Goncourt 2021, ce jeune écrivain apparait très prometteur, et mérite un lectorat moins confidentiel que celui de T.C.Elimane, son désormais illustre "prédécesseur".
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Ce quatrième ouvrage de Mohamed Mbougar Sarr, couronné du Prix Goncourt 2021, invite à suivre les pas de Diégane Latyr Faye, jeune écrivain qui tombe sous le charme d'un livre mythique intitulé « le labyrinthe de l'inhumain ». Tout d'abord salué par la critique, ce roman paru en 1938 sera retiré des ventes après des accusations de plagiat et son mystérieux auteur d'origine sénégalaise, T.C. Elimane, qualifié de « Rimbaud nègre », disparaîtra dans la nature…

___« Mais peut-on croire aux disparitions sans héritage ? Aux évanouissements absolus ? Je n'y croyais pas. Je n'y crois toujours pas. Il y a une présence qui demeure après tout départ. Peut-être même la vraie présence des êtres et des choses commence-t-elle seulement après leur disparition. »

Si le point de départ de ce roman s'inspire de l'histoire vraie du Malien Yambo Ouologuem, premier romancier africain à recevoir le Prix Renaudot en 1968 pour « le Devoir de violence » et ayant vécu reclus jusqu'à la mort suite à des accusations de plagiat, cette quête littéraire qui invite à partir à la recherche de l'auteur d'un roman culte introuvable, propose surtout une réflexion profonde sur la littérature.

J'ai été totalement subjugué par la première partie de cette enquête et par la prose magnifique de Mohamed Mbougar Sarr. Mais, malgré le souffle romanesque incroyable du roman, sa construction labyrinthique a fini par m'essouffler. de Dakar à Paris, en passant par Buenos Aires et Amsterdam, l'auteur multiplie les points de vue, sautant d'un narrateur à l'autre, multipliant les styles d'écriture, les références littéraires et les temporalités, abordant de nombreux thèmes, allant de la colonisation au nazisme, traversant un siècle d'histoire, certes en ensorcelant le lecteur grâce à la magie de ses mots, mais en l'exténuant au fil de phrases parfois interminables, l'abandonnant sur le cul, car oui c'est un beau Goncourt…mais ce n'est pas le plus accessible !

Servi par une plume prodigieuse, « La plus secrète mémoire des hommes » vous invite donc à partir sur les traces d'un chef-d'oeuvre…mais pas forcément celui-ci.

___« Un temps la Critique accompagne l'Oeuvre, ensuite la Critique s'évanouit et ce sont les Lecteurs qui l'accompagnent. le voyage peut être long ou court. Ensuite les Lecteurs meurent un par un et l'Oeuvre poursuit sa route seule, même si une autre Critique et d'autres Lecteurs peu à peu s'adaptent à l'allure de son cinglage. Ensuite la Critique meurt encore une fois et les Lecteurs meurent encore une fois et sur cette piste d'ossements l'Oeuvre poursuit son voyage vers la solitude. S'approcher d'elle, naviguer dans son sillage est signe indiscutable de mort certaine, mais une autre Critique et d'autres Lecteurs s'en approchent, infatigables et implacables et le temps et la vitesse les dévorent. Finalement l'Oeuvre voyage irrémédiablement seule dans l'Immensité. Et un jour l'Oeuvre meurt, comme meurent toutes les choses, comme le Soleil s'éteindra, et la Terre, et le Système solaire et la Galaxie, et la plus secrète mémoire des hommes. »
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Trois livres composent ce grand livre. Chaque livre se divise en plusieurs parties complétées par ce que Mohamed Mbouga Sarr, l'auteur, appelle des biographèmes, le tout étant un formidable hommage à Yambo Ouologuem, écrivain malien (1940 – 2017), lauréat du Prix Renaudot en 1968 avec le Devoir de violence. Premier romancier africain à recevoir une telle récompense, il fut accusé ensuite de plagiat, meurtrissure qu'il ne surmontera jamais vraiment.
La plus secrète mémoire des hommes tourne autour du dilemme qui hante tous les gens passionnés de littérature : écrire ou ne pas écrire.
T.C. Elimane, le héros du livre l'a fait. Il a publié le Labyrinthe de l'inhumain, oeuvre unique, magnifique, qui a suscité une grande admiration avant de déchaîner la haine de certains critiques l'accusant de plagiats. le jeune écrivain originaire du Sénégal, brillant étudiant qui avait tout sacrifié pour ce livre, ne s'en remettra jamais au travers d'une période de notre Histoire marquée par la Seconde guerre mondiale, les révoltes contre les dictatures sud-américaines et les tentatives de révolution en Afrique sub-saharienne.
C'est un jeune écrivain sénégalais, Diégane Laty Faye, qui découvre ce fameux Labyrinthe de l'inhumain, en août 2018. Si c'est autour de sa quête que s'articule le livre, je vais rencontrer beaucoup de personnages au cours de ma lecture, me perdre un peu, pour finalement retrouver mes repères grâce à un final bien mené.
Diégane commence sa quête avec Siga D. qui possède le livre et connaît bien les origines de son auteur. Elle est elle-même écrivaine, vit à Amsterdam, ses seins fascinent Diégane qui la nomme L'Araignée-mère.
En cours de lecture, je rencontre plusieurs écrivains francophones originaires d'Afrique, écrivains talentueux qui tentent de faire leur place et souffrent beaucoup d'un racisme qui, s'il ne s'affiche pas ouvertement, est bien présent.
Musimbwa en fait partie. Il est congolais. Comme il ne connaît pas le livre d'Elimane, Diégane le lui confie. Je rencontre alors une performance littéraire réussie bien que lassante : une phrase interminable s'étalant sur quatre pages et traitant des écrivains africains !
Au passage, je note des mots rares, signes d'un vocabulaire très riche comme les prolégomènes (notions préliminaires nécessaires à la compréhension), un schibboleth (mot venant de l'hébreu désignant ce qui ne peut être utilisé ou prononcé correctement que par les membres d'un groupe), un conseil consuétidunaire (synonyme de coutumier), ou encore des figures involucrées (corrompues), entre autres. Était-ce bien nécessaire, même s'il est toujours utile de découvrir des mots nouveaux de notre belle langue française ?
Le deuxième livre m'amène enfin au coeur du Sénégal où Ousseynou Koumakh (92 ans) est proche de la mort. Marène Siga raconte et commencent à se mêler passé lointain et présent. J'apprends beaucoup sur la vie d'un village sénégalais, ses rites, ses superstitions ou, tout simplement, le mode de vie de ses habitants. Beaucoup s'en contentent. Certains sont fascinés par la grande ville, Dakar, d'autres, brillants élèves, ne rêvent que de venir vivre à Paris, en France, ce pays colonisateur qui a tant bousculé et même détruit coutumes et traditions des différents peuples constituant ce pays.
C'est ainsi que le puzzle se met peu à peu en place, que je comprends un peu mieux pourquoi et comment Elimane est venu en France. le détail de ses origines familiales a beaucoup d'importance. Les nombreux retours en arrière, les récits qui se superposent et s'entrecroisent révèlent toute la diversité et la complexité d'une histoire ramenant toujours à la littérature et au besoin d'écrire.
J'avoue avoir eu du mal, souvent, pour savoir qui parlait, qui s'exprimait et j'ai pris cela un peu comme un jeu de piste, tentant de découvrir au plus vite, grâce aux indices donnés dans le texte, le nom de son narrateur. Mohamed Mbouga Sarr maîtrisant bien son sujet, réussit plusieurs fois à entremêler les époques et les narrateurs. Cela n'est pas facile pour le lecteur mais se révèle finalement passionnant.
Bien sûr, le lauréat du Prix Goncourt 2021, balade son lecteur aussi en Argentine après Amsterdam, l'essentiel se passant à Paris malgré une escapade dans le Lot puis en Normandie. Enfin, j'apprécie le retour aux sources, un final sénégalais dans ce village d'où tout est parti, où Diégane Latyr Faye retrouve vraiment la trace de celui qu'on appelait plus que Madag, le voyant. C'est beau, poignant et édifiant à la fois comme réflexion poussée sur la littérature et le métier – en est-il un ? – d'écrivain.

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L'auteur écrit dans l'épilogue page 455: "j'ai lu plusieurs fois le manuscrit...Il débute somptueusement....Mais après quelques pages tout change: le livre s'égare et ne trouve jamais sa voie. " C'est exactement ce que j'ai ressenti en essayant de lire "la plus secrète mémoire des hommes" non sans m'endormir plusieurs fois dessus. C'est long (459 pages) , verbeux, filandreux, ennuyeux. La qualité de l'écriture ne suffit pas à palier les défauts de la narration et encore moins les ambiguïtés de la construction. le récit emprunte mille voies, part dans tous les sens et s'égare partout. C'est le type même d'ouvrage qui plaît aux lectéromanes, aux critiques littéraires et aux éditeurs. Il aborde les sujets littéraires chers aux hommes et aux femmes qui ne vivent que de ça. Mais ce genre là m'assomme, me saoule, me barbe, me tale et, surtout, me donne une fois de plus l'impression de m'être gentiment fait rouler par les critiques.
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Vous n'auriez pas vu T.C Elimane ?
Au coin de la rue ou dans les recoins d'un souvenir perdu.
En revanche, impossible de passer à côté du dernier Goncourt, Mohamed Mbougar Sarr. Il fait la une, et ni une ni deux, on m'offre son roman à jaquette rouge …. trois fois. Deux cadeaux de Noel en moins à empaqueter.
Pourtant, j'avais plutôt prévu d'offrir le Voyant d'Etampes d'Abel Quentin, prix ODP31 de 2021 mais avouons que l'écho médiatique de ma récompense n'a pas dépassé le cercle fermé de ma famille. Déflorez quand même le prix de Flore.
Revenons à cette plus très secrète mémoire des hommes. Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, avatar de l'auteur, découvre à Paris un livre mythique : le labyrinthe de l'inhumain, paru en 1938.
Son auteur, T.C Elimane, surnommé le « Rimbaud nègre » a disparu après des accusations de plagiat. le jeune auteur va partir à la recherche de l'écrivain mystérieux dans le temps et dans l'espace, de son pays d'origine jusqu'en Argentine, de la première guerre mondiale à 2018, du tirailleur tiraillé jusqu'aux mystères de la création littéraire.
L'histoire rend hommage à l'écrivain malien Yambo Ouologuem, récompensé par le Renaudot en 1968 pour « le devoir de violence » qui se retira du monde après le retrait de son livre, accusé lui aussi d'avoir copié sur son voisin. A priori, des calomnies par ceux qui jalousaient son succès.
Que retenir de cette lecture ? La flamboyance de sa langue d'abord. Surtout. L'auteur n'a pas peur d'en faire trop, d'écrire le mot de trop. Il flirte avec l'emphase, donne parfois l'impression de vouloir épater la galerie, de faire la preuve de son génie, notamment dans la première partie. Arrogance de jeune universitaire excusé par le désir fou d'écrire. Je suis passé outre, épaté par la qualité du style. Qu'il est bon aussi de ressortir des mots de la poussière. Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas eu à « tuster » sur mes vieux dictionnaires à la recherche d'un mot perdu.
Cette enquête devient vite une quête : poétique, littéraire, historique. Et même un peu magique. Pourquoi tous les critiques ayant parlé du livre de T.C Elimane sont morts ?
Il s'agit aussi d'un hommage à la littérature africaine, que je méconnais trop, sur sa compréhension et ses caricatures.
Les personnages sont très bien construits, notamment les femmes, mais j'ai regretté qu'ils parlent tous d'une même voix. Au fil des pages, la narration passe de l'un à l'autre sans prévenir, procédé harmonieux mais périlleux qui a parfois égaré le Petit Poucet que je suis, caillou dans ma chaussure qui m'a agacé durant cette marche de 450 pages.
Pour ma part, je trouve que le Goncourt arrive trop tôt dans l'oeuvre de cet auteur bluffant, que ce roman très ambitieux est vraiment réussi mais pas totalement abouti. Prose enchantée mais en chantier. Je pense le concernant que le meilleur est encore est à venir.
Je n'ai pas retrouvé T.C Emilane mais je viens de retrouver mes lunettes, au bout de mon nez, le livre refermé. Chacun sa quête.
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J'arrive un peu après la « bataille », bataille entre celles et ceux, parmi mes amis Babelio, qui considèrent ce livre « La plus secrète mémoire des hommes » de Mohamed Mbougar Sarr comme un chef d'oeuvre et celles et ceux, toujours parmi les amis Babelio dont j'apprécie les critiques, qui l'ont détesté. Bataille entre les 5 étoiles et la demi-étoile, entre le maximum et le minimum. Et quelques avis, rares, plus tièdes, quelques rares entre deux. Une bataille qui souligne combien ce livre interpelle, divise, partage et qui m'a empêché un long moment de l'ouvrir, ce livre pourtant gagnant du Prix Goncourt, malgré le fait qu'il était là, depuis des mois, posé à mes côtés. Et je l'ai ouvert, comme ça, pour voir, me faire une idée du style ; j'ai été comme happée et me suis décidée enfin à plonger dedans…voilà le premier passage sur lequel je suis tombée, par hasard, et qui m'a décidé :

« La chambre : tu n'y étais pas encore entré qu'elle t'envoyait à la gueule son ventre : l'odeur de la vieillesse et de la maladie et de la faiblesse du corps dont toutes les pudeurs lâchent lorsque approche la fin. Je n'ai connu mon père que vieux. Je ne l'en ai que mieux haï, comme j'ai haï cette chambre qu'il ne quittait presque plus les dernières années de sa vie. Elles et lui avaient fini par faire corps. Je repense à mon père : avant que son visage d'aveugle apparaisse, c'est d'abord son odeur que je sens. Je la vois. Je la touche. Elle me saisit les tripes et me les retourne. Ensuite seulement l'odeur prend chair et cette chair devient le visage de mon père. Il m'a imposé son odeur de son vivant ; il me l'inflige encore depuis sa tombe. Fétide haleine. Crachats visqueux. Incontinence urinaire. Sécrétions anales. Hygiène sommaire. Inévitable pourrissement de l'ensemble. Mon père était une vieille charogne irregardable. de mon enfance à cette nuit où il m'avait fait appeler, je l'ai toujours connu ainsi. Nous étions en 1980, j'avais vingt ans, lui quatre-vingt-douze ».

Coup de poing. Et contrairement à ce que vous pouvez croire en lisant ce passage, il ne s'agit pas d'un nième règlement de compte d'un auteur envers son père, non, là c'est une femme qui parle ainsi dans ce livre, une femme qui détient une grande partie de la clé du mystère du livre et cette haine s'explique bien dans l'histoire. Mais quelle plume… !

Ce livre est une merveille, un prodige. C'est une labyrinthique mise en abime d'une histoire qu'il ne serait pas nécessaire de développer davantage, car, comme le dit Sarr « un grand livre ne parle jamais de rien, et pourtant tout y est ». C'est un précipice silencieux. A la fois presque rien si on se base sur l'histoire et tout si l'on considère les thèmes évoqués. J'ai pensé à Kundera en le lisant, Kundera en plus flamboyant et incandescent. le même genre de texte empli de méandres, le choc d'un gravier contre le pare-brise d'une voiture : au point d'impact se dessine une multitude de lézardes et à chaque ornière rencontrée sur la route, certaines s'allongent et se poursuivent plus que d'autres…mais au fur et à mesure du cheminement dans le livre, les lézardes forment comme une toile, une toile d'araignée. Elle m'a prise dans son filet en tout cas, je ressors bluffée. Des ondes concentriques vibrent sur le lac de mon âme…

C'est l'histoire d'un écrivain d'origine sénégalaise à Paris, Diégane, qui tombe sur le récit fabuleux d'un certain T.C. Elimane, auteur africain comme lui, dont le récit publié en 1938, « le labyrinthe de l'inhumain », avait évoqué la curiosité (comment un Nègre est-il capable d'écrire un lire aussi beau ? se demandait-on à l'époque) et la fascination puis qui disparut brutalement car accusé d'avoir plagié d'autres oeuvres, de s'être largement inspiré d'autres grands textes littéraires. Diégane, complètement sous le charme de ce texte maudit, se lance dans une quête effrénée pour connaitre et comprendre ce personnage, et se rend compte que d'autres personnes ont également été marquée à vie par cet auteur mystérieux, soit l'ayant connu soit, soit l'ayant également cherché. Qui était T.C. Elimane ? « Un écrivain absolu ? Un plagiaire honteux ? Un mystificateur génial ? Un assassin mystique ? Un dévoreur d'âme ? Un nomade éternel ? Un libertin distingué ? Un enfant qui cherchait son père ? Un simple exilé malheureux qui a perdu ses repères et s'est perdu ? »…au fur et à mesure de la quête, gonfle la puissance romanesque et le mystère du personnage…

Elimane plane sur tout le livre, sirène au chant mélancolique qui transforme chaque personnage qui tente de l'approcher en Ulysse, sans retour possible, perdu dans le labyrinthe de sa vie.

De ce point de départ somme toute simple : se pencher sur un auteur disparu qui a publié un livre hors norme en 1938, de cette bobine informe et à priori banale, nous tirons peu à peu des fils, chaque fil étant une voix, un réflexion lumineuse sur la littérature, sur l'écriture, sur la façon de lire un texte et de le recevoir, sur les racines, sur l'exil, sur les liens franco-africains, réflexions prenant corps soit dans des témoignages, soit dans des articles de presse, dans des enquêtes policières, dans des monologues, des rêves…tous les styles sont convoqués pour apporter une lumière sur cette histoire, selon des angles différents. Nous suivons un jeu de pistes sur lequel plane une touche de fantastique, de magie noire. Cette simple bobine de laquelle Sarr nous a conviés à tirer les fils, devient peu à peu pierre précieuse aux multiples facettes, aux couleurs plus ou moins sombres, plus ou moins vives. Un bijou taillé de façon magistrale dont chaque facette s'enchâsse avec harmonie avec les autres, mais qu'il est impossible d'admirer dans sa globalité, de cerner définitivement, tant le portrait se fait parcellaire au fur et à mesure de notre avancé. Une facette qui brille, c'en est une autre qui s'assombrit…

« Je pourrais convoquer ici le paradoxe de toute quête de connaissance : plus on découvre un fragment du monde, mieux nous apparait l'immensité de l'inconnu et de notre ignorance ».

Je ressors complètement envoutée par ce texte, émerveillée par la magie de cet auteur, par son art labyrinthique, par sa plume qui transforme chaque page en bijou de littérature, une littérature poétique, flamboyante, vivante. Ce livre va rester à mes côtés, il ne sera pas rangé sur une étagère, car je sais d'ores et déjà que je m'y replongerai de temps à autre pour y puiser matière à réflexion. Chapeau bas Monsieur Sarr !

« Les grandes oeuvres appauvrissent et doivent toujours appauvrir. Elles ôtent de nous le superflu. de leur lecture, on sort toujours dénué : enrichi mais enrichi par soustraction ».
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Pour écrire La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr s'est inspiré du destin brisé de Yambo Ouologuem, premier écrivain africain à remporter le Prix Renaudot en 1968 avec le devoir de violence, à 28 ans. Il a connu la gloire, puis l'opprobre, finissant sa vie reclus, honni par ses pairs.
Avec La plus secrète mémoire des hommes, Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021, un des plus jeunes Goncourt de l'histoire, rend ainsi hommage à l'écrivain malien, tombé dans l'oubli, à qui il dédie son ouvrage, et à son oeuvre.
Nous sommes en 2018, à Paris et Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, va découvrir un livre mythique le labyrinthe de l'inhumain . C'est la sulfureuse Siga D, détentrice de secrets qui le lui remet. Son auteur, le mystérieux T.C Elimane a disparu après qu'une violente polémique a terni sa réputation à Paris. Il a été porté aux nues, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre ». avant d'être cloué au pilori pour plagiats. Alors que ce livre culte publié en 1938 est devenu quasiment introuvable, Diégane, pris de passion pour celui-ci va se livrer à une véritable enquête, et se lancer sur les traces de ce mystérieux auteur introuvable. Pour cela, il se rend, entre autres, aux archives de la presse pour se plonger dans les différentes recensions publiées, découvrant que les auteurs des critiques sont curieusement, tous morts peu après.
Cette quête que l'on peut qualifier de labyrinthique nous entraîne sur la piste de cet énigmatique auteur qui affronte les heures sombres de l'histoire, le colonialisme ou la Shoah. Elle nous conduit à Paris, Amsterdam, et Buenos Aires, nous faisant arpenter le Sénégal sur les traces de cet homme.
Quelle vérité attend celui qui peut être considéré comme le double littéraire de l'auteur, Diégane Latyr Faye, au centre de ce labyrinthe ?
Ce livre dense, puissant, se lit comme un polar et nous convie à un voyage, à de multiples époques, continents et cultures. Ce texte éminemment politique est empreint de sensualité et d'introspection. Il a le mérite de nous interroger sur divers sujets comme celui de la solitude ou celui de savoir si un enfant peut être comptable d'un passé qu'il n'a pas connu, mais il est avant tout un immense chant d'amour à la littérature et à son pouvoir intemporel et nous amène à une intense réflexion sur l'art d'écrire, sur ce qu'est un écrivain, ce qu'est un bon livre, la force magique qu'il peut avoir, le choix entre l'écriture et la vie.
Un style personnalisé caractérise chacun des nombreux personnages du roman, permettant au lecteur de ne pas être trop déstabilisé par cette imbrication entre eux parfois un peu complexe. de multiples mots ou expressions en wolof émaillent le récit le rendant encore plus authentique et savoureux.
La plus secrète mémoire des hommes, quatrième roman de Mohamed Mbougar Sarr, un peu moins grand public que les derniers Goncourt, et malgré ses presque 460 pages, est un roman aux nombreuses formes, particulièrement riche et bouleversant, écrit dans une langue magnifique, avec un vocabulaire peut-être un peu trop souvent savant. Cette saisissante enquête bien rythmée happe le lecteur dès les premières lignes pour ne plus le lâcher, tout en demandant néanmoins quelque effort et une attention soutenue.

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Mes espoirs d'un moment de lecture inoubliable furent vite réduits à néant. J'ai suspendu ma lecture après 20 % : C'est décousu, incompréhensible, ça part dans tous les sens et je ne discerne pas l'intrigue au milieu de ce fatras… Pire, je ne comprends pas le but ultime de l'auteur dont le style est bien trop pompeux, limite orgueilleux. le « JE » est omniprésent pour tous les personnages, c'est dire….
et puis : « Non ! ce n'est pas possible ! c'est un Goncourt, ça doit forcément être bon à un moment ou un autre !? ». Je me suis donc fait violence et traînée au bout de cet ouvrage, que je qualifierais de prétentieux, confus, égaré par moment, lourd, pénible, comme un boulet que l'on tente arracher au sol, un repas prétendument gastronomique, gargantuesque que l'on se doit de finir parce qu'on l'a payé et qui au final vous reste sur l'estomac, avec une réelle déception voire indigestion.
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