Un livre, délicieuse mise en abyme littéraire, qui joue avec humour sur tant de registres qu'il devrait ravir tout type de lecteur, qu'il soit friand de romans historiques (de la colonisation au nazisme), de faits divers, d'enquêtes, de récits d'aventure, ou encore de réflexions philosophico-littéraires (sur l'écriture, la transmission et le plagiat).
Lire la critique sur le site : Culturebox
Un livre, délicieuse mise en abyme littéraire, qui joue avec humour sur tant de registres qu'il devrait ravir tout type de lecteur, qu'il soit friand de romans historiques (de la colonisation au nazisme), de faits divers, d'enquêtes, de récits d'aventure, ou encore de réflexions philosophico-littéraires (sur l'écriture, la transmission et le plagiat), le tout sous la tutelle de Roberto Bolagno et de Milan Kundera.
Lire la critique sur le site : Lexpress
(…) au fond de lui, même si les apparences suggèrent toujours l’inverse, même si c'est vers l'inconnu que le porte le mouvement de son existence, aucun homme ne pense au futur.
Notre préoccupation profonde concerne le passé; et tout en allant vers l'avenir, vers ce qu'on devient, c'est du passé, du mystère de ce qu’on fut, qu’on se soucie. Cela n’a rien à voir avec une nostalgie funèbre. C'est simplement qu'entre ces deux questions qui cachent une angoisse de la même nature: que vais-je faire ? et quai je fait ? c'est cette dernière qui est la plus grave: elle ferme toute possibilité d'une correction, d'une nouvelle chance.
Dans quai-je fait ? sonne aussi le glas du c’est fait pour l'étemité. Cest la question de l’honnête homme qui commet un crime dans un accès de fureur, et qui, après l'acte, redevenu lucide, se tient la tête : quai-je fait ? Cet homme sait ce qu'il a fait. Mais son angoisse, son horreur viennent surtout de ce qu'il sait aussi qu’il ne peut défaire, réparer ce au'il a fait.
C'est parce qu il lui donne la conscience tragique de l’indéfectible, de l’irréparable, que le passé est ce qui inquiète le plus l'homme. La peur de demain porte toujours, même infime, même quand on sait qu'il peut être déçu et le sera probablement, l’espoir des possibles, du faisable, de l'ouvert, du miracle.
Celle du passé ne porte rien que le poids de sa propre inquiétude. Et même le remords ou les repentirs ne suffisent pas à modifier le caractère irrévocable du passé; bien au contraire : ils le confirment même dans son éternité. On ne regrette pas seulement ce qui a été ; on regrette aussi et surtout ce qui sera à jamais.
Qu'EIimane ait poussé ces pauvres critiques français au suicide grâce à sa puissance magique serait horrible. Mais au milieu de cette horreur possible, je verrais du comique. Pas toi ? Un écrivain qui s'estime incompris, mal lu, humilié, commenté par un prisme autre que littéraire, réduit à une peau, une origine, une religion, une identité, et qui se met à tuer les mauvais critiques de son livre par vengeance : c’est une pure comédie.
Est-ce que les choses ont changé aujourd'hui ? Est-ce qu'on parle de littérature, de valeur esthétique, ou est-ce qu’on parle des gens, de leur bronzage, de leur voix, de leur âge, de leurs cheveux, de leur chien, des poils de leur chatte, de la décoration de leur maison, de la couleur de leur veste ? Est-ce qu on parle de l’écriture ou de l'identité, du style ou des écrans médiatiques qui dispensent d'en avoir un, de la création littéraire ou du sensationnalisme de la personnalité ?
W. est le premier romancier noir à recevoir tel prix ou à entrer académie : lisez son livre, forcénient fabuleux.
X. est la première écrivaine lesbienne à voir son livre publié en écriture inclusive : c'est le grand texte révolutionnaire de notre époque.
Y est bisexuel athée le jeudi et mahométan cisgenre le vendredi : son récit est magnifique et émouvant et si vrai !
Z. a tué sa mère en la violant, et lorsque son père vient la voir en prison, elle le branle sous la table du parloir : son livre est un coup de poing dans la gueule.
C'est à cause de tout ça, de toute cette médiocrité promue et primée, que nous méritons de mourir. Tous : journalistes, critiques, lecteurs, éditeurs, écrivains, société - tous.
Que ferait Elimane aujourd'hui ? Il tuerait tout le monde. Puis il se tuerait lui-même. Je te le redis : tout ça n'est qu'une comédie. Une sinistre comédie.
Alors qu'il en arrivait à sa conclusion, Chérif coupa le son du téléviseur. Pendant quelques minutes, nous regardâmes le président parler sur l'écran, sans entendre ses mots. Ses lèvres s'ouvraient et se refermaient sur le silence. Il mastiquait le vide avec force.
- C'est exactement ce que vit le pays, constata Chérif. Nos dirigeants nous parlent de derrière un écran, une vitre qu aucun son ne traverse. Personne ne les entend. Ça ne changerait rien si on les entendait. On n'en a plus besoin pour savoir qu'ils ne disent pas la vérité. Le monde derrière la vitre est un aquarium. Nos dirigeants, par conséquent, ne sont pas des hommes mais des poissons : des mérous, des cabillauds, des silures, des espadons, des brochets, des morues, des soles et des poissons-clowns. Et beaucoup de requins, bien sûr. Mais le pire, quand on regarde leurs visages de poissons, c'est qu'ils semblent nous dire : à notre place, vous ne feriez pas mieux. Vous décevriez comme nous décevons.
- Voilà ton erreur. Voilà l'erreur de tous les types comme toi. Vous croyez que la littérature corrige la vie. Ou la complète. Ou la remplace. C'est faux. Les écrivains, et j'en ai connu beaucoup, ont toujours été parmi les plus médiocres amants qu’il m'ait été donné de rencontrer. Tu sais pourquoi ? Quand ils font l’amour, ils pensent déjà à la scène que cette expérience deviendra. Chacune de leurs caresses est gâchée par ce que leur imagination en fait ou en fera, chacun de leurs coups de reins, affaibli par une phrase. Lorsque je leur parle pendant l'amour, J'entends presque leurs « murmura-t-elle ».
Nous avions ensuite longuement commenté les ambiguïtés parfois confortables, souvent humiliantes, de notre situation d’écrivains africains (ou d’origine africaine) dans le champ littéraire français. Un peu injustement, et parce qu’ils étaient des cibles évidentes et faciles, nous accablions alors nos aînés, les auteurs africains des générations précédentes : nous les tenions pour responsables du mal qui nous frappait : le sentiment d’être incapables ou de n’avoir pas le droit (c’était pareil) de dire d’où nous venions ; puis nous les accusions de s’être laissé enfermer dans le regard des autres, regard-guêpier, regard-filet, regard-marécage, regard-guet-apens qui exigeait d’eux, à la fois, qu’ils fussent authentiques – c’est-à-dire différents – et pourtant similaires – c’est-à-dire compréhensibles (autrement dit, encore : commercialisables dans l’environnement occidental où ils évoluaient) ; notre lancée critique était bonne, c’est-à-dire impitoyable, et nous ne devions pas nous arrêter en si bon chemin, donc nous déplorions que certains d’entre nos anciens aient versé dans les négreries de l’exotisme complaisant et d’autres dans les autofictions où ils n’arrivaient pas à transcender leur petite existence, eux qu’on sommait d’être africains mais de ne l’être pas trop et qui, pour obéir à ces deux impératifs aussi absurdes l’un que l’autre, oubliaient d’être des écrivains, ce qui était une faute capitale, une faute suffisante pour que nous continuions à instruire leur procès dans l’odeur commençant à se répandre de leur sang, et nous affirmions qu’ils n’avaient pas pris le risque d’être provisoirement dans la marge poétique, et nous leur reprochions de s’être caricaturés et fourvoyés dans les prétentions mortes de l’engagement comme dans les parnasseries un peu bourgeoises de l’écrivain-tout-court, et nous incriminions leur réalisme exsangue qui se contentait de reproduire le monde sans l’interpréter ou le recréer, et nous vomissions leur égoïsme dissimulé sous le droit à la liberté de l’artiste, et nous fauchions à larges andains les têtes de nos prédécesseurs qui avaient écrit beaucoup de romans injuriant la littérature par leur banalité, et nous prononcions des sentences de mort contre ceux qui avaient renoncé à se demander ensemble ce que signifiait
être dans leur situation littéraire, impuissants à créer les conditions pour des esthétiques novatrices dans nos textes, trop paresseux pour penser et se penser par la littérature, trop asservis aux prix littéraires, aux
flatteries, aux dîners mondains, aux festivals, aux chèques, aux circuits pour chercher à grimer ou gripper la littérature convenable, trop mauvais lecteurs ou trop copains pour se lire mutuellement et se dire avec
courage ce qui n’allait pas, trop pusillanimes pour oser une rupture par le roman, par la poésie, par rien d’autre : journaux intimes zéro, essais zéro et demi, science-fiction et polar, double zéro pointé, le théâtre s’en tirait beaucoup mieux, heureusement, mais les correspondances zéro, zéro, zéro, un néant primal, comme si les questions de leur aventure mortellement ambiguë, les problèmes de leur cul entre deux chaises les laissaient de marbre, ah, nos aînés tant salués tant célébrés tant récompensés, tant décrits comme le sang neuf de la littérature francophone, ah, ces aînés, génération dorée mon cul : on mettait leur œuvre sous la lumière crue, on la rapprochait du feu et sitôt alors le précieux métal fondait et coulait faux, contreplaqué, boue poisseuse entre les doigts, et on voyait que nombre de leurs livres valaient moins que ce qu’on en avait dit ou espéré, on voyait que ceux qui résisteraient au temps se compteraient sur les doigts de la main de
Maître Yoda, on voyait qu’ils n’avaient publié que les bons petits livres qu’on attendait d’eux, on on découvrait qu’ils avaient fait de nous des héritiers sans testament, qu’ils avaient tous écrit en se croyant libres quand de
robustes fers enserraient leurs poignets leurs chevilles leurs cous et leurs esprits, ah, ces glorieux aînés, ah, ah, mais étaient-ils les seuls coupables ? nous demandions-nous soudain dans une dramatisation rhétorique,
avaient-ils des circonstances atténuantes ? lancions-nous dans un geste magnanime, et alors on appelait à la barre leurs ignobles complices : d’abord une part de leur lectorat africain, que nous assassinions aussitôt d’un verdict lapidaire : pire lectorat du monde, qui ne lit pas, qui est paresseux, caricatural, intransigeant comme seule une minorité pouvait l’être, toujours avide d’être représenté alors qu’il est irreprésentable ; ensuite venaient leurs lecteurs occidentaux (osons le mot : blancs), parmi lesquels beaucoup les lisaient comme on fait charité, aimant qu’ils les divertissent ou leur parlent du vaste monde avec cette fameuse truculence naturelle des Africains, les Africains qui ont le rythme dans la plume, les Africains qui ont l’art de conter comme au clair de lune, les Africains qui ne compliquent pas les choses, les Africains qui savent encore toucher au cœur par des histoires émouvantes, les Africains qui n’ont toujours pas cédé au fat nombrilisme où s’embourbent tant d’auteurs français, ah, les merveilleux Africains dont on aime les œuvres et les personnalités colorées et les
grands rires remplis de grandes dents et d’espoir ; puis un détachement de la critique (universitaire, journalistique, culturelle) avançait vers l’échafaud, et notre guillotine tombait tout aussi lourde sur son gracile cou : critique la plus ennuyeuse de la terre, accrochée à ses problématiques ou à ses thématiques, tunnels généraux, étroits, où les œuvres cheminaient comme du gros bétail et certaines mouraient étouffées sous la lourdeur des concepts, la graisse du jargon, la fadeur des sujets ; et ainsi, sous un ciel paisible, un ciel à l’éclat nivéen, les têtes mêlées de nos aînés écrivains, de leurs lecteurs et de leurs critiques toutes origines et couleurs de peau confondues flottaient au-dessus des nôtres comme une constellation macabre ou une nuée de petits étourneaux, et à ce moment seulement, fumants de sang, ruisselants de sang comme d’antiques barbares au milieu de la plaine rougie et soudain silencieuse de la bataille, à ce moment seulement, exténués et encore un peu ivres de violence, regardant autour de nous la terre que jonchaient les cadavres des uns qui avaient cessé d’être des écrivains et des autres qui lisaient de plus en plus mal si tant est qu’ils aient su bien lire un jour, nous ressentions la culpabilité d’avoir été si cruels : qui étions-nous pour proférer des critiques si dures, intransigeantes, péremptoires envers ceux et celles sans lesquels nous n’existerions pas ? qui, pour prétendre ne rien devoir aux devanciers à l’égard desquels, pourtant, nous avions une immense et impayable dette ? qui, qui, qui, répétions-nous dans un écho infini même si nous connaissions la réponse, qui ?, eh bien, seulement de jeunes imbéciles qui arrivaient à peine en littérature et qui se croyaient tout permis ; des nouveaux qui seraient bientôt anciens et que les futurs louveteaux déchiquetteraient alors, puisque ainsi tourne le monde, oui, le monde allait ainsi et nous n’y représentions rien, sinon des poussières dans l’infini de la littérature, nous le savions, mais alors pourquoi étions-nous si arrogants, si prétentieux, si injustes alors que nous ne valions sans doute pas mieux ? nous demandait notre conscience, et nous de répondre : parce que nous éprouvons, comme tous les écrivains sans doute, l’angoisse de ne rien trouver et de ne rien laisser, et qu’au fond c’était nous-mêmes que nous critiquions, c’était notre crainte de n’être pas à la hauteur que nous exprimions, car nous nous sentions comme dans une caverne sans issue et nous avions peur d’y mourir faits comme des rats.
Ils écrivent sur la disparition pour imaginer de meilleurs lendemains. Annabelle Perrin, coordinatrice du livre "Tout doit disparaître", et Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021, qui y a contribué, sont nos invités.
#culture #disparition #litterature
________
Écoutez d'autres personnalités qui font l'actualité de la culture dans Bienvenue au club https://youtube.com/playlist?list=PLKpTasoeXDrqYh8kUxa2lt9m1vxzCac7X
ou sur le site https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/bienvenue-au-club
Suivez France Culture sur :
Facebook : https://fr-fr.facebook.com/franceculture
Twitter : https://twitter.com/franceculture
Instagram : https://www.instagram.com/franceculture
TikTok : https://www.tiktok.com/@franceculture
Twitch : https://www.twitch.tv/franceculture
+ Lire la suite