Cela se confirme : c'est en voulant raconter celle des autres que James Mc Bride excelle a raconter la sienne.
Déjà, dans "
Mets le feu et tire-toi", c'est son vécu de musicien et de Noir qui s'imprimait tout en délicatesse derrière l'évocation de
James Brown.
Ici, on se rapproche encore plus de l'auteur puisque le thème central de "
La couleur de l'eau" est sa propre mère. Femme incroyable, atypique, puissante, une personnalité et un parcours hors du commun : fille d'immigrés juifs orthodoxes installés en Virginie, en rupture avec un père minable, mauvais père, faux rabbin mais vrai exploiteur, elle s'enfuit seule à New York dans les années cinquante pour épouser un Noir, fonder une famille, une église, perdre son mari, se remarier, ajouter avec ce deuxième mari quatre enfants à la fratrie qui en comptait déjà huit. le tout en tirant la vache par la queue, en éludant toujours la question raciale et de la couleur de peau auprès de ses enfants qu'elle exhortera un à un à l'excellence.
Extra-ordinaire destin ordinaire que James Mc Bride, grandi dans cette famille baroque, bouillonnante, pauvre et exigeante, évoque avec une tendresse touchante et d'une plume vive et tremblante d'admiration, alternant sa propre voix à celle de sa mère dont il restitue le témoignage sous la forme d'un puissant monologue.
A travers ces deux voix croisées que l'on imagine penchées l'une vers l'autre autour d'une table de cuisine alors que la nuit tombe sur New York, "
La couleur de l'eau" offre au lecteur, outre une plongée sur une perspective singulière de la société américaine de ces soixante dernières années, l'opportunité d'entrer dans l'intimité et le questionnement identitaire d'un homme de grand talent et d'une belle humanité, l'une des très belles voix de la littérature américaine contemporaine.