C'est le jour de la Saint Patrick – jour qui se prolonge nuit après nuit dans mon univers parallèle. Et quand on s'appelle McCarthy, un nom qui donne l'origine de son sang et de sa soif au peuple irlandais, on s'engouffre forcément dans un pub McCarthy pour y venir la célébrer dans la bienveillance d'une lumière tamisée de quelques néons, un toucan se reflétant dans le miroir en face du comptoir. Tu commandes une pinte de Guinness. le barman prend son temps pour venir prendre ta commande. Il commence à la tirer, puis une pause s'impose, faire reposer les bulles, essuyer quelques verres, regarder autour de soi, te regarder, même te causer. Il se trouve que je ne suis pas du genre à causer. Alors j'attends, j'en commande même une seconde tout de suite, histoire d'éviter la panne sèche du gosier entre deux pintes. le barman continue sa tâche, il tire la suite de ma pinte, écrête le surplus de mousse, mousse onctueuse et soyeuse, un nuage immaculé dans un verre qui donne envie de s'y plonger.
Dans la pénombre, quelques irlandais attablés boivent en connivence, des irlandaises en mini et chevelure rousse boivent en rigolant, un bison boit en silence. van Morrison chante, des choeurs en chaleur, je regarde le coeur de ces irlandaises, le mien bat-il encore. J'imagine qu'après Van, la radio diffusera probablement un titre de U2, entre un Sinead O'Connor, avant qu'elle se mystifie, et les belles brunes des Coors. Il faut une musique de là-bas pour savourer pleinement la mélodie de la Guinness. Mais revenons à Morrison, l'emblème même de l'Irlande. Un pub sans lui n'est pas un pub irlandais, c'est dans la charte des pubs irlandais.
Dans mon baluchon, j'y ai mis mon guide touristique, façon vieux routard, mais à la plume de
Pete McCarthy, toujours prêt à m'embarquer dans tous les pubs « authentiques » d'Irlande et de ses landes. D'ailleurs, entre deux gorgées, je te pose cette petite question : à quoi reconnait-on un « petit » village d'Irlande ? Au fait qu'il y ait moins de 5 pubs dans la rue principale. Moi, il ne m'en faut qu'un, pour me sentir dans mon univers, un authentique, avec ces vieilles odeurs de fumées qui traînent depuis des années, ces parfums de vieux cuir encore présents, ces effluves de gerbes qui habillent les quatre coins du local, une lumière tamisée pour que j'imagine encore mieux les jambes de ces irlandaises et que je caresse du regard leur chandail. Pete m'emmène donc dans ces petits villages, à bord de son vieux tacot, d'une solidité allemande.
Du coup, je navigue de pub en pub, une vraie pérégrination entre deux grains mouillés, histoire de se sécher un peu le gosier. Parce qu'il est question essentiellement de bières, et d'un autre temps, celui de la pinte de Guinness. Mais en plus, je visite des coins encore sauvages, je croise les regards de vieux types qui sont là uniquement pour partager une bière et quelques longues minutes de leur temps perdu avec un étranger comme moi. Et j'ai là, à l'autre bout du zinc, mon ami du folk, ce gars avec sa guitare qui n'a pas tout à fait la crinière de van ni sa voix, mais on s'en fout, parce qu'avec une bière, on a encore envie qu'il joue, - « En tout cas, c'est ce que je me dis au bout de trois pintes de stout. » - qui m'a convié à partager ce chemin qui pourrait être celui de Compostelle, parce qu'enclin également à la spiritualité des celtes. Tournée générale. Into the Mystic... van Morrison.