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Guillemette Belleteste (Traducteur)Isabelle Reinharez (Traducteur)Pierre-Yves Pétillon (Préfacier, etc.)
EAN : 9782020309622
624 pages
Seuil (19/03/1998)
4.15/5   167 notes
Résumé :
Le Sud américain, dans les années cinquante.
Aux marges de la société, l'alcoolisme et la misère se répandent. Sorti de prison, considéré comme un raté par sa famille, Suttree vit tant bien que mal sur les berges de la rivière Tennessee, dans la banlieue de Knoxville. A travers ses errances, ce sont les voix de tous les laissés-pour-compte de la société américaine qui se font entendre. Celles des repris de justice, des vieux paysans désabusés, des chômeurs de... >Voir plus
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Cornelius Sutree est un marginal vivant de peu dans une baraque insalubre au bord de l'eau.
Nous sommes dans le sud des Etats-Unis dans les années cinquante et la société n'est pas tendre avec les déclassés de son genre.

Sutree est, il me semble, typiquement le genre de roman que l'on trouve formidable, ou à côté duquel on passe...

Il est vrai, que sa structure même, une suite de tranches de vie, sans réelle continuité narrative (il n'y a pas vraiment d'intrigue) peut décontenancer le lecteur, moi-même j'ai eu un peu de mal au début de ma lecture avec ce côté "coq à l'âne".

Mais le talent de l'auteur fait que ce qui pourrait être considéré comme des défauts, comme ce mélange de language littéraire très recherché et des dialogues argotiques, ajoute un plus...une fois qu'on est entré dans le roman.

Car, encore une fois, ce livre ne peut laisser indifférent, il n'est pas de ces romans faciles à lire, Sutree est une oeuvre assez exigeante, de celles qui réclament l'adhésion du lecteur et toute son attention.

En fait, j'ai commencé à lire ce roman une première fois en 2018 et je l'avais laissé de côté, il aura fallut cinq ans pour qu'une deuxième tentative soit la bonne, mais je ne regrette pas d'avoir consenti un effort pour découvrir ce roman qui va rejoindre ma sélection de livres pour une île déserte !
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On sait peu de choses du passé de Cornelius Suttree : il a un frère jumeau mort-né, sa femme le hait et leur fils est mort, il est gaucher et probablement instruit. Déchu ou renonçant, il vit très pauvrement de la pêche artisanale dans la Tennessee River, un cloaque hideusement pollué qui traverse une banlieue de chômeurs à Knoxville.

Hors de parenthèses vite refermées où Suttree quitte Knoxville pour un amour sans lendemain et une excursion suicidaire en montagne, le récit est rédigé au présent, sans repère temporel ni logique : rixes, violences policières, pauvres tactiques de survie, cuites, passages en prison. Aux dernières pages on croit Suttree mort de typhoïde ou de suicide par noyade, pourtant il quitte l'enfer urbain sur les gestes propices d'un enfant et d'un inconnu, le roman s'achevant sur une invocation à Diane/Hécate : « Quelque part dans le bois gris près de la rivière guette la chasseresse et dans le maïs en plumets et dans la mêlée crénelée des villes. Elle oeuvre en tous lieux et ses chiens jamais ne se lassent. Je les ai vus en rêve, la bave aux lèvres, bêtes sauvages aux yeux fous d'une faim dévorante pour les âmes de ce monde. Fuis-les ».

L'histoire, l'intrigue s'efface derrière les rencontres d'hommes et de femmes qui vivent une misère matérielle, morale et sexuelle si extrême qu'on n'arrive à s'identifier à aucun personnage : compagnons noirs ou blancs dont Suttree partage les ivresses suicidaires et les séjours en prison, chiffonniers, prédicateurs déments, une sorcière, une prostituée-au-grand-coeur qui devient folle, un gamin voleur, violeur de pastèques et assassin de gorets, qui explose les égouts de la ville dans ses tentatives granguignolesques de trouver la fortune. Pourtant ce monde est pur de toute discrimination dans le Sud raciste des années 50, solidaire au comble du tragique, respectueux dans la détresse. Sans leçon ni espoir ni morale, le roman est humaniste.

Après les catastrophes et les rencontres, la troisième dimension du roman est celle des instants. McCarthy/Suttree vit chaque seconde et chaque geste, observe chaque nuance de froid, de couleur, d'odeur ou de lumière, suit avec une égale concentration les illusions et les douleurs de ses proches, leurs glissements vers la mort et l'ordure, et aussi bien la présence prolifique d'une vie animale ou végétale, domestique ou sauvage.

Inspiré de Faulkner, le style Southern Gothic est parfois difficile à suivre. McCarthy passe dans la même phrase du passé au présent pour raccourcir ou raccorder ses scènes, remplace les virgules par une succession de « et », multiplie les adjectifs et les métaphores parfois hasardeuses, recourt aux mots techniques, rares ou savants [on le connaît féru d'ornithologie : « Quelques arbres noircis se dressaient, desséchés dans la chaleur, et au milieu de ce sombre purgatoire une grive chantait. Grive musicienne. Turdus musicus » p 109]. Surmontant ces difficultés, le lecteur attentif ne peut quitter un récit parfaitement articulé à l'échelle de la phrase, vibrant, coloré, impressionniste, parfois surréaliste, où Suttree survit à sa longue saison en enfer. On trouve plus tard, dans « La trilogie des confins », le même pessimisme sans remède et la soumission à une nature violente et splendide, cette fois dans la lumière apollinienne des grands espaces du Texas et du Mexique. La damnation viendra dans « La route » où la nature est morte.
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N°531– Juillet 2011.
SUTTREE – Cormac Mac Carthy – Actes Sud
Traduit de l'américain par Guillemette Belleteste et Isabelle Reinharez.

Il est des romans qui possèdent en eux un souffle émotionnel unique. Suttree est de ceux-là. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si son auteur a mis vingt ans à l'écrire en puisant dans sa vie personnelle. C'est le propre des écrits à ce point intimes que d'être laborieux, comme si les mots ne voulaient pas sortir alors que l'auteur porte en lui, dans sa chair et dans sa vie, la trame même de l'histoire.

Nous sommes dans le sud des États-Unis pendant les années 50. Cornélius Suttree vient de sortir de prison et tente comme il peut de survivre sur les bords de la rivière Tennessee en pêchant. Il mène dans la banlieue de Knoxville une vie de marginal sur une péniche délabrée. Il a tourné le dos à sa famille et à sa richesse, mais aussi à sa femme et à son fils. Pour cette raison, elle le considère comme un raté, un moins que rien. le roman s'ouvre sur une sorte de poème en prose où les mots s'entrechoquent en altérations surréalistes. Pour en goûter toute la musique, il faut le lire à haute voix. Il s'adresse à un inconnu, au lecteur peut-être, comme une sorte d'avertissement et dessine un décor un peu glauque mais surtout réaliste [« Nous voici arrivés dans un monde au coeur du monde »]. Pour que son interlocuteur comprenne bien, il poursuit par une scène assez sordide où on sort un noyé de l'eau, un suicidé ! Tout le reste de ce long roman sera baigné par une sorte de souffle épique où la mort, la souffrance, la violence et la pauvreté sont omniprésentes. Mac Carthy, tout au long de ce long texte alterne avec bonheur les passages poétiques et les scènes d'un réalisme cru et pathétique qui décrivent les bas-fonds et leur faune désespérée. Suttree donne l'impression d'être victime de sa vie, un paria, et, à travers diverses analepses, l'auteur nous le présente comme soumis à une malédiction qui pèserait sur lui, comme la mort de son fils aux obsèques de qui il ne peut assister que de loin.

A travers une histoire initiatique, Mac Carthy donne à voir, et sans aucune concession, la descente aux enfers puis la renaissance de Suttree et à travers lui la vie des laissés-pour-compte de cette Amérique profonde qui est bien loin du rêve américain. Suttree, comme les personnages de « La Route » (La Feuille Volante  n° 530) marchent ou plutôt errent dans un décor hostile. La rivière Tennesse fonctionne comme une sorte de miroir qui renvoie un image de la vie de cette ville mais aussi celle de l'âme. lI y a de la compassion dans ces évocations de déshérités, dans cette lumière qui baigne ces scènes sans compromis où la misère voisine avec la violence.
La prostituée amie de Suttee se fait philosophe, mais ses questions font d'elle un personnage plus proche des idées intellectuelles que de sa fonction. Elle aussi, à sa manière est un personnage à la fois sordide et décalé. Décalé, Harrogate ne l'est pas moins, lui qui fait l'amour aux pastèques et que Suttree protège parce qu'il lui rappelle son défunt frère jumeau. Cet adolescent rêve de piller les banques de la ville en creusant un souterrain à partir de son sordide habitat. de décor dans lequel évolue Suttree donne asile à tout une faune de marginaux, ivrognes, chômeurs ou repris de justice, prostituées. Son histoire est celle d'un désespéré, un de ces blessés de la vie qui, pour se consoler, fréquente les prostituées, les sorcières et les diseuses de bonne aventure, des femmes qui peuvent lui faire croire, l'espace d'un instant que la vie est non pas exactement belle mais viable, malgré les épreuves. C'est quelqu'un qui ne se suicidera pas, peut-être à cause de l'espoir un peu fou de voir les choses s'arranger, que la chance puisse lui sourire enfin, avec alcool et patience. Ces êtres supportent la vie avec abnégation et fatalisme et leur stoïcisme plonge ses racines dans les replis insondables du mystère. Autour de lui il y a la mort, omniprésente qui le guette et il le sait, mais il poursuit son chemin. Il supplie même Dieu de le délivrer de ce fardeau qu'est sa vie.
Le thème du parcours cahoteux est récurrent dans ce livre. Il est spectateur de sa vie comme de celle des autres qu'il croise comme on croise des fantômes, un peu comme si tout cela n'était qu'une vision, un décor de théâtre, mais un décor agressif. Quand il rencontre l'amour, qu'une femme lui fait l'hospitalité de son corps et qu'il peut envisager l'avenir sous un meilleur jour, la mort est forcement au bout du parcours. Tout cela fait de lui un malheureux définitif.

Il y a aussi un retour vers l'enfance, le paradis perdu comme dans « La Route ». Avec lui la mesure de la fuite inexorable du temps, la misère, la marginalité, la mort. La mort, signe indélébile de la condition humaine est encore présente dans la disparition de Wanda, l'amante de Suttee, écrasée par l'effondrement d'un mur. La solitude aussi, autre pendant le cette « humaine condition » dont chaque être porte en lui la marque comme le disait si bien Montaigne, se rencontre dans le personnage de Joyce, une autre prostituée

Comme dans tous les romans de Mac Carthy, il y a une symbolique religieuse. Suttree m'évoque tous ces prophètes que Yahweh a abandonné pour les éprouver. le printemps pluvieux fait inexorablement penser au déluge et son fragile esquif à l'arche de Noé voguant sur une tempête liquide. La typhoïde qui lui vaut l'extrême-onction lui fait haïr le prêtre qui vient la lui donner est aussi, par sa guérison quasi miraculeuse, la marque de la renaissance et du changement de vie... comme Job. Pourtant, son approche de Dieu n'a rien de religieux.

Je reste fasciné par le souffle poétique de ce long roman, par son réalisme pathétique. Ils doivent sans doute beaucoup à une traduction somptueuse. L'univers de l'auteur, sa démarche d'écriture entre gouaille populaire et authentique poésie, tissent pour le lecteur, un attachement et même une sorte de complicité. L'image qu'il donne de l'homme nous est familière, soit que nous la connaissions, soit que nous la déplorions, mais elle est réelle.

 
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Cormac McCarthy qui vient de nous quitter est un écrivain américain né en 1933 à Providence (Rhode Island). Après ses études, il rejoint en 1953 l'armée de l'air américaine pour quatre ans, dont deux passés en Alaska, où il anime une émission de radio. En 1957, il reprend ses études à l'université, se marie avec la première de ses deux femmes en 1961 et a un fils. Il quitte l'université sans aller jusqu'au diplôme, et s'installe avec sa famille à Chicago, où il écrit son premier roman. Aujourd'hui Cormac McCarthy vit au nord de Santa Fe (Nouveau-Mexique) dans une relative discrétion et accorde très rarement des interviews.
Etats-Unis dans les années 50. Cornelius Suttree est sorti de prison, « J'étais avec des types qu'on a pris en train d'essayer de cambrioler un drugstore », rejeté par sa famille il vit dans une barge sur les berges du Tennessee dans la banlieue de Knoxville et du produit de sa pêche.
Roman sans réel début ni fin, comme une photo des errances d'un homme vivant en marge de la société, une tranche de sa vie. D'avant nous ne saurons presque rien mais on devine que sa famille ne vivait pas dans la misère et qu'il a un minimum de culture, d'après nous ne pouvons que supposer que sa fin sera difficile…
Le monde de Suttree, ses connaissances, ce sont les chiffonniers, les ferrailleurs, les prédicateurs évangélistes, les traine-savates du coin vivant dans des cabanes miteuses pour les mieux logés, sous les ponts pour les autres, « Des êtres si misérables que même la mauvaise herbe refusait de pousser chez eux ». Alcools frelatés, cuites, vomi, « légendes de violence, d'échauffourées avec la police, de sang qui coule dans les cellules en béton et de toux et de gémissements anonymes et de delirium dans l'obscurité ».
Et puis il y a Gene Harrogate, un jeune gars pas bien malin, un adolescent à moitié débile, connu en prison (il a « violé » nuitamment des pastèques dans le champ d'un fermier !) qui s'impose gentiment comme « ami » de Suttree ; toujours prêt à se lancer dans des projets foireux… et finalement assez amusants pour le lecteur.
A l'humour léger succède l'émotion, Suttree avait un enfant dans son autre vie, il vient de décéder et on lui interdit d'assister à son enterrement. Plus tard notre héros croira trouver une sorte de bonheur ou du moins une certaine stabilité en se mettant en ménage avec une prostituée, leur train de vie s'améliore mais c'était trop beau pour durer.
L'écriture est magnifique, soit particulièrement soignée et cultivée pour les descriptions, soit plus vulgaire dans les dialogues entre poivrots.
Cormac McCarthy nous donne avec ce livre l'un des plus grands romans de la littérature américaine et comme tels, construit sur des portraits d'inconnus affreux, sales mais pas vraiment méchants, les exclus de la société qui survivent au bord de ce fleuve qui s'écoule imperturbable, chaque jour le même, chaque jour différent.
Magnifique.
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Suttree, par Cormac McCarthy. Comme d'autres romans de Cormac McCarthy, Suttree secrète une beauté captivante, un débordement imagé et retenu dans l'écriture, une richesse, un magnétisme, une noirceur mêlées dans la description des décors ou des âmes. Avec cela, il a le pouvoir de retenir le lecteur, lui imposant des figures poétiques qui pourraient le rebuter si elle n'ajoutaient pas au sens, ne serait-ce que dans leur musicalité.
Cormac McCarthy ne raconte pas une histoire. Il écrit. L'intrigue n'a jamais vraiment été son fort. Il préfère laisser à sa prose – à laquelle la poésie du détail confère une formidable puissance – et à ses protagonistes – très bien vus en surface, jamais psychanalysés – le soin de raconter l'histoire véritable. Il place son héros dans un décor et il raconte le décor, avec un goût particulier pour les détails, la description précise, parfois très technique, des objets, avec des envolées poétiques ou surréalistes. Il procède de même pour décrire les personnages, leurs actions, composées de gestes précis, décomposés à l'infini.
Suttree est un marginal, gardant d'une possible ascendance aristocrate, une réserve, une distinction, une classe qu'il ne délaisse qu'avec l'abus de boisson. Ce qu'il est, il l'est par choix, librement. Par choix, il est sans-logis, mais il a investi une baraque au bord de la rivière où il peut dormir au chaud en hiver, chauffer sa nourriture, se mettre à l'abri du monde. Il donne l'impression de contempler, avec affection, la lie de la société, celle que l'on relègue à la périphérie des villes - ici, Knoxville -, mais il ne se contente pas d'observer, il en est, avec de l'intelligence, en gardant son indépendance et sa dignité. Par choix aussi, il est sans-emploi, même s'il pêche et vend ses poissons-chat au marché. Suttree est un marginal, un homme libre qui ne renoncera jamais à ses valeurs, amitié, solidarité, libre-arbitre. Il est celui à qui on peut tout raconter, sur qui on peut compter. Confronté à de la violence - et l'alcoolisation des pauvres bougres, comme la sienne, peut vite dégénérer - il y va, il se lance dans la bagarre. Il lui arrive aussi de quitter sa baraque, d'espérer s'enrichir dans la moule perlière, ou d'errer, de partir dans les montagnes en autosuffisance.
L'univers de Cormac McCarthy est celui de la damnation, donnant le sentiment que la malveillance règne à Knoxville, ville folle, désordonnée, mêlant modernité et vétusté, et dans ses environs, sa banlieue, lieu de tous les périls, où se condense tout ce que la ville rejette : les personnages sont damnés, même si Suttree garde toujours une certaine innocence (en lien avec l'enfant qu'il fut ?), le décor est damné, donnant à voir une nature abandonnée, flétrie, des usines désaffectées, une rivière, le Tennessee, véritable personnage à soi seul, éboueur charriant toutes sortes de résidus, des cadavres bouffis - un jour, même un bébé mort -, mais aussi pourvoyeur de pauvres richesses - poissons-chat à consommer ou à revendre, moules perlières sans valeur...
Quelques personnages secondaires ne manquent pas de relief. Ainsi Harrogate, grand adolescent un peu simple, que Suttree protège de son mieux, et qui s'est retrouvé en maison de correction car il violait des pastèques. À sa sortie il s'installera sous un pont, commettra quelques larcins, puis se lancera dans la percée d'un tunnel sous la ville pour atteindre les coffres-forts d'une banque. Voulant faire tomber un mur rebelle, il s'y prendra avec de la dynamite, avec pour résultat la rupture de canalisations issues de fosses d'aisance, et l'engloutissement du jeune homme dans « une lave montante de merde liquide ». Les amis de Suttree qu'il va retrouver dans des bars, sont aussi des marginaux, des ivrognes, des chômeurs, des repris de justice. Là, éclatent parfois des bagarres qui enflent dans une sauvagerie inouïe.
Certaines scènes sont inoubliables comme les obsèques de son fils, dont il écarté, violemment, et qui sont comme un coup de poignard et l'occasion d'une méditation sur la mort et l'innocence. Les amours de Suttree, dissemblables, avec Wanda et Joyce, Wanda une adolescente, une vierge, folle de lui, qui l'émeut, mais qui trouvera la mort dans l'éboulement d'un mur, Joyce, une catin qui l'extrait de sa misère mais ne parvient pas à le sortir de sa solitude. le passage de l'errance dans la montagne qui le laisse dépourvu de tout pendant plusieurs jours, sauf de la beauté du monde, du mystère des cavaliers fantômes et de l'existence d'un cimetière de jeunes morts. Suttree est alors mis à l'épreuve de la réalité quand il croise un chasseur dont il doute de la consistance. Il sera plus tard mis à l'épreuve de la mort et de la renaissance quand il sera hospitalisé pour une fièvre typhoïde.
Livre difficile, prose mêlée de lyrisme, phrases difficiles, parfois longues, alambiquées, mais ajustées aux thèmes abordés, force des paysages, des lieux décrits et des personnages captés dans leurs ombres et leurs lumières, dans leurs gestes, jamais dans leur passé ou dans l'analyse d'une quelconque souffrance. En cela, McCarthy dont plusieurs livres ont été adaptés au cinéma, est un oeil, un oeil-caméra, un peintre du réel et des dessous du réel. C'est un artiste mystérieux, ténébreux, qui tente de déjouer des angoisses universelles, cosmiques, métaphysiques, au centre desquelles se débattent le Bien fragile et le Mal rayonnant.
Lien : http://www.lireecrireediter...
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Et ensuite qu'est-ce qui se passe ?
Quand ?
Après que vous êtes mort.
Y a rien qui s'passe. T'es mort.
Vous m'avez dit une fois que vous croyiez en Dieu.
Le vieil homme agita la main. Peut-être, dit-il. J'ai aucune raison de penser qu'il croit en moi. Oh, j'aimerais bien le voir une minute si j'pouvais.
Qu'est-ce que vous lui diriez ?
Ben, je crois que tout ce que j'lui dirais. Que j'lui dirais : Attendez une minute. Attendez une minute avant de vous mettre après moi. Avant que vous dites quoi que ce soit, il y a juste une chose que j'voudrais savoir. Et alors Lui y dirait : Qu'est-ce que c'est ? Et alors, je lui demanderai : Pourquoi donc que vous m'avez embarqué dans ce jeu de couillons, en bas ? J'ai jamais rien compris là-dedans.
Suttree sourit. Qu'est-ce que vous croyez qu'il répondra ?
Le chiffonnier cracha et s'essuya la bouche. J'crois pas qu'y puisse répondre à ça. J'crois pas qu'y ait d'réponse.
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Incipit
CHER AMI, maintenant qu'aux heures poudreuses et sans horloge de la ville les rues s'étirent sombres et fumantes dans le sillage des arroseuses, et maintenant que les ivrognes et les sans-logis ont échoué à l'abri des murs dans des ruelles ou des terrains vagues, que les chats vont étiques et les épaules saillantes dans les sinistres environs, en ces couloirs de brique pavés ou laqués de suie où les ombres des fils électriques muent en harpe gothique les portes des caves, nul être ne marchera hormis toi.
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Ils marchaient le long de la voie ferrée, le rat des villes un peu derrière Suttree, allongeant la jambe pour atteindre une traverse sur deux, les mains fourrées dans ses poches revolver et serrée chacune sur une maigre fesse. Il considéra le sol et secoua la tête.
_Qu'esse qui faut leur dire?
_ Leur dire?
_Ouai. Leur dire.
_Bon sang, n'importe quoi. ça n'a aucune importance, elles n’écoutent pas.
_Ben faut bien dire quèque chose. Qu'esse qui faut dire?
_Essaie l'approche directe.
_Qu'esse que c'est?
_Eh bien, comme cet ami à moi. Il a abordé la fille et il a dit je voudrais bien une petite chatte.
_Sans blague? Qu'esse qu'elle a dit?
_Elle a dit moi aussi. La mienne est grande comme vot' chapeau!
_Non merde Sut'. Allez, qu'esse qui faut dire? Bon sang elle a une sacrée paire de nichons.[...] Comment faut faire pour qu'elles enlèvent leurs habits. ça j'aimerais vraiment savoir.
_Tu les enlèves.
_Ouais? Qu'esse qu'elle fait pendant ce temps-là? Je veux dire, bon sang, est-ce qu'elle r'garde par la fenêtre ou quoi? J'y comprends rien de rien Sut. J'trouve tout ça rudement compliqué.
Ils quittèrent le chemin et s'engagèrent sur une sente à chiens, Suttree le sourire aux lèvres.
_Dis-lui qu'elle a une sacrée paire de nichon, dit-il.
_Merde dit Harrogate. Elle est capable de me flanquer une raclée.
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Il considéra Suttree pendant une minute et finit par dire : Permettez-moi de vous dire quelque chose. Oui, dit Suttree. Il allongea le bras et tapota le genou de Suttree du bout de son index. Vous, mon petit vieux, vous êtes un salaud plaqué or à quatorze carats. Voilà votre problème. ET comme c’est votre problème, il n’y a pas des masses de gens qui se font du mouron pour vous. Ni pour votre problème. A présent je vais vous faire une faveur. Quoique ce ne soit pas bien raisonnable. Et croyez-moi je ne vais pas me faire des amis. Je vais amener votre sale cul à la gare routière et vous donner l’occasion de filer d’ici.
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Quiconque l’aurait vu tous ces mois d’avant l’hiver arpenter à longueur de journée les plus mornes lisières de la ville eût pu se demander avec raison quel était le commerce de ce réfugié en sursis de la rivière et de ses poissons. Qui hantait les rues dans un vieux caban de récupération. Attablé parmi des vieillards dans des salles de restaurant vastes comme des cagibis où l’on discutait des aléas de la vie, où rien jamais ne serait plus comme avant. Dans Market Street les fleurs avaient disparu et les cloches sonnaient froides et solitaires et les vieux marchands hochaient la tête pour convenir que la joie semblait s’être enfuie sans que personne ne sût où. Sur leur visage la marque de la solitude de l’âme (p 500).
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