— Ainsi jusqu'à la mort et même par-delà, dis-je en fermant les yeux, Achille fera figure de beau parleur égoïste, si imbu de lui-même qu'il a laissé mourir des milliers d'hommes pour satisfaire son orgueil blessé.
— Oui.
— Je devrais te trancher la gorge, toi qui as inventé cette ruse, qui as jeté sur moi l'opprobre et le déshonneur qui entacheront éternellement mon nom. J'espère que tu iras dans le Tartare !
— C'est plus que certain, remarqua Ulysse d'un ton indifférent. Tu n'es pas le premier à me maudire et tu ne seras pas le dernier.
Je devais accomplir de hauts faits, sinon ma renommée périrait avec moi. Quel exploit eut été plus admirable que la conquête de Troie ? Grâce au serment de l'étalon, j'étais en mesure de lever une armée de cent mille hommes. Une dizaine de jours suffiraient à ma gloire. Une fois Troie en ruines, qui oserait m'empêcher d'attaquer les États côtiers d'Asie Mineure pour en faire les satellites d'un Empire grec ? Bronze, or, argent, électrum, joyaux, terres, tout serait à moi. Il me suffisait d'avoir recours au serment de l'étalon. Oui, j'avais le pouvoir d'édifier un empire pour mon peuple.
Clytemnestre et Ménélas m'observaient.
— Hélène a été enlevée, finis-je par annoncer sobrement.
Mon frère secoua tristement la tête.
— Si seulement c'était vrai, Agamemnon, mais il n'a pas été besoin de la contraindre.
— Ce qui s'est réellement passé ne m'intéresse pas, répliquai-je. Tu diras que c'est un rapt, Ménélas. Si tu laissais entendre qu'elle est partie de son plein gré, notre plan s'effondrerait, comprends-le. Obéis sans discuter et je lèverai une armée.
- On invoque la chance bien trop souvent, seigneur. Ce n'est pas elle qui mène au succès, c'est le labeur acharné. La chance, c'est ce qui se produit au moment où l'on jette les dés. Quand une prise tombe entre les mains d'un homme qui a travaillé dur pour l'obtenir, c'est uniquement le résultat de ses efforts.
- Allons! Qu'est-ce qui te tracasse à ce point? Quitter tes enfants?
- Non, pas vraiment. Ils sont si ordinaires. Ils tiennent de Ménélas, ils ont les mêmes cheveux, et en plus ils ont des taches de rousseur!
"De part et d'autre, les chefs partirent en char pour aller parlementer. Je m'en fus avec Ajax, Ulysse, Diomède, Ménélas, Idoménée et Agamemnon. Nous assistâmes à cette première rencontre entre le grand roi et l'héritier de Troie avec curiosité. Hector avait certes l'étoffe d'un futur roi.
Il nous présenta ses compagnons d'armes, Enée de Dardanie, Sarpédon de Lycie, Acamas, le fils d'Anténor, Polydamas, le fils d'Agénor, Pandaros, le capitaine de la garde royale et enfin ses frères, Pâris et Déiphobos.
Ménélas grommela et lança des regards mauvais à Pâris, mais l'un et l'autre craignaient trop leur frère respectif pour se chercher querelle. Les Troyens me donnèrent l'impression d'être des hommes de valeur, des guerriers, à l'exception de Pâris qui, avec ses airs affectés, n'était de toute évidence pas à sa place. Tandis qu'Agamemnon faisait les présentations, j'observai attentivement Hector pour voir sa réaction lorsqu'il mettait un nom sur un visage..."
Extrait du récit du vieux Nestor, roi de Pylos.
- Par tout les moyens?
- Sauf la famine!
Ulysse était l'homme le plus dangereux qui fût. A la fois roux et gaucher, ce qui ne présageait rien de bon.
La créature brune et démesurée se dressait très haut au-dessus de nos têtes. Ceux qui l'avaient fabriquée, que ce fussent des dieux ou des hommes, l'avaient façonnée de façon à ce qu'on ne la prît point pour une mule ou un âne. De par le gigantisme de ses proportions, elle était montée sur d'énormes pattes aux sabots monstrueux, fixés par des boulons à une plate-forme de rondins. Celle-ci était surélevée grâce à de petites roues pleines, douze à l'avant et autant à l'arrière. Mon char étant dans l'ombre portée de la tête, je dus tendre le cou pour voir le dessous de ses mâchoires. L'animal en bois ciré était à la fois corpulent et robuste et les interstices entre les planches étaient colmatés avec de la poix, comme pour la coque d'un navire. Sur les joints on avait peint de jolis motifs ocre. La queue et la crinière étaient sculptées. Je reculais pour mieux voir la tête : les yeux étaient incrustés d'ambre et de jais, l'intérieur des narines était peint en rouge et les dents, qui apparaissaient comme s'il hennissait, étaient d'ivoire. Un magnifique animal !