“Les maitres de Rome”, immense fresque en 10 épais volumes sur la Rome antique, est le projet fou de
Colleen McCullough, passionnée d'Antiquité, visant à retranscrire les dernières années de la République jusqu'au triumvirat d'Auguste/Antoine/Lepidus. Ce premier volume, idiotement traduit en “l'amour et le pouvoir” (The first man of Rome en VO) a donc pour volonté de poser les solides bases de cette saga.
Le premier contact est aussi intimidant que réjouissant pour les amateurs de romans historique... le bouquin pèse un demi âne mort (1.3kg quand même pour l'édition Belfond), et en l'ouvrant vous tombez nez à nez avec un plan méticuleux de l'Urbs, avec 50 légendes, sur tel temple, telle rue, telle maison et même des latrines. Pris de panique vous tournez donc les pages et voyez 4 pages complètes qui résument les personnages principaux… Vous regardez donc à la toute fin pour savoir à combien de pages se chiffre votre calvaire, et tombez sur un second plan, encore dessiné à la main, et cette fois proposant un gros plan du centre religieux de Rome (Palatin/Capitole/Forum etc…) ainsi qu'un glossaire de 15 pages sur les termes les plus importants (Prêteur, Censeur, assemblée etc…). On comprend donc d'entrée qu'on n'est vraiment pas là pour rigoler…
… et les 70 premières pages confirment l'impression initiale. Cette première partie est d'une densité effrayante. L'histoire commençant à l'instant T, au tout début du mois de Janvier -110, l'auteur doit donc à la fois faire une rétrospective en expliquant le cheminement jusqu'à T, tout en narrant en même temps l'année en cours. Les termes employés sont précis et les noms latins ne sont pas vulgarisés, attendez vous donc à manger du Quintus Caecilius Metellus Numidicus ou Janus Papiercus à longueur de temps. L'ébauche du passé (c'est assez survolé il faut le reconnaître) mêlée au présent, déboussole, on passe pas mal de temps dans le glossaire ou la carte, et on ne sait plus trop qui est qui, qui veut quoi, ni pourquoi ces cons ont tous le foutu même nom.
Tout commence donc avec Caius Marius, Lucius Cornelius Sylla et Jugurtha, 3 personnalités majeures de l'époque qui lancent cette immense fresque historique, et dont on prend en quelque sorte le train en marche. Par conséquent l'effort pour entrer dans le livre est assez important et il est évident que quelqu'un qui n'est que moyennement intéressé par ce milieu ou ne souhaitant faire aucun effort n'y arrivera pas, et devra se tourner vers une lecture plus abordable. Vous voila prévenu.
Ce premier volume, c'est 10 ans de Rome, de -110 à -100, qui va prendre son temps pour dépeindre les événements, qui sont tellement nombreux qu'on a l'impression d'avoir vécu à cette époque. La guerre contre Jugurtha, les magouilles politiques, les corruptions, les factions, la guerre contre les Germains, les victoires, les défaites, les élections, les lois, les bastons sur le forum etc… un contenu hallucinant, historiquement très renseigné et parfaitemen
t imbriqué. On passe d'un format épistolaire global, à une péripétie plus centrée sur une personne, puis on change de point de vue, on passe sur un dialogue etc… bref on lit beaucoup de chose, sur beaucoup de chose, d'une guerre à grande échelle jusqu'à une taverne de la Subura, et c'est un régal.
Forcément vu la dose d'informations ça pique le cerveau, et une personne voulant lire ça sur la plage n'y trouvera pas son compte. C'est un texte complexe, exigeant et qui demande une certaine volonté pour se souvenir des gens et bien tout assimiler, mais qui procure une impression de tangible incroyable, à travers ces personnages palpables et aux caractères forts. Marius est le plus grand parmi les grands, six fois consuls à la fin du premier volume. Sylla est pour l'instant relativement discret. Dépeint comme un meurtrier certes, mais qui pour l'instant reste tranquillement le bras droit de Marius en tenant son rôle et n'a pas vraiment commencé sa conquête politique. Sans compter bien sûr une pléthore d'autres personnages qui finissent par avoir un véritable rôle et une identité auprès du lecteur.
Bref, on vie Rome, on mange Rome, on dort Rome, et c'est un grand plaisir de lire autant sur une période finalement pas si souvent abordée, contrairement à la suite, qui est bien plus documentée.
Et pourtant tout n'est pas rose.
Sans vouloir donner des cours à un écrivain, le texte est tout de même assez aride, pas toujours très agréable, avec certaines situations mal tournées ou un peu faciles. On peut noter également quelques passages vite expédiés, notamment de guerre, parlant de l'avant ou de l'après en détails, mais passant 80000 morts en 3 lignes. Idem pour certains portraits qui sonnent parfois un peu faux, soit trop gentillets (Marius, Julia etc...), ou au contraire un peu forcés (comme Numidicus ou son fils par exemple). Bon après c'est évident qu'il es
t impossible de connaitre leurs personnalités réelles, mais l'image qu'on s'en fait ne colle pas forcément toujours avec celle de l'auteur.
Et puis là que je suis dans les critiques j'ajouterais bien quelques faits historiques étranges, le plus gros étant Sylla épousant la seconde Julia Caesar, choix visiblement contesté ou débattu, faisant ainsi de lui le beau frère de Marius. La femme barbare de Sylla me semble également assez particulier comme choix de romance, sans rien apporter vraiment, tout comme le fils Scaurus, dont il es
t impossible de trouver la moindre trace...
Bon, il est évident que je chipote, surtout qu'elle a lu une infinité de sources premières auquel aucune recherche sur internet ne fera jamais concurrence. Après tout l'Histoire est un texte à trous, et le plaisir de la romancière qu'elle est est surement de combler les vides avec sa vision des choses.
Donc voila, une premier tome qui fait office de gros “pilote”, perfectible, mais vers lequel je suis toujours revenu en courant vu la puissance évocatrice du récit qui rappelle clairement la série ROME structurellement parlant. A voir comment la saga évolue, Marius et Sylla ne sont pas encore brouillé (réfutant la thèse de brouille suite à l'affaire Jugurtha), Rome est un peu apaisée, mais la guerre civile n'est pas bien loin, et j'ai vraiment hâte de poursuivre l'aventure.