J'ai été assez déstabilisée par cette lecture…
L'histoire est découpée en trois parties, chacune dédiée à une jeune fille : Emily Desmond, Jessica Caldwell et Enye McColl. Trois personnages principaux, trois époques différentes, trois rapports au surnaturel.
Plus on avance dans l'histoire, plus les choses deviennent dérangeantes.
Que je m'explique : quand Emily se contente de voir des fées et des elfes, Jessica voit ses mensonges devenir réalité alors qu'une étrange menace plane sur elle et que deux clochards s'efforcent de la protéger, tandis qu'Enye est contrainte de prendre des pilules pour affronter des monstres hideux issus d'une dimension parallèle à coups de katana parce que la folie de son ancêtre la poursuit. Évidemment, un fil rouge relie les trois histoires, mais plus on en apprend, plus on en réalise la complexité. L'univers dans lequel baignent les jeunes filles tend à devenir de plus en plus menaçant, sombre, voire malsain. Et d'ailleurs, plus l'époque dépeinte se rapproche de la nôtre, plus elle nous paraît étrangère. Froide. Non-empathique.
Warning. Même si les légendes irlandaises ne servent que de tremplin à quelque chose de plus riche, je vous conseille d'avoir quelques notions de base dans ce folklore. L'auteur ne s'attarde pas à expliquer ce qu'est la Chasse sauvage, ce que sont les phages ni qui sont les Sidhes.
Mais l'histoire va beaucoup plus loin que les contes irlandais. En effet, les trois jeunes filles (issues toutes les trois de la même famille, vous vous en doutez), possèdent le même pouvoir : modeler le monde selon leurs désirs. Si Emily voit des faes, ce n'est pas parce qu'ils existent, mais parce qu'elle les a inconsciemment créés. Si les mensonges de Jessica deviennent réalité, c'est parce qu'elle le désire, si les deux clochards la protègent, c'est parce qu'elle leur a donné naissance afin qu'ils soient le sceau de son pouvoir. Si Enye est contrainte, soir après soir, de prendre de la drogue et de combattre des créatures atroces, c'est parce qu'elle est rongée par ses peurs et sa colère – et la folie de son arrière-grand-mère.
Mais si on rentre dans les détails, c'est encore plus complexe : il y aurait une dimension parallèle, le Mygmus, que l'imagination collective des hommes aurait créé et alimenterait. Une espèce de soupe cosmique des mythes et légendes où tout se côtoie : minotaures, dieux, mais aussi monstres et robots – toutes les époques sont représentées puisque le temps n'existe pas. Cette dimension parallèle est inaccessible… Sauf à certaines femmes (gardiennes des mythes dans la plupart des sociétés), qui auraient le pouvoir de la modifier et de la faire coïncider avec la réalité.
J'ai beaucoup aimé la partie d'Emily Desmond, jeune fille rêveuse qui aurait voulu être plus qu'une simple humaine, qui s'imagine être emportée au pays des fées pour devenir l'une d'entre elle. Sa partie est entièrement épistolaire – et j'apprécie énormément ce genre depuis Les Liaisons dangereuses^^ Non seulement c'est une fille étrange pour son époque, mais son père lui-même est considéré comme un original ! Astronome de métier, il est persuadé d'avoir vu un vaisseau extra-terrestre approcher de la Terre et monte un grand projet : leur prouver qu'il y a une vie intelligente sur notre planète.
À ce stade du récit, tout est encore flou : cet étrange vaisseau et les visions d'Emily ont-elles un lien ? Quelle est la cause, quel est l'effet ? À moins que ces deux phénomènes aient une source encore inconnue…
Celle qui m'a le moins plu est celle de Jessica, parce que l'histoire m'a semblé plus confuse. Qu'est-ce que cette menace ? Qu'est-ce que l'Adversaire ? Qu'est-ce que ces deux clochards ? Qu'est-ce que ces gens sans yeux ? Qui lui en veut, et pourquoi ? Qui est son allié, et pourquoi ? On met longtemps à mettre de l'ordre dans toutes ces notions. On est un peu dépité de voir les fées céder le pas aux phages, de voir le rêve devenir cauchemar.
La partie d'Enye était plus sympa (le concept d'un combat quotidien secret fait tellement héroïque^^), cependant, je n'ai pas du tout aimé le personnage. Enye est beaucoup trop hors du commun : belle, froide, solitaire, sportive, une peau bronzée et des cheveux noirs issus des plus anciens peuples ayant colonisé l'Irlande (à ce que dit l'auteur)… J'ai eu l'impression qu'elle se rapprochait plus d'un phantasme que d'un vrai personnage de roman. Et finalement, c'est comme si les deux autres ne servaient qu'à aboutir à elle.
Pour finir, je me pose une question. Puisque le monde se pliait aux désirs inconscients d'Emily, puisque les fées et elfes étaient très certainement une manifestation de ses pulsions sexuelles, puisqu'une de ces manifestions l'aurait violée et mise enceinte, et puisque Jessica et elle ont exactement le même niveau de pouvoir (c'est-à-dire, le plus élevé) alors que c'est un gène récessif, est-ce à dire c'est l'imagination fertile d'Emily qui lui aurait donné naissance ? Était-ce le phantasme d'Emily que d'être violée et de tomber enceinte ?
Bref, une lecture déstabilisante, pas désagréable mais pas non plus impérissable.
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