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Critique de Tempsdelecture


La disparition de cette fillette de trois ans, Kate, se trouve être ainsi le point central du récit de Ian McEwan, Sa disparition, aussi tragique soit-elle, ne représente finalement qu'une étape pour l'auteur pour enfin se centrer sur la psychologie d'un parent ici le père, confronté à la perte soudaine de son enfant, et sur la façon dont il fait face à ce drame et gère cette absence, d'autant plus terrible que le deuil semble difficile à faire puisque l'enfant reste introuvable. Comment ne pas être touché par la culpabilité et la peine qui rongent ce père croyant reconnaître son enfant dans le visage de chaque petite fille qu'il croise. J'ai littéralement eu un noeud au ventre à chaque page que je tournais tant le romancier, à travers la finesse de ses analyses et la délicatesse de son écriture, réussit à transmettre et partager le désespoir de cet homme, en moindre mesure celui de la mère puisqu'elle n'apparaît qu'épisodiquement et qu'elle gère de son côté son chagrin par le silence et la catatonie. McEwan, à travers la voix de Stephen, parvient à traduire l'indicible, le maelstrom de ces sentiments confusément mêles les uns autres, mélange de culpabilité, de colère, de désarroi, de manque, de honte, de remord, et de douleur aiguë, qui ne cessent de s'agiter en lui. À chaque instant, on se rend compte à quel point Stephen manque de sombrer dans la folie dans son cheminement vers une hypothétique guérison. En psychologue avisé, l'auteur dissèque méthodiquement les émotions qui submergent Stephen et met en scène les conséquences de cette perte, celle de son enfant, qui dans ce tsunami de bouleversements qu'elle entraîne finit par endommager tous les aspects de la vie des parents, puisque elle entraîne la fin du couple, ainsi que d'une certaine manière, pour Stephen et Julie, l'oubli, la perte d'eux-mêmes.

En filigrane, ce qui permet de donner un peu de légèreté au roman, Ian Mc Ewan agrémente son récit, ici et là, en intermittence avec les pensées de Stephen, de remarques, pleines de dérision, d'ironie et de cynisme, toujours sous-tendues par une critique assez acerbe envers le gouvernement britannique, sa politique, ainsi que ses lourdeurs et langueurs administratives. Stephen fait partie d'une de ces sous-commissions dite Sous-comité Parmenter sur la Lecture et Ecriture dépendant de la Commission de Pédagogie, institution qui ne semble avoir de raisons d'être que pour la satisfaction d'une poignées de bureaucrates peu concernés (hello hadopi!!!). Grâce à ces passages qui permettent de relâcher un peu la tension dramatique, on peut reconnaître à l'auteur un sens de la mesure particulièrement avisé, les sourires provoqués par ses sarcasmes font que ce récit ne verse pas dans le pathos complet. McEwan n'est en effet pas tendre avec ce monde politisé, qu'il ne se prive pas d'égratigner en dressant un portrait acerbe de ses adeptes, que ce soit à travers cette sous-commission qui ne se soucie que fort peu des enfants ou par l'intermédiaire de son ami Charles Darke,



D‘une portée aussi plus généraliste sur la destinée de chacun, ce texte, ces lignes portent sur la perte, de l'autre, de soi, d'un état d'innocence et de pureté, sur la désillusion de sa propre personne, ses attentes, et surtout sur la résignation face à une existence qui semble imposer aux personnages malmenés ses propres velléités plus qu'ils n'arrivent à imposer leurs choix. Même si notre romancier laisse ses personnages sur le fil du rasoir, qui semblent constamment être sur le point de s'écrouler,

L‘enfant volé: le titre est limpide, en ouvrant le bouquin, on se doute bien de quoi il sera question. La disparition de Kate est évidemment suggérée par cet intitulé mais McEwan pousse plus loin cette espèce de constat, qui porte comme les premières traces d'une accusation. Si la disparition de Kate est un cas dramatiquement particulier, l'auteur a en effet une visée plus globale sur l'oubli de l'enfance en général: d'une part, par le biais de la causticité de ces lignes qui soulignent le ridicule de la situation de cette sous-commission dont les membres, théoriciens, universitaires poussiéreux, père sans enfant, sont clairement détachés de toute forme de contact avec les enfants. Comment prétendre savoir ce qui est le mieux pour les enfants britanniques alors même que personne ne prend la peine de réellement s'intéresser à eux. D'autre part, cette recherche de l'enfant perdu touche d'autres protagonistes du roman, outre Stephen et Julie, tous un peu englués dans des situations qu'ils ne subissent qu'à contrecoeur, tous à la recherche de cette enfance volée, qu'elle soit celle de son enfant, de la sienne propre ou de l'Enfance.

Je ne pourrais pas affirmer, sans mentir, que j'ai totalement apprécié ce récit : il y a des sujets plus difficiles que d'autres, qui touchent certaines sensibilités davantage que d'autre, et la disparition de Kate m'a bouleversée, même lors de ma seconde lecture afin de rédiger ces lignes. J'ai davantage apprécié la délicatesse, le savoir-faire et le talent de l'auteur, qui a su conserver un équilibre, aussi précaire soit-il, entre tristesse infinie et cocasserie, qui a réussi à explorer parfaitement, avec sensibilité, la psychologie des personnages dévorés par cette douleur difficilement dicible. Je préfère ainsi refermer ce livre, ainsi que ce texte, par saluer l'auteur qu'est Ian McEwan, qui a su montrer ici l'étendu de son talent littéraire, que j'approfondirai sans doute à l'avenir.
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