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Critique de maevedefrance


Traduit par Cécile Arnaud

Dublin 2012 : une femme, dont on ignore le nom, s'interroge : doit-elle quitter son poste, qu'on devine être situé dans un hôpital dublinois, pour accepter un travail à Londres ? La pression et la fatigue se font sentir suite au scandale de cette jeune femme décédée parce que les médecins ont refusé de l'avorter. "La loi est la loi, et tant qu'elle ne changera pas, ils feront ce qu'ils ont toujours fait, c'est-à-dire de leur mieux", mais "ce dernier scandale médical est un sujet de préoccupation réel, qui la stresse autant que ses collègues". La femme entretient une relation à distance avec un certain Jeffrey qui vit à Londres et l'exhorte de le rejoindre, d'accepter le poste. Seulement, rien n'est si simple : il y a sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer, en maison de retraite. Elle ne se sent pas de l'abandonner. Ses relations avec celle-ci furent compliquées. Après l'alcoolisme, la voici démente. le sentiment de culpabilité la ronge quand elle songe à quitter le pays. Pourtant sa mère ne la reconnaît plus depuis longtemps. Ne prononce rien de cohérent, depuis longtemps. Pourtant, lors d'une visite, elle lâche cette phrase : "Ca y est, tu repars courir dès qu'on a besoin de toi." "Partir courir, est-ce la même chose que partir en courant ?" se demande la femme. On apprend que cette femme est quarantenaire, qu'elle est le docteur McCarthey. Que sa relation à distance a 72 ans, divorcé plusieurs fois, père de plusieurs enfants.

Maryland 2012 : Ali vient de perdre sa mère. C'est ce qu'on apprend dans ce récit à la première personne. Elle a encore l'urne de ses cendres à la main quand deux personnes âgées surgissent dans sa vie, se présentant comme ses grands-parents paternels. Elles lui annoncent qu'elle est maintenant sous leur tutelle. Ali refuse cette décision et s'enfuit avec un ami biker, pour tomber dans un traquenard, qui sera l'objet d'une nouvelle fuite. (Un petit côté Thelma & Louise version solo et à moto mais attention aux virages quand on n'a pas l'habitude de faire de la moto...).

Rathlowney, Londres, Dublin 1982 : Jasmine laisse un mot à sa mère dépressive, qui ne se lève plus et s'occupe encore moins d'elle, qu'elle part à Londres chez une amie. L'adolescente prend le ferry, rejoint la capitale britannique pour connaître la "glauquitude" dans tous ses états, d'auberge de jeunesse louche, en squat. Son parcours va être semé d'embûches et de mauvaises rencontres, pavés de lieux libidineux, hantés par de gros dégueulasses. Elle s'arrachera elle-même des griffes des parrains du proxénétisme d'une manière forte pour retourner en Irlande. A Dublin, elle travaille chez un bookmaker et sympathise avec un Noir, prénommé George, étudiant en médecine. A ses heures perdues, George pratique la boxe. Apprendre la boxe est le rêve de Jasmine. Seulement ce sport est interdit aux femmes dans l'Irlande des années 80 ! (n'est-ce pas dingue ?) "Si elle apprenait à boxer comme eux, elle pourrait développer la même assurance, et puis elle saurait se protéger." George accepte de l'entraîner à condition qu'elle retourne à l'école, qu'elle étudie. Si Jasmine voudrait faire table rase de son expérience londonienne, c'est sans compter sur son cousin Adrian collé à ses basques dans les rues de Dublin, lui rappelant qu'elle a un jour disparue et que même sa mère ne sait même pas qu'elle est revenue. Ce cousin Adrian est un vrai boulet : pas de fric, pas de toit, des plans foireux et des gens à qui il doit de l'argent. A force de le voir la suivre comme son ombre, Jasmine accepte de l'héberger temporairement et lui trouve un job. Malgré cela, il est toujours dans des embrouilles pas possible. Jasmine entame une relation avec son voisin, Deano, une histoire d'amour-amitié. Comme George, c'est un type bien. Un gars qui a perdu ses parents jeunes, qui est seul au monde. Ils s'épaulent mutuellement.

Dans ce roman à trois voix, c'est Jasmine qui occupe le texte pendant la majeure partie du livre. Son histoire est une épopée à elle seule. Une lutte, un roman d'apprentissage version hard. Les deux autres voix narratives reviennent sporadiquement dans le récit. Cette polyphonie entretient une forme de suspense puisqu'on se doute que ces trois femmes sont liées. J'ai commencé à comprendre un lien au bout de la page 105 - mais je ne peux pas dire pourquoi sous peine de vous donner trop d'indices!
Cependant, c'est plus compliqué que ça... et je dirai même qu'une quatrième voix émerge du récit vers la fin. :)

Bien entendu ce roman parle de la fuite, (le titre original est An History of run away), celle des femmes obligées de prendre la tangente afin de pouvoir vivre libres, échapper à un destin sordide, se faire respecter, décider elle-même ce qui leur convient, quitte à se tromper de route pour mieux rebondir, évoluer et grandir. Des parcours semés d'embûches. Des fuites qui sont comme des échos diffractés.

Paula McGrath brosse des portraits de femmes fortes, mais aussi fragilisées, proies d'autant plus faciles pour des hommes à l'esprit dérangé (soyons franche !).
La majorité d'entre eux, dans le livre, sont des prédateurs : des traitres, des proxénètes ou assimilés, des incestueux, bref, des porcs libidineux considérant les femmes comme des jouets sexuels et non des êtres humains. Pour les décrire, l'auteure n'y va pas par quatre chemins. Il y a quelques scènes vraiment fortes et crues !

Malgré tout, Paula McGrath a la finesse d'esprit de ne pas mettre pas toute la gente masculine dans le même panier. Il y a deux personnages masculins lumineux, des anges gardiens qui savent insuffler bonheur et espoir, seront des moteurs pour avancer dans la bonne voie : George et Deano.

Une petite allusion au racisme aussi dans l'Irlande des années 80, avec un drame. C'est pas bien facile d'être une femme, mais c'est pas bien vu d'être un homme noir et encore moins un homme noir en compagnie d'une femme blanche dans les rues de Dublin. :(

Paula McGrath montre du doigt l'Irlande et la société britannique des années 80, celle d'une société sclérosée en ce qui concerne les femmes. Elles sont dépossédées de leur corps, elles sont violentées. Mais paradoxalement, la boxe est un sport qui leur est interdit !
(J'ai aimé les clins d'oeil sur les bleus de Jasmine suite à son entrainement clandestin à la boxe : George s'inquiète de ses hématomes, pendant que tout les autres hommes pensent qu'elle était ivre ou que sais-je quoi.... Gêné, il lui dit qu'il ne veut pas faire de mal à une fille. Jasmine lui répond que ça la regarde, elle, parce que c'est son corps... :) )

L'auteure n'hésite pas à faire référence, en filigrane, au scandale qui a éclaboussé l'Irlande en 2012, avec le décès d'une jeune femme que les médecins ont refusé d'avorter alors que sa vie était en danger.
Depuis, on connaît le chemin parcouru par le pays en la matière avec la victoire du Oui l'an dernier, enfin ! Des millions de femmes n'auront plus à fuir pour cela.

Le récit partagé entre les années 80 et 2012 permet de voir certains progrès accomplis, - en tout cas pour la boxe féminine qui est devenu un sport olympique à l'instar de sa version masculine - et le chemin qui reste à parcourir.

Paula McGrath aborde aussi des thèmes comme la solitude, l'isolement, la culpabilité, la trahison.

La fuite en héritage nécessite toute l'attention du lecteur. Il est dense, intense, on ne s'ennuie pas, mais on croise une foule de personnages, surtout dans l'histoire de Jasmine. le seul reproche que je peux faire est que le récit est presque trop dense et complexe : on se perd par instants. On comprend très tardivement le rapport entre ces femmes (même si j'ai deviné page 105 une partie du "mystère" entre ces trois histoires) et vraiment à la toute fin le rapport du personnage d'Ali avec le reste du récit.

Un roman fouillé, très fin, et féministe, bien sûr !
Lien : http://milleetunelecturesdem..
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