Une tristesse qu'elle n'avait pas vu arriver, dont elle ne s'était pas doutée, et qui creusait déjà en elle un trou aussi profond qu'une fosse mortuaire.
Le bonheur, tu sais, ça ne se trouve pas. Ça se décide.
À quoi bon se laver si personne ne vous voit, à quoi bon manger si on a juste la force nécessaire, à quoi bon sortir quand on n'a envie de parler à personne ? Éliser s'était mise en veille - vivre lui coûtait trop cher et elle sentait bien qu'elle n'en avait pas les moyens.
Quand on avait perdu un bout de soi et découvert la fragilité de la vie, on ne se laissait plus emmerder par les conventions sociales et la politesse de façade.
Ça ne rend pas aveugle l'amour, ça rend idiot.
Avant de perdre son mari - perdre, elle s'était toujours moquée de ce mot, trop doux, trop optimiste, comme si elle avait égaré Arthur dans un rayon du supermarché pendant leurs courses hebdomadaires et qu'il allait finir par la retrouver, accroupie devant des tablettes de chocolat ou du café moulu -, elle n'avait perdu aucun être à qui elle tenait vraiment, à part son chat.
Les livres l’avaient littéralement sauvé, oui. Certains avaient une bande d’amis, lui avait une énorme bibliothèque. Il avait vécu tant d’autres vies depuis le départ de sa mère que parfois il ne savait plus faire la différence entre la réalité et la fiction.
[...] Il avait toujours dans son sac quelques livres de poche déformés par ses longs doigts qui s’enroulaient autour des pages afin d’éviter que le vent ne lui divulgue trop vite la suite de l’histoire.
Parler, c'était accepter d'ouvrir une porte contre laquelle elle s'arcboutait, recroquevillée contre la poignée, le dos plaqué sur le bois brut, poussant de tous ses muscles tendus, depuis si longtemps.
Elle savait que le temps ne coule que dans un seul sens, vers l'avant, toujours vers l'avant, sans attendre ceux qui traînent le pied, ceux qui fatiguent, ceux qui trébuchent et tombent sur le sol poussiéreux.
Manou lui avait dit : Maman est partie, mon petit chéri, tu vas vivre ici maintenant. Mais partie, ça ne voulait rien dire, ça laissait trop de place à l'espoir, à l'attente, à l'imagination. Partie où ? Quand on part, que ce soit en courses ou en vacances, on revient.