Citations sur Une terre si froide (43)
En bas, j'allume les lumières, direction la cuisine et le réfrigérateur, où j'attrape un grand verre que je remplis à moitié de glaçons et de jus de citron et que j'emporte dans la pièce de devant. Le salon, la pièce sympa : la pièce à vivre . Celle que, pour quelque obscure raison de protestant, l'on n'utilise jamais dans les maisons de Coronation Road, où l'on entrepose le piano, la sainte Bible, et les fauteuils guindés que l'on ne sort que pour les visiteurs importants - les flics ou les pasteurs.
Un monde effondré. Belfast, ville perdue. Avec ses usines en ruine, ses pubs incendiés, ses clubs à l’abandon. Ses boutiques barrées de grilles antibombes. Ses postes de contrôle, ses postes de fouille. Ses
commissariats de police aux murs blindés.
Voitures cabossées. Voitures désossées montées sur briques.
Chiens errants. Graffitis sectaires. Fresques de paras cagoulés.
Maisons murées, détruites par les bombes incendiaires. Maisons sans yeux.
Fenêtres brisées, miroirs brisés.
Des enfants qui jouent sur des tas d’ordures et dans les cratères des bombes, qui rêvent d’être n’importe où, mais ailleurs.
L’odeur de la tourbe et du gasoil, et des cinquante mille cordons ombilicaux de fumée noire unissant la cité grise au ciel gris.
[1981] Bien entendu l'homosexualité est interdite en Irlande du Nord, ce qui, bien entendu, ne signifie pas qu'il n'y a pas d'homosexuels. Tout le monde connaît quelqu'un...
Je lui embrasse les seins et le ventre, et la couche sur le lit.
- Baise-moi mon salaud, gémit-elle.
Pas besoin d’autres encouragements.
On s’offre une séance de sexe effréné, animal. Après quoi, elle monte sur moi et on remet ça.
Je m’endors. À 1 h 30, elle me réveille en me secouant brusquement.
- Mon mari rentre à 2 heures, après son service. Prends tes vêtements et dégage vite.
- Tu plaisantes ?
- Il est soudeur, il te cassera en deux, mon chou. Allez vas-y.
Huit kilomètres pour rentrer chez moi. À pied et sous la pluie.
- Chef, j’ai une question avant que vous ne partiez. Qui je prends pour travailler avec moi sur cette affaire ?
- Vous pouvez prendre toute l’équipe.
- Quoi, vous voulez dire nous trois !
- Vous trois, rétorque-t-il avec raideur, sans goûter le moins du monde cette pointe de sarcasme.
- Je peux faire une demande pour un renfort de deux agents…
- Non, vous ne pouvez pas ! L’effectif est aussi serré qu’un cul d’enfant de chœur, ici.
J'ouvre grand les yeux. Dehors, la pluie déborde des gouttières, s'accroche aux carreaux comme une femme battue à un mauvais mariage.
Je raccroche. C’est là qu’une moustache à la Serpico aurait été bien pratique. J’aurais pu réfléchir en me regardant dans la glace de l’entrée tout en caressant mon appendice pileux.
On se retrouve quand même en page trois avec le titre « Double meurtre d’homosexuels : le RUC enquête » et , juste en-dessous, une belle photo de McCallister.
-Ils aurait pu nous consacrer un peu plus de place, se plaint Brennan. Je veux dire, pour une fois qu’on a un vrai crime, un crime normal, non sectaire. C’est quand même inhabituel pour la région.
Encore du grabuge à Belfast. Les fumigènes au nitrate de potassium traversent la nuit tombante. Un hélico Gazelle vole au ras de l’eau dans la baie. Des gamins passent devant le poste en s’échangeant les meilleures techniques pour balancer un cocktail Molotov par-dessus l’enceinte. Quel
cauchemar, Seigneur.
Une ville martyrisée par sa propre guerre éclair.
Une ville qui empoisonne ses propres puits, sème du sel sur ses champs, creuse sa propre tombe.
L'être humain est un animal en recherche permanente de schémas, cela fait partie de notre ADN. Voilà pourquoi les dieux ont la cote, et, dans un tout autre genre, les théories du complot, car nous cherchons toujours de plus amples explications aux choses. ( p 294)