Dans la famille Vorkosigan, je demande la mère...
Je me lance dans cette looongue série de romans publiés sur près de trente ans et récemment rééditée dans la collection Nouveaux Millénaires. J'ai choisi l'ancienne édition J'ai lu pour les raisons suivantes :
- La nouvelle collection regroupe les romans par trois ou quatre, ce qui donne de gros pavés peu agréables à manipuler.
- Plutôt que d'investir 30€ sans savoir si j'accrocherais, j'ai préféré me rabattre sur les anciens romans qu'on trouve en occasion pour 1€.
- Je trouve les couvertures de la nouvelle édition très froides, sans saveur. A contrario, celles des anciens romans, signées Caza, retiennent l'attention.
Cordelia Vorkosigan (L'honneur de Cordelia, dans les éditions Nouveaux Millénaires) n'est pas le tout premier roman de la série si l'on considère l'ordre chronologique. Opération Cay le précède, mais j'ai délibérément choisi d'ignorer ce dernier dans un premier temps, car il s'agit d'une sorte de prequel déconnecté de l'histoire et publié après les premiers romans. Je craignais surtout d'être déçu par un premier tome peu représentatif de l'ensemble.
Cordelia Vorkosigan, c'est aussi le nom la future mère de Miles Vorkosigan, héros central de la série qui n'est pas encore de ce monde.
Cordelia Vorkosigan, c'est encore le nom d'épouse de l'agent Cordelia Naismith, des forces expéditionnaires de Beta. Ce roman raconte les circonstances particulières de sa rencontre avec le terrible lord Vorkosigan et… oui, il s'agit d'une histoire d'amour !
Un space opera très léger. Léger, non pas au sens faiblard puisque l'univers s'annonce d'ores et déjà très vaste, mais pour la tonalité qui en ressort. Une impression de fraîcheur, de spontanéité et d'effervescence, à laquelle n'est sûrement pas étrangère la personnalité marquée de Cordelia, qui porte véritablement le roman.
L'écriture ne casse pas des briques. le style est simple, le vocabulaire ou les constructions parfois questionnables. Enfin, rien de bien méchant. Quand on sort d'un
Saramago, il est facile de voir des impropriétés partout !
Récit et dialogues s'équilibrent bien. de manière générale, l'autrice démontre un excellent sens du roman.
On peut identifier facilement trois parties équilibrées :
- La première débute en pleine action où l'on voit Cordelia et son équipe betane attaqués par de furieux militaires barrayarans, dont Vorkosigan fait partie. Un mini planet opera. Un peu difficile à suivre au début car beaucoup de personnages sont introduits ou évoqués, ainsi que les grandes lignes de la société barrayarane. On nage déjà en plein complot. Comme je confondais certains personnages, celui-ci m'a paru confus au début, mais finalement tout devient limpide.
- La seconde se déroule dans l'espace. L'action et l'intrigue se poursuivent, le décor change. Grande bataille spatiale autour de la planète Escobar, dont les barrayarans ont lancé l'assaut !
- La troisième partie marque la fin de la guerre et voit Cordelia revenir sur sa planète natale. Certaines épreuves l'y attendent. L'heure des choix aussi.
Étonnamment, la romance qui est le fil rouge de se roman ne m'a pas trop gêné. J'ai apprécié le fait que les deux personnages centraux ne soient plus dans la fleur de l'âge. Aucun n'est particulièrement beau. Lui n'est même pas spécialement fort ni grand selon les standards barrayarans, même si de son point de vue à elle, l'effet virilité est indéniable. J'ai aimé le joli contraste entre la force tranquille de Vorkosigan, sûr de ses capacités et de son autorité, et le mélange de timidité et de délicatesse qu'il témoigne à Cordelia, qui s'en trouve troublée.
C'est plutôt le personnage de Cordelia elle-même qui m'a agacé. Un archétype qu'on a plutôt l'habitude de rencontrer dans les comédies. Franche, impulsive, elle agit et parle avant de réfléchir, ce qui lui vaut de « regretter immédiatement ce qu'elle vient de dire » à tout bout de champ, et c'est vraiment énervant ! Elle apparaît aussi plutôt naïve. Et puis pour une soi-disant experte en gestion d'équipe, elle perd quand même facilement ses moyens. Fort heureusement pour elle, son impulsivité semble devenir une force dès lors qu'elle passe à l'action !
Dans la troisième partie, le climat cherche à prendre un tour nettement psychologique et oppressant, mais n'y parvient pas vraiment, principalement à cause de la personnalité de Cordelia.
Lois McMaster Bujold signe avec ce roman un sympathique morceau de Space opera militaire. Et qui à mon humble avis a largement de quoi séduire un public féminin peut-être moins attiré par ce genre. Ce n'est pas seulement la romance, ni la mise en valeur de l'héroïne. C'est aussi le choix des thèmes traités : la vie, l'amour, la mort, le viol, la filiation, l'émancipation de la société, le mariage.
Si certains sujets sont lourds, le ton reste léger, l'autrice ne dépassant jamais la limite du voyeurisme ou du sordide. On reste dans du divertissement grand public et le sourire n'est jamais loin, sinon l'humour.
Quant à l'aspect SF militaire, il est omniprésent, avec les systèmes de promotion et de valeurs (respect, courage, honneur), avec les grades, les tenues et les armes, et enfin les Barrayarans (le peuple central) qui sont nés pour la guerre. Pour autant, on ne sent pas de militarisme. Au contraire, l'autrice fait peser sur les personnages (certains plus que d'autres) tout le poids de la guerre avec son lourd tribut et son inanité. Elle parle aussi des prisonniers de guerre, de la prise en charge des femmes violées ainsi que des rejetons, ce qui est une autre façon de questionner la guerre.
Space opera ambitieux avec ses batailles grandioses, ce roman est aussi un concentré d'intrigues et de complots, avec une lutte incessante pour le pouvoir.
Les sociétés barrayaranes et betanes, que tout semble opposer à l'exception des manoeuvres politiciennes, fournissent aussi pour l'autrice un moyen commode et indirect de critiquer la société américaine. C'est assez bien vu et plus nuancé qu'il n'y paraît.
Ainsi, l'esprit va-t'en guerre des Barrayarans est dénoncé, mais leur sens de l'honneur et leur respect de l'autorité est une force.
Du côté des Betans, la valeur du régime démocratique est habilement questionnée via la personne même du président, surnommé Freddy la Perpète, et qui semble avoir été élu par une part très réduite de la population.
On voit aussi une critique des médias et de la propagande.
En prime, une petite séquence finale façon scène post-générique des films Marvel ! Je ne voyais pas où cela allait mener, et puis tout s'éclaire et vient souligner le point de vue humaniste et féministe de l'autrice. Très beau !