L'action de
la Sacrifiée du Vercors, se déroule au cours d'une des périodes les plus sombres de l'histoire de notre pays. La sortie de la 2ème guerre mondiale et le retour à la « normale » après le temps de l'occupation et de la collaboration.
En exergue du récit deux citations,
Charles de Gaulle et
Léo Ferré illustrent selon moi la confusion qui règne alors dans le pays.
L'autorité du général est reconnue difficilement par les alliés malgré ses efforts et ses gesticulations pour s'affirmer comme chef d'état. La résistance intérieure se caractérise par la concurrence entre les FFI et les FTP.
Les poches de résistance de l'armée allemande, encore après le débarquement de 1944, conduit les alliés à se battre sur deux fronts.
Alors que les véritables résistants sont enrôlés dans les armées alliées en route vers l'Allemagne, on assiste dans les zones libérées à l'émergence de "résistants de la 23ème heure", qui pour masquer leur passé trouble n'hésitent pas à se lancer dans des opérations d'épuration comme celles consistant à tondre des femmes pour leur réelle ou supposée collaboration horizontale avec l'ennemi.
Le récit nous fait vivre un moment de cette période, dans un haut lieu de la résistance, le Vercors.
Le style d'Antoine Médeline est remarquable. Il propose un roman court de 174 pages, se démarquant de la tendance à écrire des romans de 250 à 300 pages voire plus, contenant souvent des longueurs…
Son vocabulaire est minutieusement choisi. Son écriture condensée et rythmée, est comparable à une avalanche. Elle ne laisse aucun répit au lecteur et le pousse à vivre la même urgence et le même sentiment de confusion que celui des personnages.
Georges Duroy a trente-trois ans. Ses beaux parents sont originaires du Vercors, ils sont communistes, lui même« est encarté FTP mais il n'est pas communiste. »
« Il est l'un de ces maudits du réalisme.»
Le commissaire à la République installé officiellement depuis sept jours à Lyon, l'a chargé d'une mission : « Transfert du Vercors : prisonnière Sarah
Ehrlich, dite la baronne ». Une collaboratrice avérée.
Mais les choses ne se passent pas comme il le voudrait.
Il fait face à Choranche, chef de la résistance locale, « (…) de l'armée d'armistice. Il a servi au 11ème régiment de cuirassiers jusqu'en novembre 1942. C'est alors que la zone sud est tombée, que les Allemands ont tout envahi et que l'officier de cavalerie a pris un coup de sang. Décidé sur-le-champ à ne plus servir l'armée spectrale du Maréchal ». Un homme auréolé de gloire qui refuse l'autorité de Duroy et défend « ses » résistants contre l'autorité lointaine de Lyon et sa volonté de faire rentrer la résistance dans les rangs..
Les scènes se déroulent sous le regard de Judith Ashton, une journaliste américaine de Life pour lequel elle a couvert la guerre d'Espagne.
Ses origines juives la poussent vers l'Est où elle entend dénoncer la barbarie nazie.
« Mais elle va quand même les trouver, ces Juifs. Parce que, non mais sans blague, où sont-ils passés ? le major Freddy Michalsky lui a confié sur l'oreiller que les nazis les ont parqués dans des camps, en Pologne, et qu'ils les exterminent par milliers. Ils les gazent et ils les brûlent. Voilà où ils sont passés. »
Et puis il y a la population locale avec ses haines et ses rancoeurs cristallisée par la guerre et de retour après la libération :
« Les gens d'ici n'ont jamais aimé les Italiens qui sont venus tailler la route des Grands Goulets et ses tunnels dans la falaise sans jamais repartir. Ils y ont laissé un millier des leurs. »
Je ne dévoilerai pas l'intrigue policière qui détourne Duroy de sa mission et le pousse dans ses retranchements, l'opposant aux autorités locales et jetant une lumière crue sur son passé et ses liens avec ses beaux-parents.
Le récit restitue avec justesse l'atmosphère de cette France que l'on a occulté pour celle plus respectable que l'on nous apprend à l'école : « En France, toutes les familles ont évidemment un résistant dans leur ascendance. Dans les écoles, on apprend même aux enfants que leurs aïeux, avec l'aide des Anglais et des Américains, ont gagné la Seconde Guerre mondiale. L'action du général
De Gaulle est reconnue et célébrée. »
Morceaux choisis :
« Ils débitent rarement agréable. Il n'en tirera rien. »
« C'est l'orchestre des ombres, les imbéciles qui font justice de leurs rêves. »
« C'est à l'État de ne rien oublier le jour de la vengeance. »
« Évidemment, que la mémoire est une aubaine pour l'histoire mais, pour les hommes, c'est juste une saloperie. »
« Un maillet pour assommer les boeufs est pendu le long du mur de pierre. Il n'y a pas les vaches, rien que leur odeur de fromage trop fait et de foin mouillé. Duroy se concentre. Ça sent aussi les poils grillés, la viande morte. Il inspecte dans la pénombre. »
« Nous sommes le 10 septembre 1944. Il est 8 h 22 à Saint-Julien-en-Vercors. La température est de 91 °F. Un véhicule remonte la rue principale. Judith devine le conducteur derrière des écoliers qui chahutent, une silhouette plate qui file dans les cendres du plateau. »
« Pour l'instant, elle veut se tirer de cette terre maudite, authentique trou de balle de la croûte terrestre. Elle lâche un juron à la voiture grise et à son conducteur qui accélère. le véhicule disparaît. »
Signalons également que chaque titre de chapitre est un extrait de
poèmes écrits par des auteurs qui ont vécus cette période comme le fragment 128 de
René Char ou Tous mes amis sont morts de Anne (Édith Thomas).
Un roman à lire et à faire lire. Un auteur dont je vais m'empresser de lire les autres romans.