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EAN : 9782070131358
400 pages
Gallimard (16/02/2012)
4.01/5   338 notes
Résumé :

Mille trois cent quatre-vingt-dix-sept kilomètres. Eva voyage en train depuis son Tyrol du Sud natal jusqu'en Calabre pour rendre visite à Vito, disparu de sa vie
trop tôt et depuis trop longtemps, que la maladie menace d'emporter. Durant ce trajet du nord au sud de l'Italie, de sa région frontalière et germanophone au Sud profond, c'est toute son enfance et l'histoire de sa mère Gerda qui défilent dans sa tête.
Celle-ci est si belle, si libre,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (73) Voir plus Ajouter une critique
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Eva remonte le temps tout en méditant loin de l'agitation du quotidien. Elle regarde défiler les différents paysages. Elle traverse l'Italie du Nord au Sud, mille-trois-cent-quatre-vingt-dix-sept kilomètres. Elle se dirige à la rencontre d'un homme, Vito, qui a beaucoup compté dans son enfance ainsi que dans la vie de sa mère, Gerda. La vision bucolique de la diversité des régions tout comme les quelques étapes dans les gares, le bercement tranquille du train, loin du rythme du monde, tout concoure à lui faire revivre les remous et les combats qui se sont déroulés avant de parvenir à la constitution de la région autonome du Trentin-Haut-Adige.


J'apprécie beaucoup Francesca Melandri. Je suis une lectrice assidue de ses romans : « Plus haut que la mer » et « Tous sauf moi ». Elle fait partie de ces auteures qui savent relier le passé au présent, entre la vie politique d'hier et ses conséquences sur la vie d'aujourd'hui. Si « Eva dort » fut son premier roman, si je peux lui reprocher un manque de fluidité, c'est avec enthousiasme que j'ai dévoré ce récit tant il est prenant et riche d'une histoire dont nombre d'italiens ignore, encore aujourd'hui, les drames qui s'y sont joués.

« Eva dort » retrace, depuis les accords signés le 29 juin 1919 dans la Galerie des Glaces, l'histoire de cette partie du Tyrol Sud dont fut amputé l'Autriche pour devenir territoire italien, italianisé de force par Mussolini déclenchant ainsi un mouvement indépendantiste qui ne cessera d'amplifier pour atteindre son point culminant en 1960 avec le mouvement terroriste BAS. Territoire de langue allemande, bénéficiant de nombreux atouts qui se sont développés au fur et à mesure des années, cette région va connaître une importante immigration italienne du sud, rendant impossible l'administration de celle-ci, alimentant ainsi le mécontentement des germanophones.

Il rend aussi hommage à deux hommes politiques, Silvius Magnago, originaire de la région de Bolzano. Sa carrière débutera comme conseiller municipal de Bolzano pour devenir un des dirigeants du SVP (Südtiroler Volskpartei). Et Aldo Moro, Président du Conseil italien. Ces deux hommes après maints échanges, ont pu trouver un terrain d'entente avec intelligence pour parvenir à l'autonomie de cette région. J'ai revécu avec émotion l'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro.

L'auteure s'appuie sur une saga familiale, pour toile de fond, dont l'origine a pour filiation Hermann Huber, le grand-père d'Eva. Un homme qui a tout perdu et qui en est devenu froid et acariâtre, rongé par la rancoeur. A partir de 1919, ce petit morceau de l'Autriche devient italien. Les perdants de la Grande Guerre doivent payer. Il faut imaginer cette minorité, soumise à l'humiliation, luttant désespérément pour survivre malgré Mussolini qui va chercher à l'italianiser de force entre 1922 et 1943. La langue allemande interdite, ne parlant pas un mot d'italien, l'injustice et l'incompréhension viennent envenimer la situation économique et le travail se fait rare pour les germanophones.

Le récit décrit l'évolution de la famille, les naissances, les us et coutumes, les vêtements, mais aussi les engagements politiques. Par le biais de la vie de cette famille, nous pouvons mesurer l'étendue de leur misère, la dureté du quotidien, mais aussi l'attachement à leur culture, leur identité, les discriminations et les luttes parfois violentes pour mieux nous faire intégrer toutes les étapes et toutes les révoltes auxquelles furent soumises cette minorité allemande.

L'histoire de la région prend largement le pas au détriment de celle de la famille. Malgré cela, le roman trace deux portraits de femmes : celui de Gerda, fille d'Hermann et celui d'Eva, fille de Gerda. Personnellement, c'est le portrait de Gerda qui a retenu toute mon attention. Mère célibataire dans une époque soumise à des principes moraux drastiques qui nous apparaissent totalement absurdes aujourd'hui, elle a dû lutter pour devenir chef-cuisinière et c'est ce portrait que j'ai aimé tout particulièrement.

Un autre passage très émouvant, sur le meilleur ami d'Eva, Ulli, homosexuel, est particulièrement éloquent sur les préjugés de l'époque.

Pour son premier roman, Francesca Mélandri dresse le portrait d'une région et d'une famille confrontée à une histoire bien particulière telle que celle du Haut-Adige. Malgré le manque de limpidité peut-être par trop de retours en arrière et de retours sur le présent, peut-être aussi à vouloir traiter deux portraits de femme, j'ai beaucoup aimé ce livre et je m'y suis plongée avec grand plaisir. A noter, j'ai appris beaucoup de mots allemands et qu'il existait une langue nommée le ladin!!! Cette particularité régionale, je l'ai découverte avec Marco Balzano « Je reste ici », encore un excellent roman sur cette exception italienne.

« Mon passeport est italien, ma langue c'est l'allemand, ma terre c'est la partie du sud du Tyrol dont les autres parties, le Tyrol du Nord et de l'Est, sont pourtant en Autriche. Nous l'appelons Tyrol du Sud mais en italien on dit Haut-Adige, puisque la différence dépend toujours du côté où on la regarde : d'en haut ou d'en bas. »


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Lu en V.O.
J'ai toujours été passionné par l'histoire, mais ce livre m'a fait réaliser que j'ai encore beaucoup de lacunes : j'ignorais tout de l'histoire, pourtant récente, du Haut Adige ou Tyrol du Sud, rattaché à l'Italie après le traité de Versailles bien que peuplé en majorité d'habitants de langue allemande.
Et pourtant, ce n'est pas un livre d'histoire mais un roman.
Tout part d'un colis adressé à Eva que sa mère, Gerda, fait renvoyer à l'expéditeur en expliquant au facteur qu'"Eva dort."
Lorsque Eva quelques années plus tard reçoit un message de Vito, un grand amour de sa mère et quelqu'un qu'elle-même a considéré presque comme le père qu'elle n'a jamais eu, lui annonçant qu'il est très malade et souhaiterait la revoir, elle entreprend un long voyage de 1.397 kilomètres à travers toute l'Italie, du Tyrol du Sud à la Sicile pour le revoir. Ses souvenirs remontent à la surface.
Le livre donne une vue chronologique, par l'histoire de sa famille, à travers les personnages de son grand-père Hermann, de sa mère Gerda - fille-mère, son frère Peter et tant d'autres attachants, mais également par l'histoire de sa région depuis son rattachement de force et sa colonisation par Mussolini, la résistance de ses habitants, leur attachement à leur culture, les attentats commis pour un rattachement à l'Autriche, pour enfin arriver à un compromis avec le gouvernement Italien lui octroyant une grande autonomie.
Chaque chapitre de cette chronologie est nommé par année.
A cette vision chronologique s'interbrique une vision géographique, celle du trajet qu'entreprend Eva vers Vito, ici les chapitres sont intitulés comme des bornes kilométriques. Les descriptions des lieux traversés et des divers personnages rencontrés durant ce voyage sont belles et sont entrecoupées par les souvenirs d'Eva.
C'est un livre extrêmement bien documenté et qui m'a beaucoup appris sur l'histoire de cette région, souvent lors de sa lecture, il m'a donné envie d'en savoir plus et m'a incité à ma documenter davantage sue les noms cités (notamment Andreas Hoffer, Silvius Magnago que je l'avoue, je ne connaissais pas...). J'ai vraiment eu l'impression de lire un livre d'histoire à ces moments-là.
Le livre fourmille de mots allemands ou plus exactement dialectaux tyroliens, désignant l'habitat, les vêtements et surtout la cuisine.
La partie plus romanesque ne m'a pas laissé indifférent non plus, et la fin du livre est très émouvante.

On sent de la part de l'auteure un véritable amour pour cette région. Elle m'a donné envie de la découvrir.
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Eva dort…Elle a dormi, mais pas moi - j'ai même beaucoup appris.

D'abord , l'histoire ethno-linguistique du Haut –Adige, depuis la première guerre où il quitta le giron de l'Autriche, son Heimat, en passant par l'italianisation forcée, à grands coups de saton fasciste, sous Mussolini, puis par son intégration insidieuse et aliénante dans la nouvelle république italienne… qui remit le feu aux poudres, jusqu'au « Kompromis » intelligemment mis en place par Silvio Magnago, leader politique du Sud-Tyrol, et Aldo Moro qui surent reconnaître la spécificité linguistique et culturelle du Haut-Adige tout en lui faisant partager l' italianité qui le liait aux autres régions de la Botte…

J'ai aussi fait une bonne révision géographique car cette fresque historique se déploie dans le temps en même temps que l'héroïne, Eva, se déplace dans l'espace, en train, du Nord au Sud de l'Italie et accomplit tout un périple destiné à retrouver in extremis celui qui fut son père de coeur : les chapitres sont autant d'étapes kilométriques et le paysage italien défile par les fenêtres (sauf quand un tunnel empêche le déploiement du regard et du prospectus touristique)…

J'ai aussi appris une foultitude de mots allemands, un peu de ladino, quelques expressions tirées des dialectes calabrais ou sicilien.

Et je crois que je saurais préparer sans problème, des Wiener schnitzel ou la petite salade au pourpier et au foie de volaille inventée par Gerda…

Mais les personnages, fades et peu consistants, et la trame romanesque trop vaste et sporadique, noyée par l'approche historique, ont souffert de cette volonté didactique et exhaustive - Francesca Melandri est documentaliste.

J'ajoute que « Eva dort » est un premier roman. Il en a les défauts et qualités : rien n'est laissé au hasard, le récit est extrêmement construit, très bien documenté, il est écrit dans une langue fluide, classique, sobre- mais sans grand caractère. Un peu comme les personnages : on ne fait pas deux héroïnes, de la mère et de la fille, en se contentant de les déclarer belles, désirables et libres…C'est un peu court…Les personnages masculins sont encore plus esquissés et réduits à un trait : le cousin Ulli est l'homosexuel malheureux et humilié, Hermann, le grand' père tyrannique et fasciste, Vito, le carabinier protecteur et altruiste…

J'aurais préféré que Francesca Melandri ne creuse qu'un sillon : la vie de Gerda dans son grand hôtel méritait à elle seule tout un livre, tandis que se développent les premières stations de ski et que s'émancipe, lentement, douloureusement l'autonomie de la femme, entre grossesse non désirée, abandon d'enfant ou opprobre public, travail chichement rémunéré et compétences difficilement reconnues, salaires rognés et congés volés – le syndicalisme est encore un très vilain mot !
Ou alors il fallait raconter le seul parcours tragique et violent de Hermann, l'homme au regard farouche auquel les mots font défaut. Mais Eva qui est le « fil rouge » de cette grande saga est malheureusement la plus inintéressante de tous…

J'ai été plus passionnée par l'Histoire que touchée par l'histoire…et je me suis même un peu ennuyée quand les péripéties romanesques tentaient de reprendre pied sur la toile de fond historique si prégnante- et intéressante !

A mon grand regret, je ne mets donc que trois étoiles à ce livre ambitieux, bien documenté et assez bien écrit, mais qui ne m'a ni attachée, ni bouleversée.

Qui trop embrasse…
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Un joyau dans la cuvée littéraire de l'année 2012 !
Eva dormait lorsqu'un petit paquet est arrivé pour elle et que sa maman l'a renvoyé à l'expéditeur : 1397km aller et pareil au retour, de la Calabre jusqu'au Sud-Tyrol ou Haut-Adige, c'est selon... 30 ans plus tard, Eva entreprend de faire ce voyage, les yeux grand ouverts sur son pays, pour retrouver l'expéditeur ; au fil des kilomètres qui la séparent de la Calabre, on découvre l'histoire du Haut-Adige, une région insolite et meurtrie de la frontière austro-italienne, détachée de l'Autriche pour être attribuée à l'Italie en dépit de ses habitants très majoritairement germanophones, italianisée par la force dans la violence et le déni des cultures, terreau de terrorisme... Histoire identitaire donc, histoire de l'Italie, oui mais c'est aussi un exceptionnel portrait de femme : celui de Gerda, bouleversante beauté nordique, mère célibataire dans une région pauvre et reculée dans l'Italie d'après-guerre, luttant pour conserver son emploi de cuisinière dans un grand hôtel, avec sa fille, Eva. Mais qu'on ne s'y trompe pas, aucune mièvrerie dans cette histoire là, il ne s'agit pas d'un roman à l'eau de rose et loin s'en faut. Avec une construction impeccable, un texte très maîtrisé restituant à merveille les particularismes régionaux, une écriture lumineuse et pleine d'humour, Francesca Melandri réussit là un magnifique premier roman empreint d'une émotion palpable, un roman qui envoûte de la première à la dernière ligne, Sans aucun doute, un des meilleurs romans de l'année, UNE VRAIE RÉUSSITE A NE PAS MANQUER !
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Excellent roman, qui, sur le thème de l'autonomie de la région du Haut Adige, aussi appelé Tyrol du Sud, entrelace un récit consacré à la figure de la mère de la narratrice, Gerda, et à son difficile parcours de mère célibataire ayant réussi à la force des poignets, avec des chapitres d'aujourd'hui où l'héroïne, Eva, traverse l'Italie en train pour retrouver son presque père, le calabrais Vito, le compagnon que Gerda n'a pas pu épouser et dont les jours sont désormais comptés par la maladie.
Travail de mémoire, ce livre est presque autant consacré à la solitude de Gerda, abandonnée par son père, un homme dur et insensible, qui la confie très jeune comme aide à la cuisine d'une grand hôtel, où elle se fera faire un enfant par un fils à papa irresponsable, qu'à la question de cette région germanophone qu'est le Haut Adige. Terre rattachée à l'Italie par une des nombreuses aberrations du Traité de Versailles, ce Tyrol du Sud totalement autrichien de coutumes et de langue, fut italianisé de force par le fascisme, sans grand résultat, si ce n'est l'appauvrissement et la perte de repère des paysans incapables de la moindre démarche officielle en italien. L'histoire de cette région fut particulièrement douloureuse pendant la seconde guerre mondiale, ceux qui refusaient les sirènes du nazisme étant rejetés de toutes parts. Même dans les années 60 de nombreux attentats séparatistes agitent la région... La famille de Gerda n'est pas à l'écart de ces déchirements car son père a choisi — mal lui en a pris — le Reich nazi, tandis que son frère est un terroriste indépendantiste qui le paiera de sa vie, mais surtout la division est dans les âmes, dans ce monde de tradition où tout se pense en allemand et où chacun peine à se sentir italien.
Le rapport entre Gerda, cette femme indépendante, belle et volontaire qui, sans instruction ni formation, se retrouve à la tête des cuisines du grand hôtel de Bolzano, et sa fillette Eva née hors mariage, est émouvant car elle doit laisser l'enfant à des voisins accueillants qui lui feront place au sein de leur grande famille... La petite Eva, toujours anxieuse de retrouver sa mère à la basse saison hôtelière, mène cependant une vie normale aux côtés de son cousin préféré Ulli et de sa famille adoptive. Pour elle s'ouvre une période de grand bonheur quand Gerda se lie avec le brigadier calabrais Vito, paternel et humain, qui ne peut cependant épouser celle qu'il aime, en partie en raison de l'éloignement et de la différence de leurs régions d'origine.
Cette Italie si longue à traverser et si diverse dans ses régions, ses coutumes ou ses dialectes, son nord prospère et son mezzogiorno si différent, est aussi la réalité à laquelle se réfère Eva dans son long voyage en train qui parcourt la botte italienne et lui permet de visualiser les facettes variées de son pays - qui n'est pas seulement son Heimat tyrolien natal.
Une très belle écriture, excellemment traduite par Danièle Valin, donne chair et épaisseur à ce voyage dans le temps et dans l'espace, de même que la composition habile qui laisse le lecteur haletant, allant de l'angoisse à la tendresse, de l'émotion à la réflexion. On pourrait peut-être noter quelques longueurs sur la question politique de l'autonomie du Haut Adige, mais elles sont rachetées par un final où les retrouvailles d'Eva et de Vito mourant sont évoquées avec pudeur et sensibilité. D'autres thèmes s'entrecroisent comme celui de la paternité, au coeur du livre, et celui de l'homosexualité, niée ou rejetée par cette société alpine traditionnelle. Cela ne fait qu'ajouter à la richesse de l'oeuvre, une véritable réussite.
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critiques presse (1)
Lhumanite
13 août 2012
Ce roman, de belle venue, ne lasse à aucun moment l’attention, grâce à la qualité de l’information historique et sa traduction aboutie dans le langage concret d’une fiction prégnante.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Citations et extraits (100) Voir plus Ajouter une citation
1961 - 1963

La cause de l'arrivée de tous ces soldats ne fut par Gerda malheureusement mais bien les pylônes à haute tension. Quarante-trois qui avaient tous explosé en une seule nuit : Feuernacht, la nuit des Feux. Une action spectaculaire organisée de façon précise, méticuleuse, patiente. Cette fois-ci on ne peut faire autrement que d'ajouter : allemande.
Les attentats furent revendiqués par le groupe clandestin BAS : Befreiungsausschuss Südtirol (Comité de libération du Tyrol du Sud). Leur objectif, déclaré dans leur tract, n'était pas l'autonomie administrative que poursuivait le SVP de Silvius Magnago, le maigre et charismatique orateur de Castel Firmanio, qu'ils considéraient comme un compromis de politicards. Ils soutenaient que seul le Volk, le peuple, avait le droit de décider d'être soit avec l'Etat italien qui occupait le Tyrol du Sud comme une colonie depuis quarante ans, soit avec l'Autriche dont ils avaient été séparés de force par une injustice de l'Histoire (1919). Ils voulaient un référendum d'auto-détermination, persuadés que le résultat plébisciterait le retour à la mère patrie. Quinze ans après la fin du fascisme, l'Italie démocrate-chrétienne tergiverserait, ignorait le problème, semblant espérer qu'il se résoudrait tout seul comme par magie. Les terroristes décidèrent de frapper.

page 71
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Ensuite, arriva la neige. Elle tomba abondamment sur la petite ville, puis il en tomba encore, sans arrêt, il continua à neiger, dans l'air flottaient des dentelles hexagonales, grandes comme des papillons. On n'était qu'au début du mois de décembre, l'avent commençait, les enfants finissaient par croire que ça ne cesserait jamais, qu'il neigerait toujours, jusqu'à la fin des temps et que le monde deviendrait une gigantesque boule de neige, mais alors qui la lancerait ?
Un silence ouaté avait rempli l'espace entre les sons : le timbre de voix lacérant des femmes mécontentes s'était adouci, le pleur des nouveau-nés semblait un appel presque mélodieux, les insultes entre ivrognes lancées à la sortie des Kneipen (bistrots) avaient pris une touche d'élégance. Même le bruit de ferraille des jeeps militaires sur la route principale, avec leurs lourdes chaînes autour des roues, était devenu vague, doux, presque suggéré. La nuit du 2 décembre, pourtant, fut déchirée par un son précis, très pur : le grondement d'une explosion.
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1965 - 1967

Gerda s'assit devant le même officier qui l'avait convoquée autrefois pour avoir des informations sur Peter. Cette fois-ci, ce fut lui qui lui en donna : son frère avait sauté en préparant un attentat. Son ton n'était plus indigné, mais durci par l'embarras. Comment fait-on des condoléances à la sœur d'un homme dont la mort a évité celle qu'il était en train de préparer pour cinq frères d'armes ? Gerda eut l'impression de sentir dans sa poitrine l'explosion qui avait déchiqueté son frère. Son cœur s'arrêta, ainsi que sa respiration, la pousse de ses ongles et de ses cheveux.

page 235
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« Les bombes font fuir les touristes ». C’étaient surtout les membres de la nouvelle Coopérative et son président Paul Staggl, qui le disaient.
Le plus pauvre des camarades de classe d’Hermann, celui qui le rejoignait lui et Sepp Schwingshackl sur le chemin de l’école, était devenu un homme aux cheveux roux, aux paupières claires de reptile et à la voix rude, aux jambes solidement plantées au sol de celui qui ne doit son succès qu’à ses propres capacités. Le terrain escarpé et à l’ombre qui, pendant des générations, avait réduit sa famille à la misère, avait fait sa fortune. A la fin des années vingt, tandis qu’Hermann apprenait à conduire un camion en récompense de son adhésion au fascisme, le jeune Staggl avait installé sur son terrain une poulie rudimentaire. Les skieurs aventureux qui montaient vers les alpages dominant la petite ville, armés de skis très longs et de peaux de phoque, s’y accrochaient pour se faire transporter plus haut, économisant ainsi du temps et de la fatigue. Au début, la poulie était actionnée par le gros cheval de trait de son père, mais Paul gagna bientôt assez d’argent avec les remontées payées par les skieurs pour pouvoir s’offrir un générateur.
Quand son père mourut, durant ces troubles années trente où Hermann était d’abord devenu fasciste, puis nazi, Paul avait persuadé sa mère et ses deux sœurs encore non mariées de louer les chambres de leur maso aux skieurs qui utilisaient son modeste téléski.
Les sportifs allemands ne pouvaient pas rêver mieux que de se réveiller de bon matin au pied d’une piste, et en plus du bon côté des Alpes, celui exposé au sud. Bien vite, les affaires marchèrent si bien que Paul put investir dans l’agrandissement de la maison près du fenil.
La nouveauté la plus sensationnelle fut la création d’un vrai W.C, pas dans la cour mais, luxe inouï, à l’intérieur de l’habitation : il ne serait plus nécessaire de sortir à la belle étoile pour faire ses besoins pendant les nuits d’hiver. Paul invita tout le voisinage pour fêter son inauguration. Il se comporta de façon très généreuse : il montra non seulement aux voisins son Wasserklossett immaculé, mais il insista pour que les gens l’essaient. Et afin que tous, adultes et enfants, profitent bien de cette occasion exceptionnelle, il fit préparer par sa mère et ses sœurs de grandes quantités de Zwetschgenknödel – les canederli aux prunes, on sait qu’il n’y a rien de mieux pour stimuler la digestion.

Le Wasserklossett fut testé par les voisins plusieurs fois, sans que la canalisation se bouche. Ce fut une fête mémorable, dont on parla encore bien des années plus tard.
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- (...) L'archange révèle l'histoire future de l'homme à Adam. Et il donne un somnifère ç Eve: elle ne doit pas entendre, c'est une femme. Ainsi tandis qu'Adam apprend les secrets du temps à venir, Eve dort.
(...)
- "Savoir l'avenir ne m'intéresse pas, dis-je. C'est un désir d'hommes.
-Et pourtant , on voit bien que tu ne veux pas rater leurs secrets. C'est pour ça que tu te refuses à dormir."
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Vidéo de Francesca Melandri
Qu'est-ce qui se joue lorsque l'on décide d'écrire sur sa famille ? Et comment rejoint-on ce terrain d'écriture en particulier ?
Voici quelques-unes des questions que nous explorons avec Anne Berest dans ce nouvel épisode de notre podcast. Son roman, "La Carte postale" , une enquête palpitante et glaçante sur sa propre histoire familiale, a été sélectionné pour le prix Goncourt des lycéens. Alice Bourhis, lycéenne à Brest, nous en dira quelques mots.
Et pour terminer, nous découvrirons les coups de coeur de notre libraire Romain : cinq histoires familiales que nous ne pouvons que vous recommander.
Pour retrouver les livres d'Anne Berest, c'est ici : https://www.librairiedialogues.fr/personne/personne/anne-berest/1960930/
Et pour nous suivre, c'est là : INSTA : https://www.instagram.com/librairie.dialogues/ FACEBOOK : https://www.facebook.com/librairie.dialogues TWITTER : https://twitter.com/Dialogues
Bibliographie :
- La Carte postale, d'Anne Berest ( éd. Grasset) https://www.librairiedialogues.fr/livre/19134288-la-carte-postale-anne-berest-grasset
- Gabriële, d'Anne et Claire Berest (éd. le Livre de poche) https://www.librairiedialogues.fr/livre/14416364-gabriele-anne-berest-claire-berest-le-livre-de-poche
- Soleil amer, de Lilia Hassaine (éd. Gallimard) https://www.librairiedialogues.fr/livre/18955847-soleil-amer-lilia-hassaine-gallimard
- Les Impatientes, de Djaili Amadou Amal (éd. J'ai lu) https://www.librairiedialogues.fr/livre/19924245-les-impatientes-djaili-amadou-amal-j-ai-lu
- Tous, sauf moi, de Francesca Melandri (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/17044694-tous-sauf-moi-francesca-melandri-folio
- Les Survivants, d'Alex Schulman (éd. Albin Michel) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20116962-les-survivants-roman-alex-schulman-albin-michel
- Nature humaine, de Serge Joncour (éd. J'ai lu) https://www.librairiedialogues.fr/livre/19924222-nature-humaine-serge-joncour-j-ai-lu
- Lettre au père, de Franz Kafka (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/712442-lettre-au-pere-franz-kafka-folio
- Miniaturiste, de Jessie Burton (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/10951710-miniaturiste-jessie-burton-gallimard
Et voici les romans dans lesquels vous pourrez retrouver les familles citées dans l'introduction de l'épisode :
- Les Rougon-Macquart : Les Rougon-Marcquart, d'Émile Zola (éd. Pléiade Gallimard) https://www.librairiedialogues.fr/livre/247912-les-rougon-macquart-1-le-ventre-de-paris-his--emile-zola-gallimard
- Les Rostov : La Guerre et la Paix , de Léon Tolstoi (éd. Pléiade Gallimard) https://www.librairiedialogues.fr/livre/205936-la-guerre-et-la-paix-leon-tolstoi-gallimard
- Les McCullough : le Fils , de Philipp Meyer (éd. le Livre de poche) https://www.librairiedialogues.fr/livre
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