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EAN : 9781095718247
Agullo (31/08/2017)
3.69/5   129 notes
Résumé :
A Mégapolis, les habitants, tous aveugles, circulent grâce à des capteurs électro-acoustiques. Gabr recouvre la vue et découvre une telle misère qu'il pense être sujet à des hallucinations. Le ministère du Contrôle où il se rend diagnostique chez lui une psychose des espaces lointains. A la suite de sa rencontre avec Oksas, chef révolutionnaire, il a des doutes sur la sincérité du ministère.
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Critiques, Analyses et Avis (36) Voir plus Ajouter une critique
3,69

sur 129 notes
Une mégapole aux habitants tous aveugles de naissance s'est adaptée au fur et à mesure des générations, à ne pas considérer ceci comme un handicap, ou une malédiction mais comme la norme. Ainsi ils apprennent à l'école à évoluer dans leur « espace proche », une bulle devenue avec les siècles leur périmètre de sécurité, un cercle familier d'environ 2 mètres autour de leur corps. Ils se dirigent grâce à des capteurs acoustiques perfectionnés, ils ne connaissent d'autrui que la voix, tout vocabulaire attrait à la vue a disparu, le sens en a été perdu. Cela est exceptionnel, mais certains peuvent souffrir d'une maladie mentale qui les confronte à de graves hallucinations, une psychose de l' « espace lointain », leurs organes visuels semblant détecter tout à coup une mégapole sinistre et sombre, empilage de strates de métal, de bunkers d'habitations, de tubes pour le train pneumatique. Ils sont traités à fortes doses de médicaments, on leur propose des scellées oculaires pendant 6 mois, un long traitement duquel ils sortent heureusement « guéris ». Mais Gabr Silk décide de ne pas suivre le traitement, loin d'imaginer à quelle vérité il sera confronté, et quelles responsabilités pèseront sur ses épaules ordinaires, au contraire de ses yeux.
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La cécité visuelle est ici une allégorie de la perception du monde à laquelle nous avons accès, avec nos sens notamment. Une portée philosophique qui pousse à la réflexion. Un peu comme elle était une allégorie d'un régime politique autoritaire dans « L'aveuglement » de José Saramago, sans l'exceptionnelle plume de ce dernier cependant, mais j'ai tout de même imaginé cette mégapole comme la descendante des protagonistes du livre de Saramago, qui n'auraient plus jamais recouvré la vue, et auraient engendré une descendance d'aveugles.
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J'ai aussi pensé à une autre perle des lectures de l'imaginaire, « Nous » de Evgueni Zamiatine où les certitudes du personnage sur le bien fondé du monde qui l'entoure sont bouleversées par une rencontre. Ici c'est de recouvrer la vue qui bouleverse un système établi pour un monde aveugle. Un monde aveugle moins immersif que le monde mathématisé imaginé par Zamiatine, mais avec quelques scènes marquantes tout de même, comme celle où Gabr voit sa mère pour la première fois, on tâche de ressentir tout ce que les normes d'un monde aveugle peuvent engendrer de différent par rapport à notre façon de percevoir le monde tel qu'on le connaît.
Des scènes tout de même un peu trop rares qui font qu'il m'a été difficile de m'identifier au personnage, et d'avoir de l'empathie. La narration se tourne davantage vers la difficulté de ce personnage à trouver sa place par rapport à tout ce qu'il découvre, que d'évoquer ce monde de la mégapole. C'est un fait posé, les gens sont aveugles, mais je reste frustrée de ne pas en savoir plus sur le pourquoi, le comment ils se sont adaptés et l'évocation de la vie du personnage dans ce monde. Tous ces éléments restent trop en surface pour être touchée.
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D'autre part, l'action est coupée par de longs extraits d'un livre que j'ai trouvé indigeste « Le diapason des sentiments inexplorés », et par un recueil de poésie « proche lointain » que je n'ai pas réussi à rattacher à l'ensemble du récit.
Ce livre remplit son rôle de dystopie, c'est à dire nous donner à réfléchir sur le système dans lequel nous évoluons, de tâcher de garder les yeux ouverts, même sur ce qui nous paraît improbable voire impossible « Si nous nous considérons comme des êtres libres, nous ne pouvons pas rejeter l'idée que l'impossible existe » p130. Mais je ne m'y suis pas immergée totalement, il a eu moins d'impact sur moi que d'autres, même si la proposition est singulière, le traitement m'a souvent laissée de côté.
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Une dystopie sur la vérité. Une réécriture de la célèbre allégorie de la caverne de Platon.
Plus de deux milles ans après, un questionnement toujours d'actualité.

Prêt à retirer ses oeillères ?

On entre de plein coeur dans le quotidien de Grab, jeune aveugle ayant des hallucinations remettant en question toute sa vision du monde inculquée depuis sa tendre enfance. Dès lors, son destin semble lui échapper, il n'aura de cesse de tenter de trouver sa propre voie. La première fois qu'il voie réellement la mer est sublime, décrivant avec ses mots obsolètes un univers dont le vocabulaire ne lui permet pas de comprendre ce qu'il a devant lui : la mer et ses vagues, l'horizon, les nuages et les mouettes. Bref, ce fameux espace lointain.

L'auteur, pour créer son univers, aurait pu opérer un simple changement d'état des personnages, passant de voyant à non-voyant, mais il a préféré à mon plus grand bonheur modifier en profondeur notre société pour la faire correspondre à l'état de cécité de ses personnages. de l'architecture à la vie politique en passant par la technologie, l'éducation et le vocabulaire ou la psychiatrie, tout est au service d'un monde aveugle. Pour nous immerger, le récit de Gabr Silk est entrecoupé d'extraits de journaux, manuels, de journaux intimes, de poésie, d'émissions de radio ou de télévision et de rapports d'Etat. Loin de provoquer une rupture dans l'histoire, ces intermèdes se produisent au moment opportun, nous permettant de mieux comprendre cette société totalitaire.

L'auteur se refuse à nous donner des repères géographiques ou historiques pour cadrer sa dystopie, cela ne m'a pas dérangé, le texte étant surtout une fable philosophique.
Petit bémol cependant sur la psychologie du personnage principal à quelques moments, ce dernier changent d'opinion un peu trop rapidement du fait d'ellipse sans que le lecteur comprenne réellement les raisons de ces revirements.

Refusant tout manichéisme, Jaroslav Melnik renvoie dos à dos pouvoir politique totalitaire et opposants, à chacun de trouver son chemin. La fin ouverte ne pouvant être qu'une conséquence de cette liberté. Devant certains choix moraux à effectuer devant la vérité, le libre arbitre n'est pas la panacée.

Une forme et un fond au service du thriller et des idées, une belle découverte pouvant plaire aux fans de dystopies et à ceux qui désireraient une réflexion profonde sur la vérité, le contrôle social, le pouvoir et le libre arbitre.

Lu dans le cadre d'une opération Masse critique Babelio
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« J'aime ces nouvelles sensations, je me sens différent. C'est comme si je m'étais réveillé. Je n'ai pas envie de sombrer à nouveau dans le sommeil. Cependant, je ne sais pas comment vivre avec mon nouvel état. J'ai chaque jour plus envie de me servir de mes yeux : c'est tellement plus pratique, plus simple, incomparable avec l'espace proche ! Mais alors, qui suis-je au sein de cette mégapole ? Au sein de l'Union gouvernementale ? Quelle est ma place ? Je ne la trouve pas. »
Psychose de l'espace lointain ? C'est en tout cas ce qu'affirment les médecins du ministère du Contrôle de l'Union gouvernementale qui examinent Gabr Silk, jeune étudiant brillant qui, dans un monde où la population est aveugle, vient inexplicablement de ressentir de nouvelles et étranges sensations grâce à ses yeux. Car la population de la Mégapole vit dans un « espace proche ». Privée depuis des temps immémoriaux de la vue, on lui a appris que rien ne pouvait exister au-delà de l'endroit où elle vit. Or, en recouvrant la vue, Gabr doit se rendre à l'évidence : s'il n'est pas sujet à des hallucinations, alors il existe un espace lointain et donc la possibilité d'un ailleurs. Un ailleurs d'autant plus attirant lorsqu'il s'aperçoit que la Mégapole n'est qu'un immense empilement de niveaux recouverts de câbles et de tuyaux dans lequel une population de loqueteux vit dans des bunkers crasseux.
Dès lors, Gabr est placé face à un profond dilemme que viennent encore aggraver ses rencontres avec un groupe de terroristes composés d'anciens voyants que l'Union gouvernementale s'est employée à rendre de nouveau aveugles, puis avec les voyants qui dirigent ce monde. Doit-il dire à ses anciens congénères que leur bonheur est factice, entretenu par leur aveuglement, et donc le briser ? Doit-il détruire ce monde dans lequel les aveugles ne sont, sans le savoir, que des pions au service d'une minorité ? Ou bien, doit-il accepter les choses telles qu'elles sont, abandonner ses proches et rejoindre les voyants ?
Dystopie vertigineuse et extrêmement bien menée à travers un exercice réussi d'écriture qui mêle récit à la troisième personne, coupures de presses, extraits d'émissions radio ou télédiffusés, fragments de textes interdits par les autorités, articles encyclopédiques et journaux intimes, Espace lointain est une métaphore subtile du monde sécurisé – sécuritaire – dans lequel nous vivons aujourd'hui. Jaroslav Melnik, lui-même fils de déportés au goulag, sait à quel point le glissement du sécuritaire au totalitaire peut-être un mouvement lent, indolore, mais inéluctable. Il parle ici de l'acceptation qui relève moins de l'approbation que du simple désir d'éviter tout inconfort et qui finit par ressembler à un renoncement et, bien entendu, des choix cornéliens face auxquels se trouve le lanceur d'alerte. Enfin – surtout – Melnik n'offre pas de solution définitive et force ainsi le lecteur à se poser lui aussi ces questions inconfortables (ou à les remiser dans un coin perdu de son esprit pour éviter de les regarder en face). Autant dire qu'en ces temps troublés, Espace lointain se révèle être, plus qu'un beau et très réussi roman, un livre salutaire.

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Je vous l'annonce tout de suite, je ne connaissais pas du tout ce roman, jamais entendu parlé avant sa sortie poche (il était sorti en grand format chez "Aguillo" mais je ne sais pas pourquoi je ne l'avais pas repéré), et au final c'est une excellente dystopie à la croisée de "1984" de George Orwell et de "L'aveuglement" de José Saramago, ce qui n'est pas rien, deux oeuvres phares du genre.

Tout au long de ma lecture j'ai pu m'identifier au personnage principal en me posant constamment la question "mais qu'est-ce que je ferai ? ça doit être terrible comme situation", ne jamais avoir eu la vue comme sens (à l'instar du reste de la population), ne même pas savoir que cela existe ou a existé, et d'un seul coup y voir !! Être pris pour un malade en pleine crise de démence !

De plus visuellement, même si ce n'est pas "beau", au contraire, on est plongé dans ces lieux par l'auteur de manière à ce que chaque détail nous saute aux yeux (sans mauvais jeu de mots avec le sujet du livre) dans une mégapole ultra high-tech (un peu comme dans Futu.Re de Dmitry Glukhovsky), justement car le roman est écrit comme quelqu'un qui découvre la vue, immersion totale garantie. Empathie accentuée au vu des événements que subit la population.

Complexe philosophiquement parlant, très facile d'accès à la compréhension tout de même, ce roman ne fait pas dans la demi-mesure, on accroche au sujet ou pas, mais l'indifférence est impossible. Les lectrices et lecteurs en recherche d'une dystopie axée "adultes" avec des questionnements d'éthique, de philosophie et de politique seront servis. À lire.

Sur le blog :
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Les millions d'habitants de la mégapole sont tous aveugles. Ils ne savent pas ce qu'est la vue, et pensent que l'espace lointain, c'est à dire l'espace qui est hors de leurs faibles perceptions, n'existe pas. Au cours de leur vie ils ne sortent guère de leur appartement, de leur travail et de leur rue. Et voilà qu'un beau jour, Gabr se retrouve voyant. C'est la panique : qu'est-ce donc que cette étrange hallucination ? Il se tourne vers les autorités qui ne manquent pas de tenter de le soigner. Mais il tombe sur une bande de rebelles, des ex-voyants qui se sont fait voler leur don par la « médecine » et qui, plein d'amertume, veulent plonger la mégapole dans le chaos.

Espace lointain fonctionne plutôt bien. L'écriture est terriblement fluide, tellement que j'ai lu le livre en une journée. Mais par contre, il y a clairement un côté un peu simpliste. Ainsi la structure dystopique est extrêmement classique : le héros commence en étant parfaitement intégré à la société oppressive dont il fait partie, mais le voilà qui dévie. Il trouve des rebelles, puis se frotte aux véritables leaders de la cité qui tentent de le convertir à leur cause. Et pour conclure, il n'y a pas grand chose face à l'inertie des choses. Chaque étape est symbolisée par une femme : une pour la masse de la population, horriblement cruche, une pour la classe dominante, légèrement moins cruche, et une dernière pour les rebelles et l'éventuelle escapade finale : Gabr et sa troisième copine se barrent dans la nature. Cette fin optimiste est bizarre, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il vont crever de faim une semaine plus tard.

Notons aussi l'étrange conception que l'auteur se fait de la vie en aveugle. Il a l'air de penser par exemple que le fait d'être aveugle libère de tout souci de propreté, ainsi avoir des morceaux de nourriture séchée dans les cheveux est parfaitement normal. Il pense aussi que les aveugles ne peuvent pas concevoir de désir sexuel abstrait : « le corps de notre partenaire ne nous attire que lorsque nous pouvons le toucher. » (p.188) Certes, le désir visuel n'existe pas, mais le désir tactile ne peut-il pas exister dans l'esprit, en dehors du contact effectif ? N'est-il pas possible pour l'esprit de concevoir une sorte de modèle 3D D autrui ? J'ai l'impression qu'il pense que les aveugles ne sont pas capables de connaître la beauté : « Pour les aveugles, tout cela n'existe pas : il n'y a pas de notion d'acier brut, pas de crasse, comme il n'y a pas de laideur des objets ou des corps déformés. » (p.260) Quoi ? Les aveugles ne pourraient pas connaître la beauté ou la laideur d'un objet par le toucher, ou la beauté d'un corps ? J'en doute. Chaque sens est une source de beauté.

Autre problème : créer une société massive et immuable qui reste stable sur le très long terme. L'auteur mentionne, si je me souviens bien, des milliers de générations. Si l'on dit qu'une génération, c'est vingt ans, que qu'il n'y a que deux milliers de générations, on arrive déjà au chiffre de 20000 ans. C'est absolument énorme. A titre de comparaison, l'agriculture date d'il y a 10000 ans environ. Que la mégapole survive pendant aussi longtemps, en étant à peine entretenue par des aveugles qui n'ont aucune idée de leur environnement réel, voilà qui est déjà improbable. Mais que la caste de dirigeants, qui sont tous des voyants, soit restée stagnante pendant aussi longtemps, c'est juste impossible. Pendant tout ce temps, ils ont vécu dans un bled de « quelques dizaines de rues ». Quoi ? Et la croissance démographique ? En profitant des ressources technologiques qu'offre la mégapole, ils auraient eu le temps de repeupler la Terre plusieurs fois. Et personne n'a envie d'avoir plus de deux enfants ? Pourquoi personne n'a envie de voir ce qu'il y a de l'autre côté des montagnes ? Ils ne sont même pas au courant du camp rebelle qui existe depuis des décennies à une courte distance de marche. Après tout ce temps, et malgré l'absence de tout problème matériel, ils sont si peu nombreux qu'ils sont en manque de ministres pour diriger la mégapole. Alors qu'ils ont, pour un village de « quelques dizaines de rues », plusieurs journaux et plusieurs chaînes de télé.

Bon, ça fait beaucoup de points qui passent difficilement. Il n'empêche que l'ensemble forme un récit entraînant qui explore la capacité qu'ont les sociétés humaines à vivre dans le mensonge. Accepter un fait comme une réalité et construire l'univers autour de ce fait, jusqu'à ce que la question de sa réalité ne se pose même plus : il devient impossible de changer simplement à cause de l'inertie accumulée. Et, comme dans toute dystopie, la changement individuel est victime d'une répression autoritaire mortelle. Ici, même la classe dirigeante est piégée : au fond, elle ne contrôle pas la société qu'elle gère vaguement, au contraire, c'est cette société qui la contrôle. Mais ce détail me semble discutable : je doute que puisse exister une classe dirigeante aussi incapable de saisir les privilèges qui s'offrent à elle.

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critiques presse (1)
LeMonde
01 septembre 2017
On vit sans voir à Mégapolis. Un jour pourtant Gabr recouvre la vue. Pour son malheur ? Jaroslav Melnik signe un prenant roman initiatique.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
Nous avons plaisir à être protégés : tous sans exception nous aimons cette puissance, comme une femme la virilité de son amant. Et si quelqu'un risquait un mot hardi : «Réveillez-vous ! Vous vous complaisez dans votre servitude ! Vous êtes incapables de faire un pas sans être commandés ! N'avez-vous donc aucune estime pour vous-mêmes ? » Oh! On taillerait l'impertinent en pièces pour le punir de son insolence. Car nous avons suffisamment d'amour propre pour ne pas souffrir un tel manque de respect à notre égard. Et alors, nous prendrons le parti de nos créateurs tout-puissants, car, selon eux, nous sommes dignes de considération et nous incarnons la plus haute des vertus : nous sommes des citoyens honnêtes. Nous ne nous laisserons pas humilier de la sorte. Et nous n'avons aucune raison de nous remettre en question. C'est plutôt toi, insolent, que nous allons réduire en miettes !
Seulement, voilà : peu importe l'opinion de la majorité, la vérité et l'esprit sont indestructibles. Ce n'est pas parce que nous ne trouvons pas d'alternative à notre vie actuelle que cette alternative n'existe pas.
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J’aime ces nouvelles sensations, je me sens différent. C’est comme si je m’étais réveillé. Je n’ai pas envie de sombrer à nouveau dans le sommeil. Cependant, je ne sais pas comment vivre avec mon nouvel état. J’ai chaque jour plus envie de me servir de mes yeux : c’est tellement plus pratique, plus simple, incomparable avec l’espace proche ! Mais alors, qui suis-je au sein de cette mégapole ? Au sein de l’Union gouvernementale ? Quelle est ma place ? Je ne la trouve pas.
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Gabr longeait le boulevard Central, concentré sur le froissement des pieds et les voix des passants. Soudain, se surprenant lui-même, il arracha les emplâtres de ses paupières. Une foule de fantômes fourmillait autour de lui : emmitouflés dans des hardes indescriptibles, recroquevillés sur eux-mêmes, ils avançaient lentement, comme ivres, titubant d’un côté ou de l’autre. Gabr était pétrifié, abasourdi : à un mètre de lui, les fantômes changeaient de trajectoire et poursuivaient leur itinéraire occulte. Leurs visages tournés vers le sol dévoilaient une préoccupation profonde. Ces chimères émergeaient à un bout de boulevard et se perdaient à l’autre. L’extrémité du boulevard paraissait si lointaine que Gabr se sentit soudain terriblement seul. Il avala précipitamment un comprimé de bicefrasole et attendit, immobile : petit à petit, son esprit s’enlisa dans une quiétude obscure, le monde rétrécit jusqu’aux dimensions de l’espace proche. Finalement, il retrouva son état normal et avança, les yeux couverts de brouillard, concentré sur les mouvements des autres passants.
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– Votre frayeur, liée à la perception de l’espace, est tout à fait compréhensible, continua la voix. Les hallucinations spatiales sont connues depuis la nuit des temps. On a même répertorié des cas de psychose massive.
– Cependant, l’espace existe, dit Gabr.
– Absolument, répondit la voix. Mais il s’agit de l’espace proche, vous le savez aussi bien que moi. En ce moment, vous et moi, nous nous trouvons dans l’espace proche. Ou que vous soyez, vous serez toujours dans la zone de cet espace proche. Les sentiments de sécurité, de bien-être sont liés à cette perception de l’espace. Vos organes sensoriels sont endommagés et provoquent des hallucinations que la terminologie médicale nomme le syndrome de l’ « espace lointain ». C’est un dérèglement très sérieux dans votre perception du monde environnant. Il arrive parfois que même les organes rudimentaires, tels que l’appendice, suppurent et nuisent à la santé du corps et de l’esprit. Les yeux ne font pas exception…
– Les yeux ne sont pas un organe rudimentaire, murmura Gabr.
– Vous avez raison, acquiesça la voix, ils ont toujours été utiles en tant que glandes lacrymales. Mais, comme vous le savez, parfois, les organes développent des facultés parallèles à leur fonction première. Même un organe digestif tel que l’estomac est capable de produire des sons, les ventriloques maîtrisent très bien cette capacité. La différence, c’est que la ventriloquie ne nuit pas à la santé mentale de l’être humain, tandis que dans votre cas votre esprit subit des préjudices considérables, ce qui vous a incité à venir nous consulter de votre plein gré, n’est-ce pas ?
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Si nous nous considérons comme des êtres libres, nous ne pouvons pas rejeter l'idée que l'impossible existe.
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