A côté de l’appartement n°3 il y avait marqué : Dora M. Le deuxième étage était à louer. Rubào a sonné à l’interphone ou était écrit : « Dora ». Une femme lui a répondu, à qui il s’est présenté en disant qu’il était le locataire du deuxième étage, qu’il y avait une fuite d’eau dans la salle de bains : « Est-ce que ça ne vous gênerait pas que je monte voir ? Il est possible que la fuite vienne de votre appartement. » La femme a acquiescé, sans hésitation. Rubào est monté et une blonde lui a ouvert la porte. Elle lui a dit qu’elle était en visite chez Dora, qu’elle n’était pas au courant de cette histoire de fuite d’eau, mais que Rubào pouvait aller voir ce qu’il voulait. L’abrutie complète, quoi. Elle lui a montré ou se trouvait la salle de bains et lui à dire de faire comme chez lui, une fois de plus. Alors qu’elle repartait vers le salon, Rubào a frappé. La blonde a essayé de réagir, mais ce n’est [as bien difficile d’étrangler une fille idiote, qui laisse n’importe quel inconnu entrer chez elle et qui en plus lui précise de bien faire comme chez lui et qui le lui dit plutôt deux fois qu’une. C’est facile de la tuer. Je le comprends, Rubào. C’est vrai que ça a de quoi vous porter sur les nerfs. Les gens vous tendent la perche. A croire qu’ils le cherchent. Ils en redemandent. Ils implorent. Vous n’avez jamais eu cette envie organique de tuer, commissaire ? D’accord, d’accord, je continus.
Je suis un homme ponctuel. Depuis vingt-cinq ans que je travaille à la mairie je ne suis jamais arrivé en retard, pas une seule fois. L'ascenseur était là. Je suis entré en vitesse, et cette porte idiote, si paresseuse pour se refermer, a gâché ma matinée. J'ai appuyé sur le bouton du rez-de-chaussée, au moment où j'allais sortir j'ai senti une main se poser sur mon coude. J'ai horreur de ça. Je déteste qu'on me touche, toutes ces mains sales. C'était la femme du septième étage. Je ne me souviens jamais de son nom.
Je n’aime pas sortir. C’est inutile, quand on a le téléphone et la télé. Trente personnes assassinées par jour. Dix voitures volées toutes les vingt minutes. Et les morsures de chien, le port illégal d’armes à feu, la prostitution, la corruption, l’ivresse, les suicides, le vagabondage, la mendicité, et j’en passe. La réalité, c’est chiant. Aller à la banque, c’est chiant. Les factures, les gosses, les chèques, faire la queue, les feux rouges, aller chez boucher, l’emploi du temps, les déjeuners, les accouchements, le ménage, tout ça c’est chiant. C’est des Fèces, du latin falcis, qui signifie « faire ». Donc faire toutes ces choses, c’est de la merde, CQFD. La réalité est une merde infranchissable. Jour après jour, elle me met KO, la réalité. Je ne sais pas aller à la banque, je ne sais pas faire la queue, je ne sais pas aller au supermarché, chez le boucher, je n’arrive pas à tenir une maison, gérer les employées, conduire une voiture, ça me met les nerfs en feu, ça me retourne, me laisse impuissante, malade, rageuse et épuisée.
L’amour ne se dissout pas, l’amour s’interrompt. Comme quelqu’un qui se fait renverser et meurt sur le coup. C’est comme ça qu’il finit, l’amour. Pour ceux qui en ont conscience, il reste encore une chance. Les autres, ils gagnent un aller simple pour l’enfer, gratuit. Moi, je ne me suis rendu compte de rien. J’ai retourné chacun de ses mots dans tous les sens : LA FAUTE À PAS DE CHANCE. JE ME SUIS ACHETÉ CE TEE-SHIRT. ÇA VALAIT MIEUX. C’EST LE PAS DE CHANCE qui a tout dévoilé. S’il s’était vraiment fait asperger de peinture, il ne l’aurait pas dit de façon si civilisée. Ce n’était pas la faute à pas de chance. IL n’était pas furax. MOI, oui. IL n’a pas manqué de chance. MOI, oui. LUI, il a simplement menti. MOI, j’ai accepté, en silence.
Une grande partie des assassins sont criminoïdes, criminels par influence de confrères. On tue pour bien des motifs. Par ignorance : onze pour cent. Parce que né dans le crime : deux pour cent. Pour l’argent facile : huit pour cent. La jalousie ne représente que un pour cent. On tue peu par amour. Au Brésil, on tue plus pour une paire de Reebok que par amour.
Payot - Marque Page - Patricia Melo - Celles qu'on tue