Art de la métamorphose, l'estampe produit à la fois de l'original et de la série. "L'unicité dans la quantité", comme le souligne justement
Michel Melot, dans un des quatre textes de ce catalogue. Là réside sans doute la fascination qu'elle exerce sur les artistes qui n'ont cessé, depuis Dürer, d'en explorer les ressources infinies. le lien que l'estampe entretient avec le temps (dû à la possibilité d'en tirer différents états à divers stade de son élaboration), lui confère donc une place toute particulière au XIXe siècle, avant la peinture, dans la révolution esthétique impressionniste. Une exposition et une lecture qui attestent que les mouvements du temps ou de l'atmosphère ne relèvent pas exclusivement de la couleur et de l'impressionnisme pictural.
Ce catalogue d'une exposition d'estampes, organisée il y a déjà quelques années à Vevey et Baden (2001), aborde le sujet de la gravure impressionniste. Il s'appuie sur la présentation d'oeuvres graphiques de collections publiques et privées suisses, de
Corot à Vuillard. Quatre textes très intéressants définissent et illustrent cette période de l'histoire de l'estampe qui dépasse, selon les auteurs, les seules années strictement impressionnistes (marquées par huit expositions spécifiques étalées sur douze ans, à partir de 1874). Période d'essor et de renouveau sans précédent de la gravure outrepassant donc largement les années 1870 et débutant avec Barbizon pour perdurer grosso modo jusqu'en 1914.
Dès le début de la deuxième moitié du XIXe siècle, sous l'impulsion de la Société des Aquafortistes créée en 1862 par l'éditeur Alfred Cadart, les graveurs, applaudis par
Charles Baudelaire, s'affranchissent des procédés traditionnels et des sujets classiques ; plus grande spontanéité du geste et du style, abandon d'un certain fini : Paul Huet, Charles-François Daubigny,
Jean-Baptiste-Camille Corot, Théodore Rousseau, Jean-François Millet, Adolphe Appian, Johan Barthold Jongkind, James Abbott Whistler,
Charles Meryon ou Rodolphe Bresdin, précurseurs en la matière, sont les pré-impressionnistes de la gravure et traduisent cette liberté, bien visible, dans les planches des années 1850/60 reproduites dans le catalogue.
Le graveur
Félix Bracquemond (1833-1914), admirateur d'estampes japonaises, jouera un rôle moteur pour sortir la gravure de l'académisme où elle était tombée. Toutes sortes d'audaces - grattage, griffure, morsure (hé oui), utilisation de vernis mou - sont déjà expérimentées, lorsqu'à partir de 1873, le groupe d'Auvers -
Paul Cézanne, Armand Guillaumin,
Camille Pissarro - commence à "sévir" chez le célèbre Dr Gachet qui grave sous le pseudo de Paul van Ryssel. Degas privilégie de son côté une expérimentation toute personnelle, le monotype rehaussé de pastel ; il enseigne l'eau-forte à Mary Cassatt qui pratique elle-même l'aquatinte en couleurs, avec maestria. Des planches de Marcellin Desboutin, Félix Buhot, Camille Pissaro,
Edouard Manet, Berhe Morisot,
Edgar Degas,
Félix Bracquemond,
Henri Fantin-Latour, Armand Guillaumin ou
Paul Cézanne illustrent les décennies 1870/1880.
Dans les dix dernières années du siècle et les premières du XXe, le bois gravé connaît un regain d'intérêt. le foisonnement de la création graphique est tel que le recensement des oeuvres et des techniques en devient compliqué. Les artistes de tout bord viennent de "courants" très divers : derniers impressionnistes (Camille Pissaro ou Auguste Renoir), symbolistes (
Odilon Redon,
Eugène Carrière ou Edward Munch), représentants de Pont-Aven autour de Gauguin, Nabis (
Edouard Vuillard, Pierre Bonnard,
Henri-Gabriel Ibels,
Aristide Maillol ou
Maurice Denis), néo-impressionnistes et Fauves, électrons libres ou phares solitaires (
Paul Cézanne,
Edgar Degas,
Auguste Rodin), maîtres de l'affiche (Toulouse-Lautrec, Steinlen). Bonheur absolu d'avoir à contempler ces oeuvres sur papier, certaines avant-gardistes.