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Critique de Albertine22


Fiona Melrose a choisi de nous présenter sa ville natale le temps d'une journée très particulière, le 6 décembre 2013, date de la mort de Nelson Mandela. Cette nouvelle connue par le bouche à oreille, relayée ensuite inlassablement par les médias est comme un caillou jeté dans l'eau. L'auteure ne s'intéresse pas tant à ce caillou, puisqu'aucune information précise n'est encore communiquée par la famille du défunt . Elle se concentre sur les cercles concentriques créés par ce caillou, sur la manière dont ce décès impacte les habitants de la ville, qu'ils soient blancs ou noirs.Nul ne peut rester totalement indifférent à la mort de ce leader charismatique, mais l'effet produit diffère selon les personnes. Deux personnages sortent du lot, deux presque quarantenaires, une femme blanche, Gin, et un homme noir, September.

Gin Brandt a quitté New-York et est revenue à Johannesburg pour fêter les 80 ans de sa mère Neve. Les deux femmes, descendantes d'Afrikaners, accueillent tout d'abord cette nouvelle avec un certain détachement, plus préoccupées par leur relation faite de non-dits et de souffrances mutuelles que par ce qui se passe en dehors de leur maison, ceinte de murs protecteurs. Gin, à la sensibilité à fleur de peau, artiste aux installations étonnantes, semble toujours sur le point de s'effondrer, dans un pas de deux permanent entre l'envie de vivre et celle de mourir, éternelle pré-adolescente refusant de devenir une femme.Uniquement centrée sur elle et sur sa soif d'amour maternel, elle ne voit de l'Afrique du Sud que ce qui blesse, ce qui heurte, ce qui choque. Et si le 6 décembre 2013 lui ouvrait les yeux sur le monde extérieur ? Et si la belle quittait sa haute tour pour se mêler à la foule qui se dirige vers la dernière demeure de Nelson Mandela ? Il est peut-être temps pour elle de se confronter au réel.

Au même moment, September, ancien cuisinier dans une mine appartenant à la société Diamond, blessé par balle un an auparavant quand des miliciens ont tiré sur les mineurs grévistes dont il faisait partie, perd peu à peu la raison. La tête ornée d'une couronne d'agapanthes, vêtu de haillons, il veut que justice soit faite et que les dirigeants de Diamond reconnaissent que l'ordre de tirer est venu de l'un d'eux. Quand il ne mendie pas sur un rond-point de la ville, exhibant sa bosse pour susciter la pitié et lui permettre d'obtenir les quelques pièces nécessaires à sa survie dans la rue, il se plante devant l'immeuble de la société minière, décidé à obtenir la vérité. Son esprit l'abandonne de plus en plus et retourne sur les terres de son enfance, au temps où son dos était encore droit et sa fierté d'être noir intacte. Et si malgré son corps si faible et sa tête si douloureuse, il redevenait guerrier, pourfendeur d'injustices ? Un guerrier certes, mais avec l'amour comme seul bouclier en digne émule de Nelson Mandela ...

Gin et September vont se croiser pendant cette journée grâce à Juno, la petite chienne de Neve. L'animal, profitant d'un moment d'inattention, a franchi le portail de la propriété et s'est égarée dans son quartier. September va la recueillir et la ramener à Gin. Fiona Melrose ne tombe pas dans la facilité d'une rencontre entre les deux personnages qui se solderait par un happy end, une réconciliation de la blanche et du noir autour d'un évènement heureux. Leur rencontre n'en est même pas une, chacun terriblement enfermé dans sa propre bulle de souffrance.

Autour de ces deux personnages-pivots gravitent leur famille, leurs amis, leur patron. Ceux-ci font entendre leurs voix et à travers elles se dessine la Johannesburg de 2013, fascinante et dangereuse, toujours profondément inégalitaire et pourtant unie dans un amour commun de ce lieu où fleurissent les agapanthes.

Un très beau roman, au style et à la construction maîtrisés, une description de Johannesburg, vue comme une fleur aux multiples couleurs résistant depuis la nuit des temps aux plus âpres des vents.
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